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XVIII.

Douceur de Bossuet pour les Protestans de son diocèse.

Comment, après une déclaration si solennelle faite à la France et à toute l'Europe, en présence de ceux qui auroient pu démentir le noble témoignage que Bossuet osoit se rendre à lui-même, Jurieu et quelques autres écrivains ont-ils eu la témérité de représenter Bossuet comme persécuteur?

C'est un fait certain, qu'il n'y eut aucune exécution militaire, ni dans la ville, ni dans le diocèse de Meaux. Bossuet suivit l'exemple de saint Augustin, comme il en suivoit les maximes: il ne fit usage que des seuls moyens qui appartiennent à l'Eglise, l'instruction et la persuasion; on ne le vit jamais implorer le secours de l'autorité. Il ne se servit de son crédit que pour éloigner de son diocèse toute espèce d'appareil militaire, et faire jouir les Protestans de tous les droits que la révocation de l'édit de Nantes leur avoit laissés. Tandis que plusieurs provinces étoient couvertes de gens de guerre, pour réprimer les mouvemens séditieux qui s'y étoient manifestés, le diocèse de Meaux ne vit qu'une seule maison où l'on se crut obligé de faire usage de cette mesure. La fidélité de l'histoire, qui ne nous permettoit pas de supprimer ce fait unique, nous autorise en même temps à déclarer que Bossuet n'eut aucune part à cette vexation.

Un gentilhomme du nom de Séguier, qui résidoit avec sa femme en son château de la Charmoix dans la Brie, fut tourmenté pendant quelques jours par la présence de sept ou huit

dragons, que l'intendant de Paris crut devoir y envoyer. Ce gentilhomme s'étoit montré fort entêté, et sa femme, bien plus inconsidérée, s'étoit exhalée en déclamations contre le Roi. Bossuet fut extrêmement affligé de cet événement; sa juste considération pour un nom respecté dans la magistrature, et les relations d'estime et d'amitié qu'il entretenoit avec une famille établie dans son diocèse, lui inspirèrent l'idée d'engager l'intendant à faire transporter M. et Mme Séguier dans son propre palais à Meaux. Bossuet voulut même se rendre caution de leur respect pour le Roi et de leur soumission à ses ordres. Un procédé aussi délicat disposa M. Séguier à écouter avec moins de prévention les instructions d'un évêque qu'il étoit lui-même accoutumé à respecter pour son génie et sa vertu. Cependant Bossuet eut d'abord beaucoup à souffrir des emportemens de la femme. Mais une grande patience, et des instructions touchantes et paternelles suffirent pour les ramener à des sentimens plus modérés. Il eut au bout de huit jours la satisfaction de recevoir leur abjuration, et la consolation encore plus douce de les voir persévérer dans la religion qu'ils avoient embrassée.

La plus grande paix régną, dans toutes les autres parties du diocèse de Meaux, et même dans les lieux où les Protestans étoient le plus nombreux, tels que Claye et Lisy. Bossuet alloit lui-même répandre ses secours et ses instructions, partout où il jugeoit sa présence utile ou nécessaire (a). Il n'étoit pas un seul des nouveaux Catholiques qu'il ne connût personnellement; on les lui amenoit de (a) Mts. de Ledieu.

temps en temps pour être instruits et pour recevoir la confirmation. Il connoissoit également tous les Protestans qui s'étoient refusés à abjurer; il les faisoit venir très-souvent à Meaux, ou dans d'autres lieux de son diocèse, lorsqu'il alloit y faire sa visite pastorale. Il cherchoit à les éclairer et à les toucher par sa douceur. Jamais un seul d'entre eux ne s'est plaint de sa sévérité, ni même de ses reproches.

Un ancien chanoine de Meaux (le sieur Payen) rapportoit comme. témoin oculaire, « (a) qu'après » la révocation de l'édit de Nantes, Bossuet, in» formé des différens lieux où se réunissoient les » Protestans répandus dans son diocèse, alloit au » moment où l'on s'y attendoit le moins, les sur» prendre charitablement; faisoit arrêter son car» rosse loin du lieu où ils s'étoient réunis; s'y » rendoit à pied, frappoit à la porte, et entroit » tout-à-coup. Un étonnement mêlé de crainte se » peignoit sur tous les visages. Mais Bossuet s'em» pressoit de les rassurer, en leur disant avec dou» ceur: Mes enfans, là où sont les brebis, le pas» teur doit y étre. Mon devoir est de chercher mes » brebis égarées, et de les ramener au bercail. De » quoi est-il question aujourd'hui ? Après avoir » écouté leurs raisons, il entroit en matière, et les >> instruisoit.»

Ce fut de cette manière douce, confiante et paternelle, qu'il parvint à en convertir plusieurs. (6) Il les faisoit ensuite rentrer dans leurs biens, souvent même il les faisoit soulager d'une partie de leurs impositions. L'intendant de la généralité se plaignoit toujours de son extrême douceur, et (a) Manuscrits. —(6) Mts. de Ledieu.

ne cessoit de lui reprocher sa modération, dont les Protestans abusoient souvent. Bossuet consentoit à recevoir les reproches, pourvu qu'il lui accordât ce qu'il lui demandoit, et l'intendant ne le refusoit jamais. « Cependant on doit convenir, » ajoute l'abbé Ledieu, que des procédés qui au» roient dû lui concilier le cœur et l'esprit de tous les Protestans de son diocèse, laissèrent le plus » grand nombre d'entre eux persévérer dans leur >> opiniâtreté. »

Son caractère et ses principes en cette matière, étoient formellement opposés à tout ce qui pouvoit ressembler à la contrainte et à la violence. Il arriva même un événement qui lui offrit l'heureuse occasion de montrer sa douceur et son humanité. (a) Sept ou huit cents religionnaires, hommes et femmes, se réunirent en troupe et tentèrent, à main armée, d'exciter une émeute à Lisy. Quelques-uns des chefs furent arrêtés surle-champ; leur procès fut instruit; trois ou quatre furent condamnés à mort. Bossuet heureusement en fut averti à temps. Il interposa d'abord l'autorité de son nom pour faire surseoir l'exécution. Il -écrivit sur-le-champà la Cour, et il obtint leurgrâce. Plusieurs femmes et quelques hommes avoient été condamnés à différentes peines, suivant la gravité de leurs délits,' et elles se réduisirent à une amende honorable devant l'église de Lisy, et au bannisse

ment.

XIX. Conduite de Bossuet envers les religieuses de son diocèse.

Mais il étoit une portion de son troupeau que Bossuet affectionnoit avec une tendresse vraiment fa) Mts, de Ledieu.

paternelle; il donnoit à la direction des religieuses de son diocèse des soins aussi assidus et aussi constans que s'il n'eût pas eu d'autres devoirs à remplir, et des travaux bien plus importans à suivre et à conduire à leur perfection. Les volumes xi et XII de l'édition de ses OEuvres donnée par D. Déforis (a) renferment près de sept cents lettres de direction spirituelle adressées à de simples religieuses. Nous en avons les originaux entièrement écrits de la main de Bossuet. Par le nom

bre de celles qui ont échappé aux ravages du temps et qui ont été publiées, on peut se faire une idée du nombre de celles qui ont été perdues ou anéanties.

Ce n'est pas le phénomène le moins extraordinaire de la vie de Bossuet, que celui qui présente la correspondance d'un tel évêque, qui consent à s'arracher aux études et aux travaux de tous les genres qui remplissoient tous ses momens, pour s'entretenir avec de simples religieuses des peines, des scrupules, des inquiétudes, et de toutes les recherches délicates et quelquefois minutieuses, qui agitent si souvent ces ames pieuses, sensibles et craintives. On ne sait comment concilier le temps que cette correspondance a dû demander à Bossuet, avec celui qu'ont exigé de sa part tous les ouvrages qui sont restés de lui, et tant d'affaires importantes où il a joué un si grand rôle.

Mais ce qui étonne encore, ou plutôt ce qu'il faut admirer avec un respect religieux, c'est le sentiment inaltérable de patience, d'indulgence et de bonté qui respire dans toutes ces lettres. Elles le montrent sous un point de vue qui semble avoir (a) Tomes XXXVIII et xxxix de l'édit. de Versailles, in-8°.

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