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échappé aux regards de la postérité, accoutumée à ne contempler Bossuet qu'au milieu des éclairs du génie et des éclats de la foudre.

Ces lettres peuvent encore donner lieu à d'autres considérations, étrangères peut-être aux gens du monde, mais qui peuvent n'être pas sans utilité pour ceux que leur profession et une vocation particulière appellent à la direction des ames. On y trouve une multitude de décisions précises et exactes sur des doutes et des difficultés qui arrêtent souvent les ecclésiastiques les plus éclairés et les plus familiarisés avec cette partie de leur ministère. On y voit jusqu'à quel point Bossuet possédoit la science et l'esprit de la religion, non-seulement dans son ensemble et dans le vaste développement de toutes les questions qu'elle peut faire naître, mais en- . core dans les plus petits détails de ces questions spéculatives, sur lesquelles l'Ecriture, les Pères et les conciles n'ont pas cru devoir s'expliquer, ni prononcer. Il est en effet des conseils évangéliques, et des désirs de perfection chrétienne, pour lesquels l'Eglise se repose avec confiance sur l'esprit de Dieu, pour inspirer les ames qui cherchent avec un cœur pur et sincère à se conformer à ses volontés.

On est frappé, en lisant cette correspondance, d'y observer un sentiment, un langage et un ton de spiritualité, auxquels on suppose trop légèrement que Bossuet devoit être étranger. Quelques fragmens de ces lettres pourroient même être soupçonnés d'avoir une conformité apparente avec ces pieux excès d'amour de Dieu qu'il reprocha dans la suite à Fénélon et à quelques autres écrivains mystiques, si, avec un peu d'attention, on ne re

connoissoit pas qu'il sait toujours s'arrêter au point précis où l'excès devient erreur.

D'ailleurs Bossuet pensoit, et avoit sans doute le droit de penser, qu'il est bien différent d'établir des maximes générales dans un livre dogmatique, qui doit toujours exprimer la saine doctrine avec toute la rigueur théologique, ou de permettre, dans une correspondance particulière, à des ames pieuses dont on connoît les dispositions et la soumission aux règles générales de l'Eglise, de s'abandonner à ces mouvemens affectueux qui les portent à aspirer à la plus haute perfection.

On voit en effet par lé témoignage de l'une de ces religieuses, avec laquelle Bossuet a entretenu la correspondance la plus suivie (1), 'que dans la direction spirituelle des ames il s'étoit principalement proposé pour modèle saint François de Sales, quoique ce soit un des auteurs dont les écrivains mystiques ont cherché le plus à se prévaloir ›pour autoriser leurs opinions. Bossuet disbit«(4) qu'il » étoit redevable à saint François de Sales d'avoir appris les véritables règles de la conduite des » ames; qu'il révéroit la doctrine de ce saint, » et qu'il se le proposoit toujours pour modèle; » qu'il pensoit à son exemple qu'un évêque dévoit » toujours éviter de montrer de la sévérité, ou de >> contrister par des reproches trop vifs; qu'il avoit

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(a) Manuscrits de Mine Cornuau.

(1) Elle s'appeloit Marie Dumoutiers, veuve Cornuau. Après avoir habité long-temps la Ferté-sous-Jouarre, elle entra au noviciat au prieuré de Torcy, le 16 mai 1697, et fit ses vœux solennels le 22 mars 1698. Ce fut Bossuet luimême qui prêcha le 'serinón de sa prise d'habit et de la profession de ses vœux.

» toujours présent à la pensée l'entretien de Jésus- Christ avec la Samaritaine, et la sainte >> adresse dont il se sert pour faire connoître à cette

femme pécheresse ses égaremens; qu'une longue » expérience lui avoit appris que la douceur ra» mène plus d'ames à Dieu, et les retiroit plus » véritablement de leurs désordres, que la sévé»rité, qui ne sert ordinairement qu'à les aigrir, » et à les soulever contre les avis qu'on leur >>.donne. >>

Deux autres religieuses d'une naissance plus distinguée que celle que nous venons de nommer (Marie-Louise de Luynes, et Marie - HenrietteThérèse d'Albert sa sœur) furent du nombre de celles dont Bossuet s'attacha à cultiver avec le plus d'affection les sentimens de religion et de piété. C'est surtout avec la cadette qu'il paroit avoir iqu le plus de relations. Bossuet, encore simple ecclésiastique, avoit, le 8 mai 1664, prêché le sermon de la profession de ses vœux à l'abbaye de Jouarre. Elle y avoit suivi Mme de Luynes sa sœur, qui la veille (7 mai 1664) avoit fait ses vœux dans la même abbaye. Elles étoient soeurs du duc de Chevreuse, cet ami si cher et si dévoué à Fénélon. On sait que le duc de Luynes leur père professoit la plus haute estime pour les solitaires de Port-Royal, et il avoit élevé ses enfans dans les mêmes sentimens. Ce fut pour le duc de Chevreuse son fils, qu'Arnauld composa sa Géométrie, et Lancelot sa Grammaire générale. On croit même apercevoir dans la préface de la Logique de PortRoyal, que ce célèbre ouvrage fut entrepris en grande partie pour l'instruction du duc de Chevreuse, ou du moins qu'il y apprit dès l'âge de treize ans les règles de l'art du raisonnement. Ra

cine lui avoit dédié en 1670 sa tragédie de Britannicus. Nous ignorons à quelle époque le duc de Chevreuse abandonna les principes théologiques de l'école dans laquelle il avoit reçu sa première éducation, et en embrassa d'entièrement opposés.

Les deux sœurs se bornèrent à être fidèles aux sentimens de vertu et de piété dans lesquels elles avoient été élevées; mais une sorte de prévention contre leurs instituteurs devint un motif, ou un prétexte pour les exclure des grandes places auxquelles leur naissance leur donnoit le droit de prétendre. Louis XIV ne consentit qu'avec peine à nommer en 1696 Mme de Luynes, l'aînée des deux sœurs, au prieuré de Torcy, dans le diocèse de Paris. Mme d'Albert sa sœur l'y suivit ; elle y mourut le 4 février 1699, et Bossuet composa son épitaphe, où respire une tristesse douce et religieuse (1). (1) Ci-gît Marie-Henriette-Thérèse d' Albert de Luynes. Elle préféra aux honneurs

D'une naissance si illustre et si distinguée
Le titre d'épouse de Jésus-Christ
En mortification et en piété.
Humble, intérieure, spirituelle,
En toute simplicité et vérité,

Elle joignit la paix de l'innocence
Aux saintes frayeurs d'une conscience timorée.
Fidèle à celui qui, presque dès sa naissance,
Lui avoit mis dans le cœur le mépris du monde,
Elle fut long-temps l'exemple

Du saint et célèbre monastère de Jouarre,
D'où étant venue en cette maison
Pour accompagner une sœur chérie,
Elle y mourut de la mort des justes
Le 4 février 1699;

Subitement en apparence,

En effet, avec les mêmes préparations
Que si elle avoit été avertie de sa fin.....

Plus heureuses dans l'espèce d'obscurité où elles passèrent leur vie, que si elles eussent rempli les grandes places de leur état, les deux sœurs eurent la consolation de n'être jamais séparées l'une de l'autre, et de vivre et de mourir sous la direction de Bossuet.

C'est pour Mme de Luynes que Bossuet a composé un petit écrit sur la vie cachée en Dieu (1). Mme de Luynes avoit prié ce prélat de lui écrire ce que Dieu lui inspireroit pour son édification sur ces paroles de saint Paul : Vous étes morts, el votre vie est cachée en Dieu. Bossuet lui envoya ce discours. Il lui montre en quoi consiste la mort à laquelle le Chrétien s'engage par son état; et il passe ensuite au grand mystère de la vie cachée en Dieu, en faisant voir de quelle manière la vie de JésusChrist a toujours été cachée en Dieu, comment elle l'est encore, même depuis qu'il est entré en sa gloire.

On se tromperoit, si l'on croyoit que ce discours, adressé à une simple religieuse, ne peut être utile qu'aux personnes de la même profession. Il convient à tous les Chrétiens, parce qu'il expose des obligations qui leur sont communes. Aussi Bossuet, en finissant, croit pouvoir s'adresser, sans distinction, à tous en général, « grands ou petits, pau>> vres ou riches, savans ou ignorans, prêtres ou » laïques, religieux et religieuses, ou vivans dans » la vie commune (2). »

(1) On le trouve au tome x de ses OEuvres, p. 313, éd. de Vers. in-8°.

(2) L'évêque de Troyes, neveu de Bossuet, fit imprimer ce Discours pour la première fois en 1731, à la suite des M& ditations sur l'Evangile.

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