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Depuis que le monastère de Faremoutier fut rentré sous l'obéissance de son pasteur, il ne cessa de donner des exemples d'édification et de piété, qui lui méritèrent toute l'affection paternelle de Bossuet; c'est le témoignage que Bossuet lui-même se plut à lui rendre dans l'ordonnance qu'il fit, en terminant le procès-verbal de visite de cette abbaye en 1693; il y représente ce monastère « comme le modèle de ceux du diocèse; et il y exprime le désir de voir les servantes de Dieu qui l'habitent, non-seulement s'entretenir dans » la sainte régularité où elles vivent, mais encore » croître dans l'esprit de piété, de lecture et de » retraite. >>

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Bossuet ne fut pas moins heureux dans une discussion du même genre, qu'il eut dans la suite avec l'abbaye de Rébais.

Les abbés de Rébais étoient en possession d'une juridiction absolument indépendante des évêques de Meaux sur les ecclésiastiques et les laïques de Rébais, et de cinq paroisses qui en relevoient; le titre de cette exemption étoit une sentence arbitrale rendue en 1212 par des commissaires du Pape.

Bossuet appela comme d'abus de cette sentence arbitrale, et il eut la satisfaction de n'éprouver aucune opposition de la part de l'abbé et des religieux de Rébais. M. Caillebot de la Salle, évêque de Tournai et abbé de Rébais, étoit pénétré d'une religieuse vénération pour Bossuet; et comme évêque, il sentoit lui-même combien il importoit au bon ordre et au maintien de la discipline ecclésiastique d'assurer et d'étendre la juridiction épiscopale conformément à l'esprit des anciens canons.

XXII. — Affaire de l'abbaye de Jouarre.

Si Bossuet fut en partie redevable de la facilité avec laquelle il termina l'affaire de l'abbaye de Rébais, à l'estime qu'inspiroient ses vertus et son caractère, on peut croire aussi que la vigueur avec laquelle il avoit attaqué et conquis l'abbaye de Jouarre, n'avoit pas peu disposé les religieux de Rébais à céder à l'ascendant d'un évêque qui avoit toujours le grand art de mettre de son côté la raison, la justice, les canons de l'Eglise, et les lois de l'Etat.

La singularité de quelques circonstances de l'affaire de Jouarre nous invite à entrer dans des détails qui pourroient paroître aujourd'hui assez indifférens, s'ils ne servoient à faire connoître le caractère de Bossuet, l'esprit de suite et de fermeté qu'il apportoit dans tout ce qu'il entreprenoit, et cette sorte de supériorité naturelle qui l'élevoit au-dessus de toutes les considérations capables d'arrêter les hommes plus sensibles à des égards intéressés, qu'à l'accomplissement de leurs devoirs.

L'exemption de l'abbaye de Jouarre paroissoit fondée sur les titres les plus imposans, et affermie par le temps et par les contradictions mêmes qu'on avoit tenté de lui opposer. Il falloit qu'elle eût déjà été l'objet de quelques discussions entre les évêques de Meaux et les abbesses de Jouarre dans des temps bien anciens, et dont les traces n'existent plus parmi les monumens historiques, puisqu'en 1225 le cardinal Romain, légat du Pape, fut choisi par toutes les parties intéressées pour arbitre de leurs différends et de leurs prétentions.

La sentence arbitrale que le cardinal Romain rendit en 1225, maintint l'abbesse et l'abbaye de Jouarre dans l'exemption la plus entière et la plus absolue des évêques de Meaux, et dans le droit de ne relever que du saint Siége. Elle les soumit seulement à payer une redevance annuelle de dixhuit muids de grains à l'évêché et au chapitre de Meaux. On doit ajouter que cette sentence arbitrale avoit obtenu une telle solennité, qu'elle avoit été insérée dans le Corps du Droit canonique (a).

Depuis cette époque, les évêques de Meaux avoient constamment respecté l'exemption de l'abbaye de Jouarre, ou, ce qui étoit encore plus favorable aux priviléges de cette abbaye, toutes les fois qu'ils les avoient attaqués, ils avoient vu leurs réclamations proscrites par des jugemens contradictoires. Souvent même on avoit vu des évêques de Meaux ou leurs officiers reconnoître formellement cette exemption, et prêter leur ministère à des actes où elle étoit exprimée dans les termes les plus précis et les moins équivoques.

Les priviléges exorbitans dont jouissoit l'abbesse de Jouarre devoient nécessairement entraîner de grands abus; et ces abus avoient été portés à un tel excès, qu'en 1680, plus d'un an avant l'avénement de Bossuet à l'évêché de Meaux, Louis XIV avoit cru devoir demander des commissaires au Pape pour la réforme de cette abbaye.

On peut observer que ce recours même du Roi à l'autorité du Pape pour la réforme de l'abbaye de Jouarre, sembloit être un nouveau préjugé en faveur de son exemption.

(^) Histoire de l'Eglise de Meaux.

HENRIETTE DE LORRAINE étoit alors abbesse de Jouarre. Cette princesse, trop portée peut-être à ne considérer, comme on l'avoit vu trop souvent dans les siècles précédens, son titre d'abbesse que comme une décoration extérieure; qui ne la soumettoit à aucune des obligations imposées à des religieuses d'un rang moins relevé, vivoit ou plutôt régnoit à Jouarre, comme dans le palais de ses pères.

Elle disposoit des revenus de l'abbaye avec une autorité aussi arbitraire, qu'elle auroit pu le faire d'un héritage de sa maison; et pendant ses courts et rares séjours à Jouarre, elle paroissoit n'y trouver d'autre douceur que celle d'y mener une vie molle et tranquille, dont rien ne pouvoit jamais altérer la paisible sécurité. Tout cet appareil de pouvoir, de juridiction et d'autorité attaché à son titre, n'étoit à ses yeux qu'une réunion de prérogatives convenables à une princesse de la maison de Lorraine, et une espèce de dédommagement de tous les sacrifices qu'elle avoit faits en consentant à prendre le voile religieux. Elle étoit Join d'imaginer que l'exemption de l'abbaye de Jouarre pût être attaquée ou ébranlée; et en supposant même que les droits de l'abbesse eussent été aussi douteux qu'ils paroissoient certains, il ne lui venoit seulement pas dans la pensée, que les tribunaux pussent être un moment indécis entre un simple évêque de Meaux et une princesse d'une maison souveraine, dont le sang s'étoit mêlé tant de fois à celui de nos rois.

Mais les temps étoient changés; un ordre régulier et constant régnoit dans toutes les parties de l'État; l'empire des lois s'étendoit sur toutes les

classes des sujets; et Louis XIV, qui savoit faire rendre dans sa Cour tous les honneurs dus au rang et à la naissance, savoit également qu'il ne devoit jamais faire intervenir son autorité en leur faveur en présence des tribunaux.

Bossuet, toujours porté à rendre aux grandeurs et aux puissances de la terre tout ce qui leur est dû dans l'ordre de la société, savoit concilier ces justes égards avec la fermeté qui convient à un évêque dans l'ordre de son ministère. Il ne se dissimula pas les contradictions qu'il devoit attendre de la part de l'abbesse de Jouarre. :

Il prévit tout, et il s'attendit à tout. Il écrivoit à l'abbé de Rancé : « (a) Je suis occupé à ôter, si je puis, de la maison de Dieu, le scandale de » l'exemption de Jouarre, qui m'a toujours paru

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» un monstre. >>

Il ordonna donc en 1689 à son promoteur d'informer sur les sorties fréquentes, de l'abbesse sans aucune permission de son évêque. Sur l'information, l'official décerna une ordonnance d'assigner pour être ouïe, qui fut convertie en un ajournement personnel. L'abbesse se confiant en l'exemption dont elle étoit en possession, ne parut pas fort effrayée d'une pareille attaque; elle parut seulement s'étonner de ce qu'un homme aussi sage et aussi habile que Bossuet s'engageât dans une procédure si indiscrète. Elle se borna de son côté à faire assigner le promoteur et l'official de Meaux aux requêtes du palais, pour être maintenue dans son exemption; et elle y obtint une sentence conforine qui cassoit l'ajournement décerné par l'offi

(a) Lettre du 21 janvier 1690; OEuvres de Bossuet, tom. xxxvii, p. 461, édit. de Vers. in-8°.

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