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sance,

facile et si commun de surprendre à la complaiou d'obtenir de la mauvaise foi pour rendre problématiques les questions les plus claires et les moins litigieuses.

Et reprenant tout-à-coup le langage et l'autorité d'un pontife qui sait de qui il tient la hauteur et la plénitude de son ministère, Bossuet adresse ces dernières paroles à la jeune abbesse:

« Je ne me presse pas, comme vous voyez; j'at» tends avec patience un paisible consentement; » et j'aime mieux, s'il se peut, que vous preniez » de vous-même une bonne résolution, que d'user » de l'autorité que le Saint-Esprit m'a donnée. Si » vous n'écoutez que Dieu seul et votre conscience, » vous m'écouterez. Ne croyez pas vous abaisser, » en vous humiliant devant celui qui vous tient lieu » de JÉSUS-CHRIST. Ne croyez pas vous élever en lui » résistant; car tout cela est du monde, et de l'es» prit de grandeur auquel vous avez renoncé, et » dont il ne faut point garder le moindre reste. » Ne croyez pas que l'obéissance ne soit qu'en pa» roles, comme si la reconnoissance de la supé» riorité ecclésiastique ne consistoit qu'en compli» mens. Il en faut venir aux effets, quand on » veut être vraiment religieuse et vraiment hum»ble. »

Bossuet joignit à cette lettre un billet très-court, par lequel il supplioit très-instamment l'abbesse de Jouarre « de lire sa lettre à part, elle seule, » sous les yeux de Dieu seul. » Il eut le bonheur de trouver an cœur docile à ses touchantes exhortations. La jeune abbesse voulut même donner un témoignage éclatant de la sincérité de sa soumission, en n'admettant au noviciat que sous la nouvelle

forme prescrite par Bossuet, deux de ses proches parentes, mesdemoiselles de Rohan - Soubise, et de Rohan-Guéméné.

Tels étoient dans ce siècle les noms illustres qui brilloient à la tête des armées, décoroient la Cour de Louis XIV, et ornoient les humbles annales de nos cloîtres Tel étoit ce siècle, où toutes les grandeurs de la terre sembloient emprunter un nouvel éclat des sacrifices et des humiliations inspirés par la religion.

XXIII. Genre de vie de Bossuet dans son intérieur.

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En considérant l'application de Bossuet au gouvernement de son diocèse, l'assiduité avec laquelle il remplissoit tous ses devoirs d'évêque, l'exactitude qu'il apportoit dans tous ces détails d'administration journalière, dont les hommes de génie n'ont pas plus le droit de s'affranchir que les hommes ordinaires, on ne sait comment il a pu lui rester encore assez de temps et de liberté, pour composer tant d'ouvrages que nous avons de lui.\

« (a) Mais un homme accoutumé à ne perdre >> aucun moment, a du temps pour tous ses de» voirs; un homme, dont tous les plaisirs et le » sommeil même est une étude, a des années plus » étendues, une plus longue vie, que le commun » des vivans. Une mémoire fidèle à qui rien n'é>>chappe de ce qu'elle a appris, un esprit péné>>trant pour qui les obscurités deviennent des » sources de lumières, un cœur spacieux, qui em>> brasse dans ses affections tout ce qui s'offre à » son zèle et à sa charité, trouve pour tant de (a) Éloge de Bossuet, par le père de la Rue,

» soins divers des facilités inconnues aux petites

ames. >>

Tant de travaux de tous les genres qui avoient déjà rempli la vie de Bossuet, ne suffisoient pas à l'ardeur de son génie : dans son amour immense pour la religion, il embrassoit toutes les sciences, toutes les connoissances qu'elle avoit pour objet. A l'âge de plus de soixante ans, il voulut apprendre l'hébreu; et l'abbé de Choisy, après avoir dit de saint Jérôme « (1) qu'il apprit la langue hébraïque » avec beaucoup de peine, parce qu'il s'y étoit pris » un peu tard », ajoute : « La même chose est » arrivée de nos jours à M. Bossuet, évêque de » Meaux, qui, à l'âge de soixante ans, consommé » dans toutes les sciences divines et humaines, com» mença à apprendre l'hébreu, et s'exerça avec » constance à des prononciations rudes et à des aspirations fort difficiles, pour se rendre plus utile à l'Eglise, en lisant les fondemens de notre foi dans » la langue originale. »

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Malgré tant de génie et d'ardeur, il eût été physiquement impossible que Bossuet eût pu suffire à tant de travaux, si la nature ne s'étoit plu à le favoriser de tous ses dons. Elle avoit uni en lui la figure la plus noble et la plus imposante à une excellente constitution. Il jouit constamment toute sa vie de la meilleure santé. Ce ne fut qne l'année qui précéda sa mort, que se déclara la cruelle maladie qui le condamna à de si longues et de si cruelles souffrances; jusqu'à cette époque, aucune maladie grave n'avoit altéré son tempérament. Il eut seulement quelques accès de fièvre pendant les années 1677, 1678 et 1679; il s'en délivra par (1) Histoire de l'Eglise, tom. 111, p. 918.

l'usage du quinquina, qu'un médecin anglais venoit récemment d'introduire en France. L'heureuse expérience qu'il en fit, lui inspira une grande confiance en ce remède. Il lui attribuoit même un renouvellement de forces, qui le décida à en faire usage toute les fois qu'il éprouvoit la plus légère indisposition.

Il étoit naturellement sobre dans ses repas, et peu recherché sur la variété des mets que l'on servoit à sa table. Il eut en 1699 un érésipèle, qui l'obligea, pour la première fois de sa vie, à faire gras pendant le carême. Mais les remèdes et le régime qu'on lui prescrivit pendant quelques mois, firent entièrement disparoître cette âcreté du sang; et dès le mois de septembre suivant, il fut libre de reprendre son genre de vie accoutumé.

De cet heureux tempérament résultoit cette facilité prodigieuse que Bossuet eut toujours pour le travail, et l'application continuelle qu'il put yapporter jusqu'à la fin de sa longue carrière ; il avoit en quelque sorte trouvé le secret de doubler son existence, et de suspendre la rapidité du temps par la distribution singulière qu'il en faisoit pendant une partie de la nuit.

Aussitôt qu'il fut évêque de Meaux, et qu'il se vit, après l'éducation de Mgr le Dauphin, dispensé de résider habituellement à la Cour (a), il prit l'habitude d'interrompre son sommeil, et de se lever pendant la nuit. Pour en avoir la facilité, il faisoit toujours placer à portée de lui une lampe allumée pendant toute la nuit; il étoit fidèle à cet usage, même en voyage. Après son premier sommeil, qui étoit de quatre à cinq heures, (a) Mts. de Ledieu.

il s'éveilloit naturellement, sans effort et sans inquiétude. Il se relevoit également l'été et l'hiver pendant les froids les plus rigoureux. Il se couvroit de deux robes de chambre l'hiver, s'enveloppoit jusqu'à la ceinture dans un sac de peau d'ours; il récitoit alors Matines et Laudes avec ce recueillement religieux, qui s'accorde si bien avec le calme et le silence de la nuit. S'il se trouvoit ensuite la tête libre, il se mettoit à son travail; tout étoit disposé dès la veille autour de son bureau, son fauteuil, son sac de papiers, ses plumes, son écritoire, ses porte-feuilles et ses livres rangés sur des siéges à droite et à gauche de son bureau. Il poussoit ce travail aussi loin que sa tête pouvoit le soutenir, une, deux et quelquefois trois heures; mais il avoit toujours l'attention de le quitter aussitôt qu'il se sentoit fatigué; il se replaçoit ensuite sur son lit, et reprenoit son sommeil avec la même facilité que s'il ne l'eût pas interrompu, il réparoit sur la matinée le sommeil qu'il avoit perdu pendant la nuit. Il suivit constamment ce même genre de vie depuis 1682 jusqu'en 1699, époque à laquelle il eut, comme nous venons de le dire, cet érésipèle, qui l'obligea d'apporter quelque changement à ses habitudes. Mais dès le mois de septembre de la même année, il recommença à Germigny, où il se trouvoit alors, à se relever la nuit pour réciter Matines; ses médecins exigèrent seulement qu'il se remît au lit sans s'appliquer à l'étude.

Sa manière de vivre dans sa famille, avec ses amis, même avec ses domestiques, étoit douce, noble et obligeante. Il avoit accoutumé tous ses domestiques au travail; il les réunissoit tous les

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