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jours pour la prière; il les bénissoit tous les soirs de sa main. Tous ses gens lui étoient sincèrement attachés, et on étoit naturellement porté à le servir par affection. Son discernement étoit exquis; il pénétroit les hommes jusqu'au fond de l'ame, et démêloit fort bien si c'étoit la vanité, l'intérêt ou un attachement réel qui les faisoient agir. Il ne disoit mot, il remarquoit tout, il souffroit tout, jusqu'à leurs manières mêmes qui pouvoient ne lui être pas agréables. Sa bonté naturelle le disposoit toujours à les excuser; et il croyoit devoir cette indulgence, et cette espèce de facilité à l'affection qu'ils lui montroient. De là la paix et l'union qui ont toujours régné dans son intérieur, avec cet extérieur décent et réglé que doit toujours observer dans la maison d'un évêque. Il se souvenoit dans toutes les occasions de ce qu'on avoit fait ou dit d'agréable pour lui, et lorsqu'on n'y songeoit plus, uniquement pour montrer qu'il n'en avoit point perdu le souvenir, et qu'il en étoit reconnoissant. Aussi recherchoitil toutes les occasions d'obliger ceux de ses gens qui lui étoient attachés. « On croit, disoit-il, que je ne pense qu'à mes livres; voyez si ce que je » viens de faire pour tel et tel n'est pas conve

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»nable. »

l'on

« (a) Il avoit toujours de quoi fournir aux frais » de la charité, de l'honneur, de la religion. Jamais rien pour le jeu, ni pour la délicatesse, en>> core moins pour la volupté, pour l'intrigue ou » pour l'ambition. Sa suite étoit la pudeur et la » modestie; les ornemens de sa maison, l'ordre et » la simplicité; la magnificence de sa maison, une (a) Eloge de Bossuet, par le père de la Rue.

» noble frugalité. Les honnêtes gens y étoient re>> çus avec joie, les savans avec estime, les vertueux » avec respect. Les grands mêmes s'y trouvoient

quelquefois avec plaisir. Les étrangers y ve»> noient de toutes les nations polies goûter les >> charmes de sa société, les délices de sa conversa» tion. >>

Cependant il paroît que Bossuet s'occupoit peu des détails intérieurs de sa maison. Ses grandes occupations l'absorboient exclusivement, et ne lui permettoient pas d'y apporter cet esprit d'ordre et d'arrangement qu'on aime à retrouver partout, et qui contribue peut-être plus qu'on ne pense à laisser à l'esprit le calme et la liberté nécessaires pour se livrer au travail. Ce genre de mérite paroît avoir manqué à Bossuet, comme à d'autres grands hommes d'un grand caractère et d'une intégrité irréprochable, qui ont souvent négligé le soin de leurs affaires particulières par l'excès même de leur dévouement à des travaux et à des intérêts d'un ordre supérieur. Il est certain qu'il en résulta pour Bossuet quelque embarras sur la fin de sa vie. Ce n'étoit ni par mépris, ni par affectation qu'il négligeoit ces détails domestiques, mais uniquement parce qu'il se laissoit entraîner par les études et les affaires de tous les genres qui venoient s'emparer de tous ses momens. Bossuet ne se le dissimuloit pas à lui-même; et il sut gré à une personne de sa connoissance (a), qui se faisoit une peine de lui répéter les propos du public à ce sujet. Il exigea même d'elle de lui en rendre un compte exact. Bossuet lui répondit avec simplicité : « Dieu » veut que je sache par vous ce que tout autre (a) Mme Cornuau.

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» pourroit me dissimuler par respect humain. Ne craignez point de me parler à cœur ouvert. Je » vous dirai ce qui peut être vrai et ce qui peut » être faux. Et après l'avoir entendu, il lui avoua » qu'on avoit raison de le blâmer de sa négli» gence; qu'au reste il remercioit Dieu d'avoir permis qu'on eût parlé de ces choses devant elle, afin qu'il en fût averti et pût y mettre » ordre. >>

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Cette négligence provenoit aussi de la confiance. trop aveugle qu'il avoit accordée à son intendant. Il lui avoit entièrement abandonné tout le soin de ses revenus et de ses affaires, sans se réserver cette surveillance générale qu'il n'auroit pu retenir et exercer, sans consumer un temps précieux (a). Cet homme ne le laissoit disposer que d'une somme qu'il étoit dans l'usage de consacrer à des actes de charité qui ne passoient que par ses mains; souvent même il se refusoit à la mettre à sa disposition, sous prétexte qu'il manquoit de fonds; et ce ne fut que très-peu de temps avant sa mort, qu'il réussit à se soustraire à un joug aussi intolérable.

Au reste, on sait que Bossuet s'étoit jugé luimême depuis long-temps sur son défaut d'aptitude aux détails économiques; on peut se rappeler, que dès 1672 il écrivoit au maréchal de Bellefonds: « Je ne me sens pas encore assez habile pour trou» ver tout le nécessaire, si je n'avois précisément » que le nécessaire; et je perdrois plus de la » moitié de mon esprit, si j'étois à l'étroit dans » mon domestique. »

Si Bossuet n'étoit pas très-habile dans l'économie intérieure de sa maison, personne ne porta (a) Mts. de Ledieu.

jamais plus loin l'économie du temps. L'emploi qu'il en avoit fait depuis qu'il étoit dans le monde, l'avoit soustrait à l'obligation de rendre et de recevoir des visites. « Je suis fort peu régulier en » visites, écrivoit Bossuet, ou plutôt je suis assez » régulier à n'en guère faire. On m'excuse, parce » qu'on sait bien que ce n'est ni par gloire, ni » par dédain, ni par indifférence; et moi je me » garantis d'une perte de temps infinie (a). » On sentoit généralement que tous les momens d'un homme tel que Bossuet appartenoient à la religion, à l'Eglise et à l'Etat; et que des considérations de société ne pouvoient pas balancer des considérations d'un ordre si supérieur. Il est facile de comprendre, combien le cabinet de Bossuet devoit s'enrichir de toutes les heures qu'il auroit perdues ou consacrées à tous ces devoirs de convention, qui consument une grande partie de

la vie.

XXIV.-Amis de Bossuet.

Bossuet étoit en amitié ce qu'il étoit en théologie, en philosophie, en politique. Il aimoit ses amis sous les rapports de leurs vertus, de leur science, de l'utilité dont ils pouvoient être à la religion. Il ne parloit jamais de lui aux autres, et n'avoit pas besoin qu'on lui parlât de lui (6). « On » doit parler de soi le moins que l'on peut, disoit » Bossuet, on ne dit jamais que des impertinences. » C'est en quoi les apologies de saint Athanase » sont admirables; il y parle toujours de lui sans » se rendre odieux. »

(2) Lettre du 25 février 1696.—(6) Notes manuscrites de Fleury.

Les dernières éditions des ouvrages de Bossuet présentent une collection volumineuse de ses lettres; et elles ne forment qu'une très-petite partie de celles qu'il a écrites. Si l'on n'y trouve pas ces épanchemens de l'ame qui échappent involontairement à saint François de Sales et à Fénelon, et qui donnent à leurs pensées et à l'expression de leurs sentimens une onction si touchante, elles sont remarquables par le caractère profondément religieux dont elles sont empreintes. Elles montrent toujours Bossuet considérant les hommes comme des voyageurs sur la terre, marchant à travers le temps pour arriver à l'éternité, et ne voyant dans leurs rapports de société que le grand but de leurs destinées, DIEU et la RELIGION. Toutes les lettres de Bossuet concernent les travaux qui l'occupoient pour la défense de la religion, ou se rapportent à l'accomplissement des devoirs dans l'ordre de la condition où la Providence a placé les personnes à qui il écrit.

On auroit tort de conclure de ces réflexions que Bossuet étoit étranger au sentiment de l'amitié. Il eut beaucoup d'amis, et ses amis étoient tous des hommes du plus grand mérite. Mais on voit que le lien qui les unissoit, étoit moins une affection du cœur, qu'un intérêt commun pour la gloire de la religion, et la noble ambition de réunir tous leurs talens et tous leurs efforts pour assurer son triomphe.

Bossuet eut le malheur de perdre des amis qui lui étoient bien chers à des titres si sacrés; et il donna des larmes sincères à leur mort. Mais on voit toujours la religion assise à ses côtés, prête à essuyer ses pleurs. Dans l'espace de quelques jours

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