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Jeudi saint à un prêtre (M. Lécuyer) de la paroisse de Versailles. Ce prêtre lui refusa l'absolution, et on devine facilement les motifs d'un pareil refus. Elle s'en plaignit au Roi, qui fit venir le curé de la paroisse (M. Thibaut). Le curé déclara que le prêtre n'avoit fait que son devoir.

Mme de Maintenon, alors à Versailles, vivant dans la société habituelle de Mme de Montespan, et très à portée d'être instruite de tous les détails d'un événement auquel ses principes de religion et de vertu lui faisoient prendre un si grand intérêt, écrivoit à la comtesse de Saint-Géran, «.que >> le Roi ne vouloit condamner ni le prêtre ni le » curé sans savoir ce que le duc de Montausier, » dont il respecte la probité, et M. de Condom, » dont il estime la doctrine, en pensoient. »

Bossuet ne balança pas à répondre, comme le « curé, que le prêtre n'avoit fait que son devoir.

» M. de Montausier, ajoute Mme de Maintenon, » a parlé plus fortement. M. de Condom reprit la » parole et parla avec tant de force; il fit venir si à

qui n'y étoit point encore, et qui n'y arriva, fort jeune, que plusieurs années après, a pu se tromper facilement sur cette date assez éloignée des temps où elle écrivoit ses Souvenirs. L'abbé Ledieu, dans ses manuscrits, fixe positivement cet événement au Jeudi saint du carême de 1675. Nous avons un témoignage encore plus décisif; nous avons sous les yeux les minutes originales des lettres que Bossuet écrivit à Louis XIV, alors à son armée de Flandre, pour l'entretenir dans ses religieuses dispositions. Il lui parle dans ces lettres des dispositions également édifiantes de Mme de Montespan. Ces lettres sont tout entières de la main de Bossuet. L'une d'elles porte la date du 20 juillet 1675, et l'autre, qui est antérieure, ne porte aucune date. Cette preuve de fait est plus décisive que sous les raisonnemens de l'auteur des Éclaircissemens.

» propos la gloire et la religion, que le Roi, à qui » il ne faut dire que la vérité, se leva fort ému, et » dit à M. de Montausier, en lui serrant la main : » Je ne la verrai plus. »

Louis XIV étoit profondément religieux; et quand Bossuet lui déclara que la morale de l'Evangile ne pouvoit admettre que des règles invariables; que les princes étoient, comme les autres hommes, soumis à l'autorité de ses saintes maximes; que des ministres lâches ou corrompus cessoient d'être les véritables interprètes de sa doctrine, quand, par foiblesse ou par complaisance, ils montroient une coupable indulgence pour de grands scandales; qu'enfin l'Eglise avoit toujours décidé dans des circonstances semblables, qu'une séparation entière et absolue étoit une disposition indispensable pour être admis à la participation des sacremens, Louis XIV fut frappé et touché du caractère de vertu et de vérité que Bossuet avoit imprimé à ses paroles; et il lui promit encore de renoncer à ses engagemens avec Mme de Montespan. Elle reçut en conséquence ordre de quitter la Cour, et fut envoyée à Paris.

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Louis XIV fit plus encore, « (a) il chargea Bos» suet de disposer Mme de Montespan à consentir » à cet éloignement. Tous les soirs Bossuet partoit » de Versailles en poste, et se rendoit à Paris. » Et dans les longs entretiens qu'il avoit avec elle, il cherchoit à adoucir son dépit et son irritation.

Qu'on se représente une femme altière et impérieuse, accoutumée à voir depuis dix ans toute la Cour et Louis XIV lui-même à ses pieds; persuadée par la servitude générale, que des actes exté( Mts. de Ledieu.

rieurs et des pratiques faciles devoient suffire pour la dispenser des règles communes ; et on aura l'idée de tous les emportemens auxquels elle se livra d'abord envers Bossuet.

« (a) Elle l'accabla de reproches; elle lui dit que » son orgueil l'avoit poussé à la faire chasser; qu'il >> vouloit seul se rendre maître de l'esprit du Roi » pour le tourner à son intérêt. » Et voyant que Bossuet n'opposoit que de la douceur et du calme à ses extravagantes déclamations, « (b) elle chercha à » le gagner par des flatteries et des promesses; elle fit » briller à ses yeux l'éclat de la pourpre, et tout ce » que les premières dignités de l'Eglise et de l'Etat » pouvoient offrir de séduisant à l'ambition (1). »

Il est difficile de comprendre que Mme de Montespan, si distinguée elle-même par l'élévation de son caractère, ait pu croire un seul moment qu'un homme dont le caractère et les principes étoient aussi établis que ceux de Bossuet, fût accessible à un pareil genre de séduction.

Une lettre de Bossuet au maréchal de Bellefonds, en date du 20 juin 1675 (2), laisse apercevoir combien il sentoit lui-même toutes les difficultés et tous les embarras de l'entreprise dans laquelle il se trouvoit engagé.

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(1) L'abbé Ledieu ajoute que Mme de Montespan avoua » souvent depuis que dans le temps où elle étoit le plus aigrie contre Bossuet, elle avoit fait faire une exacte re >> cherche de sa vie, et qu'elle n'avoit rien trouvé à reprendre >> en aucun état où il avoit été, et que la justice l'obligeoit à » lui rendre ce témoignage. >>

(2) La date de cette lettre prouve encore que cet événement doit se rapporter à l'année 1675, et nou à 1676, comme le prétend l'auteur des Éclaircissemens.

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« Priez Dieu pour moi, je vous en conjure, et » priez-le qu'il me délivre du plus grand poids >> dont un homme puisse être chargé, et qu'il fasse » mourir tout l'homme en moi, pour n'agir que » par lui seul. Dieu merci, je n'ai pas encore songé » durant tout le cours de cette affaire, que je fusse » au monde. Mais ce n'est pas tout, il faudroit être » comme un saint Ambroise, un vrai homme de » Dieu, un homme de l'autre vie, où tout parlât, >> dont tous les mots fussent des oracles du Saint» Esprit, dont toute la conduite fût céleste. Dieu >> choisit ce qui n'est pas, pour détruire ce qui est. » Il faut donc n'être pas, c'est-à-dire n'être rien » du tout à ses yeux, vide de soi-même et plein

» de Dieu. »

Cependant Louis XIV étoit sincèrement disposé à remplir les engagemens qu'il avoit pris avec Bossuet. Il se plaisoit même à les renouveler en public; et tout le monde sait la réponse fine et mesurée que lui fit Bourdaloue, lorsque le Roi, lui adressant la parole, dit : « Mon père, vous devez » étre bien content de moi, Mme de Montespan » est à Clagny. Oui, Sire, répondit Bourdaloue; mais Dieu seroit plus satisfait, si Clagny étoit à » soixante-dix lieues de Versailles. »

Louis XIV paroissoit si ferme et si décidé, que les directeurs de sa conscience crurent pouvoir lui permettre d'approcher des sacremens aux fêtes de Pâque; et il partit pour l'armée sans avoir vu Mme de Montespan, sans même lui avoir écrit.

Pendant l'absence du Roi, Bossuet continua à voir Mme de Montespan; et tel fut l'heureux effet de sa patience et de sa modération, que ses emportemens cédèrent à l'impression forte et puissante

qu'il sut donner à ses paroles et aux instructions mêlées de douceur et de fermeté qu'il ramenoit dans tous ses entretiens. Elle paroissoit même l'écouter avec plaisir, et répondre à son intérêt paternel par ses sentimens et par des actes de bienfaisance, qui au moins tournoient au profit du malheur et de l'indigence.

Ce fut pendant que le Roi étoit à l'armée, que Bossuet, autorisé et même invité par Louis XIV, lui écrivit plusieurs lettres dignes d'un Père, des premiers siècles de l'Eglise (1).

IX. Lettres de Bossuet à Louis XIV, 1675.

« SIRE,

>> Le jour de la Pentecôte approche, où Votre » Majesté a résolu de communier. Quoique je ne » doute pas qu'elle ne songe sérieusement à ce qu'elle a promis à Dieu, comme elle m'a commandé de l'en faire souvenir, voici le temps où »je me sens le plus obligé de le faire.....

D

» Jamais, Sire, votre cœur ne sera paisiblement » à Dieu tant que cet amour violent qui vous a si long-temps séparé de lui, y régnera. Cependant, » Sire, c'est ce cœur que Dieu demande. Votre » Majesté a vu les termes avec lesquels il nous » commande de le lui donner tout entier. Elle m'a » promis de les lire et de les relire souvent. Je » vous envoie encore, Sire, d'autres paroles de ce » même Dieu, qui ne sont pas moins pressantes,

(1) Ces lettres ont été imprimées pour la première fois dans le tome ix de l'édition des OEuvres de Bossuet donnée par D. Déforis. Nous les copions sur les minutes originales de la main de Bossuet. Voyez l'édition de Versailles in-8°, tom. xxxvii, p. 82 et suiv.

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