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indépendance, et de suivre, dans chaque supposition donnée, les vœux d'une sage et équitable Politique. C'est par cette raison qu'on n'avoit stipulé, pour la co-opération, qu'un Corps d'Armée d'une force déterminée et comparativement peu considérable; les Forces qui existoient déjà dans le Pays où qu'on vouloit encore rassembler, ne prirent aucune part à cette Guerre. Le Territoire de la Monarchie, par une espèce de convention tacite, fut regardé comme Neutre par toutes les Puissances Belligérantes. Le véritable sens, et le but du système adopté par Sa Majesté, ne pouvoit pas plus échapper à la France qu'à la Russie, ou à l'Observateur éclairé des événemens publics.

La Campagne de 1812 a fourni, dans un exemple mémorable, la preuve qu'une entreprise soutenue par des Forces gigantesques peut périr entre les mains d'un Capitaine du premier ordre, quand le sentiment de ses grands talens militaires lui fait braver les limites de la nature et les préceptes de la sagesse. Un prestige de gloire a entraîné l'Empereur Napoléon jusques dans les profondeurs de l'Empire de Russie, et un faux point-de-vue politique lui a fait croire, qu'il pourroit dicter la Paix à Moscou, paralyser la Puissance Russe pour un demisiècle, et s'en retourner victorieux. Quand la noble fermeté de l'Empereur de Russie, les hauts faits de ses Guerriers, et l'inébranlable fidélité de ses Peuples avoient dissipé ce songe, il n'étoit plus temps de se livrer à de stériles regrets. Toute l'Armée Françoise fut dispersée et détruite; en moins de 4 mois le théâtre de la Guerre fut transféré du Dniepr et de la Duina sur l'Oder et sur l'Elbe.

Ce revers de fortune, aussi rapide qu'extraordinaire, étoit le présage d'une importante révolution dans l'ensemble des rapports politiques de l'Europe. L'Alliance entre la Russie, la Grande Bretagne, et la Suède offroit un nouveau point de réunion aux Etats circonvoisins. La Prusse, depuis long-temps familiarisée avec la courageuse résolution de recourir aux dernières extrémités, de préférer même le danger d'une mort politique immédiate à une longue agonie sous le pouvoir oppresseur qui minoit ses Forces, saisit le moment favorable et se jeta dans les bras des Alliés. Plusieurs Princes Allemands plus ou moins puissans étoient prêts à en faire autant. Partout les vœux inquiets des Peuples dévançoient la marche régulière des Gouvernemens; partout on voyoit s'allumer chez eux le désir de l'indépendance sous l'égide de leurs propres Lois, le sentiment de l'honneur national outragé, l'indignation contre l'abus d'un pouvoir Etranger.

Sa Majesté l'Empereur, trop éclairée pour ne pas regarder cette tournure des choses comme la suite naturelle et nécessaire de la tension violente qui l'avoit précédée, et trop juste pour la considérer avec indignation, n'avoit fixé son point-de-vue que sur les moyens de l'utiliser pour le bien général de l'Europe par des mesures mûrement pesées et heureusement combinées. Dès le commencement de

Décembre le Cabinet Autrichien avoit fait des démarches prononcées pour amener l'Empereur Napoléon à une Politique équitable et pacifique, par des raisons qui touchoient d'aussi près son propre bien-être que l'intérêt du Monde. Ces démarches furent répétées et renforcées de temps en temps. On se flattoit que l'impression des malheurs passés, l'idée de l'inutilité du sacrifice d'une Armée immense, la nécessité d'employer des mesures de rigueur pour réparer ces pertes, l'éloignement prononcé de la Nation Françoise et de tous les Pays enveloppés dans son sort pour une Guerre qui, sans leur offrir la perspective d'un dédommagement, les épuisoit et les déchiroit dans leur intérieur, qu'enfin de sages réflexions sur l'incertitude de l'issue de cette nouvelle crise infiniment redoutable, porteroient l'Empereur Napoléon à écouter les représentations de l'Autriche. Le ton de ces représentations étoit parfaitement adapté aux circonstances: il étoit aussi ferme que l'exigeoit la grandeur de l'objet, aussi modéré que le désir du succès et les relations amicales subsistantes pouvoient l'inspirer.

On ne pouvoit sans doute pas s'attendre à voir rejeter positivement des ouvertures qui partoient d'une source aussi pure; mais la manière dont elles furent reçues, et plus encore le contraste frappant que présentoient les sentimens de l'Autriche avec la conduite de l'Empereur Napoléon, au moment où ces tentatives pacifiques avoient échoué, détruisirent bientôt les plus belles espérances.

Au lieu de dissiper, par un langage modéré, les ténèbres de l'avenir, et de calmer le désespoir général, les premières Autorités en France annonçoient hautement, à chaque occasion, que l'Empereur Napoléon n'écouteroit jamais la proposition d'une Paix qui violeroit l'intégrité du Territoire François, (dans l'acception Françoise du terme) ou dont les conditions porteroient sur aucune des Provinces qui y avoient été arbitrairement réunies. En même temps on parla, tantôt avec une indignation menaçante, tantôt avec un mépris amer, de conditions éventuelles qui ne touchoient pas même les limites tracées par sa simple volonté, comme si l'on avoit craint de ne pas indiquer assez clairement, que l'Empereur Napoléon étoit décidé à ne porter aucun sacrifice essentiel à la tranquillité du Monde.

Ces manifestes hostiles entraînoient pour l'Autriche l'inconvénient de présenter sous un jour aussi faux que désavantageux les exhortations pacifiques que son Cabinet, du su et de l'assentiment apparent de la France, faisoit parvenir à d'autres Cours. Les Souverains ligués contre la France opposoient, pour toute réponse, aux propositions de négociation et de médiation de l'Autriche, les Déclarations publiques de l'Empereur des François. Lorsque l'Empereur, au mois de Mars dernier, envoya un Ministre à Londres, pour inviter l'Angleterre à prendre part à des Négociations de Paix, le Ministère Britannique répondit, qu'il ne pouvoit croire que l'Autriche conservât encore des

espérances de Paix, l'Empereur Napoléon ayant manifesté dans l'intervalle des sentimens qui ne pouvoient mener qu'à éterniser la Guerre. Plus cette réponse étoit juste et fondée, plus elle devoit être pénible à Sa Majesté.

L'Autriche n'en continua pas moins ses efforts pour persuader l'Empereur des François, de la manière la plus précise et la plus forte, de la nécessité urgente de la Paix, se fondant, dans chaque démarche de cette nature, sur la conviction, que la prépondérance exorbitante de la France ayant détruit l'équilibre et l'ordre en Europe, une véritable Paix ne pouvoit avoir lieu sans qu'on mît des bornes à cette prépondérance. En même temps Sa Majesté prit toutes les mesures nécessaires pour renforcer et concentrer ses Armées. L'Empereur sentit que l'Autriche devoit être préparée à la Guerre, si son intervention en faveur de la Paix ne devoit pas être tout-à-fait illusoire. Sa Majesté ne s'étoit d'ailleurs plus caché depuis long-temps, que la chance de sa participation immédiate à la Guerre ne devoit pas être exclue de ses calculs. La situation des choses, telle qu'elle avoit été jusqu'à cette époque, ne pouvoit plus longtemps subsister: l'Empereur étoit pénétré de cette conviction, et c'étoit elle qui guidoit chacune de ses démarches. Cette conviction devoit se renforcer par le mauvais succès qu'éprouvoit déjà dès le principe chaque tentative pacifique. Le résultat étoit facile à calculer: il falloit arriver à un autre ordre des choses, soit par les Négociations, soit par la force des Armes.

L'Empereur Napoléon avoit non seulement prévu les armemens de l'Autriche, mais il les avoit jugés nécessaires, et il les avoit désirés et approuvés dans plus d'une occasion. Il avoit assez de raisons pour croire, que Sa Majesté l'Empereur mettroit de côté, dans un moment aussi décisif pour le sort du Monde, toute considération personnelle ou passagère; qu'elle ne consulteroit que le bien-être durable de son Empire et des Etats qui l'environnent, et qu'elle ne se décideroit que d'après ces motifs puissans. Le Cabinet Autrichien ne s'étoit jamais prononcé dans un sens qui pût admettre une interprétation différente, et Personne n'étoit en droit d'attendre que l'Empereur prêteroit les mains à de nouveaux bouleversemens en Europe. Malgré cela, la France ne se borna pas à reconnoître, que la médiation de l'Autriche ne pouvoit être qu'une médiation armée, mais elle déclara plus d'une fois, que, dans les circonstances d'alors, l'Autriche ne pouvoit plus se contenter d'un rôle secondaire, et qu'elle devoit se présenter sur la scène avec des Forces imposantes, et décider les questions comme Puissance principale. Quelles que fussent les espérances ou les craintes que la France plaçoit dans l'Autriche, cet aveu renfermoit la justification préalable de la marche suivie par Sa Majesté l'Empereur.

Les événemens étoient développés jusqu'à ce point lorsque l'Empereur Napoléon quitta Paris pour mettre des bornes aux progrès des [1812-14.] 3 G

Armées Alliées. Les Ennemis même ont rendu hommage à l'héroïsme manifesté par les Troupes Russes et Prussiennes, dans les sanglans combats du mois de Mai. C'est autant à la supériorité du nombre des Armées Françoises, et au génie militaire que tout le Monde reconnoît à leur Chef, qu'aux combinaisons politiques qui ont dirigé toutes les entreprises des Souverains Alliés, qu'il faut attribuer, que ce premier période de la Campagne ne leur a pas été plus favorable. Ils partirent de la supposition fondée, que la cause pour laquelle ils combattoient ne pouvoit pas longtemps leur rester personnelle; que tôt ou tard, dans le succès comme dans le malheur, tout Etat qui n'étoit pas entièrement dépouillé de sa liberté, et toute Armée indépendante devoit se ranger de leur côté. Ils ne laissèrent donc un libre essor à la valeur de leurs Troupes qu'autant que le commandoit le moment, et réservèrent une partie considérable de leurs Forces pour celui, où, munis de moyens plus étendus, ils pourroient atteindre des succès plus entiers. C'est par la même raison, et pour attendre le développement ultérieur des événemens, qu'ils se prêtèrent à la signature d'un Armistice.

En attendant, la Guerre avoit pris pour le moment, par la retraite des Alliés, une tournure qui devoit convaincre l'Empereur de plus en plus, qu'il seroit impossible qu'il restât plus longtemps Spectateur tranquille de sa continuation. Avant tout, le sort de la Monarchie Prussienne devoit vivement occuper l'attention de Sa Majesté. L'Empereur se persuada, que le rétablissement de la puissance de la Prusse étoit le premier pas vers celui du système politique de l'Europe; le danger qui la menaçoit alors, lui parut être celui que couroient ses propres Etats. L'Empereur Napoléon avoit fait déclarer à la Cour de Vienne, dès le mois d'Avril, qu'il regardoit la destruction de la Monarchie Prussienne comme une suite naturelle de sa défection de l'Alliance Françoise et de la continuation de la Guerre, et qu'il ne dépendoit que de l'Autriche de réunir à ses Etats la plus importante et la plus belle de ses Provinces. Cette Déclaration prouvoit clairement qu'il ne falloit négliger aucun moyen de sauver cette Puissance. Si ce grand but ne pouvoit être atteint par une Paix raisonnable, la Russie et la Prusse devoient être soutenues par une co-opération efficace. C'est en partant de ce point-de-vue naturel, sur lequel la France même ne pouvoit plus se faire illusion, que Sa Majesté continua ses armemens avec une activité infatigable. Elle quitta sa résidence dans les premiers jours de Juin, et se rendit dans les environs du théâtre de la Guerre, pour travailler, d'un côté avec d'autant plus d'activité à négocier une Paix qui étoit toujours le premier de ses vœux, et pour diriger, de l'autre, avec d'autant plus d'énergie les préparatifs de la Guerre, s'il ne devoit rester d'autre parti à prendre à l'Autriche.

Peu avant, l'Empereur Napoléon avoit fait annoncer qu'il avoit

proposé un Congrès de Paix à Prague qui devoit réunir des Plénipotentiaires de France, des Etats-Unis de l'Amérique, du Dannemarc, du Roi d'Espagne et de tous les Princes Alliés, et, de l'autre part, des Plénipotentiaires de l'Angleterre, de la Russie, de la Prusse, des Insurgés Espagnols et des autres Alliés de cette Masse Belligérante, pour asseoir les bases d'une longue Paix. On ignoroit absolument à Vienne, où l'on n'avoit eu connoissance de la chose que par les Feuilles publiques, à qui cette proposition devoit être adressée, par quelle voie, dans quelle forme diplomatique et par quel organe elle devoit se faire. On comprenoit si peu, au reste, comment on pourroit amener l'exécution d'un pareil projet, et de quelle manière on feroit ressortir une Négociation de Paix d'une réunion d'élémens tellement hétérogènes, qui ne pouvoit ni fixer une base universellement adoptée, ni préparer un plan général, qu'il étoit permis de voir, dans cette proposition, plutôt un rêve d'imagination, qu'une invitation sérieuse à une grande mesure politique.

Intimement persuadée des difficultés qui s'opposoient à une Paix Générale, l'Autriche avoit, depuis longtemps, fixé son attention sur la question si on ne pouvoit pas s'approcher lentement, et pour ainsi dire pas à pas, de ce but éloigné et difficile à atteindre; et elle s'étoit prononcée dans ce sens sur l'idée d'une Paix Continentale, tant envers la France, qu'envers la Russie et la Prusse. Ce n'est pas que

l'Autriche eût méconnu un instant la nécessité et l'immense prix d'une Paix négociée et arrêtée de concert entre toutes les Grandes Puissances, sans laquelle il ne peut y avoir pour l'Europe ni sûreté ni bien-être, ou qu'elle eût admis que le Continent pût exister si l'on cessoit un moment de regarder sa séparation de l'Angleterre comme un coup mortel: mais les Négociations proposées par l'Autriche, depuis que les Déclarations repoussantes de la France avoient fait évanouir tout espoir d'une participation de l'Angleterre à des Négociations Générales, devoient être considérées comme partie nécessaire d'une Négociation future plus étendue, d'un véritable Congrès Général; elles devoient le préparer, fournir des Articles Préliminaires au Traité principal, et frayer le chemin, par un long Armistice Continental, à une Négociation plus vaste et plus solide. Si le point-de-vue de l'Autriche eût été différent, la Russie et la Prusse, liées à l'Angleterre par les Traités les plus solemnels, ne se seroient jamais décidées à se rendre à l'invitation du Cabinet Autrichien.

Après que les Cours de St. Pétersbourg et de Berlin, guidées par une confiance très-flatteuse pour Sa Majesté l'Empereur, se fussent déclarées prêtes à donner les mains à un Congrès de Paix sous médiation Autrichienne, il s'agissoit de s'assurer de l'assentiment formel de l'Empereur Napoléon, et de convenir de ce côté-là des mesures qui devoient conduire immédiatement à la négociation de Paix. Dans. cette vue Sa Majesté se décida, dans les derniers jours de Juin, à

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