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« La Chambre des Représentans, interprète des sentimens de la nation qu'elle représente, déclare que la nation française renonce à jamais à toute conquête (On rit...), à toute guerre offensive; qu'elle respecte l'indépendance des nations et des souverains; qu'elle ne prend les armes que pour la défense de sa liberté et de son indépendance, pour venger les outrages dont elle ne peut obtenir la réparation, ou pour défendre un allié injustement attaqué. (On rit, et l'attention est suspendue.)

M. Crochon conclut à ce que cinq plénipotentiaires soient porteurs de cette déclaration adressée aux souverains, et chargés d'ouvrir les négociations à leur quartier-général. (Cette proposition excite de nouveaux murmures.)

M. Duchesne. « Dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons, le premier devoir d'un Représentant du peuple est la vérité. Je ne pense pas que le projet, proposé par la commission, puisse atteindre le but qu'on se propose, et voici mes motifs: Nos désastres sont grands; on ne peut le nier, puisqu'on n'a Fas osé les avouer. On dit que l'énergie nationale n'a point de bornes; mais les moyens d'une nation peuvent en avoir. On rappelle notre situation en 1791; je voudrais qu'elle fût la même. On nous a cité l'exemple des Espagnols et d'autres peuples... Mais il ne faut pas nous faire illusion... N'est-il pas vrai de dire que, malheureusement, nous n'avons pas en France l'unanimité des sentimens qui peut seule... (Violens murmures.) (Remarquez que quand un Député veut dire la vérité, sa voix est aussitôt étouffée par des murmures, par des cris; ces messieurs ne veulent entendre que des men. songes débités au nom de la nation dont ils prolongent les malheurs.)

<< Il résulte des renseignemens nombreux qui nous ont été transmis, que les puissances étrangères ne veu

lent point recevoir nos négociations, par la seule raison qu'elles sont offertes au nom de l'Empereur. >>

M. le président annonce qu'avant trois heures la Chambre doit recevoir le message de l'Empereur. Plusieurs voix demandent qu'il soit reçu en comité sécret. (Murmures.) Un membre propose que, jusqu'à trois heures, la Chambre se retire dans les bureaux. L'ordre du jour écarte cette proposition.

M. Duchesne termine son discours, en proposant d'engager l'Empereur au sacrifice que le salut public et l'intérêt de la patrie semblent exiger impérieusement, à donner une abdication formelle. Cette conclusion est vivement appuyée, et excite en même temps de nombreuses réclamations. (On crie aux voix; on crie qu'il faut attendre le message annoncé.)

Un membre. « Il s'agit du salut de la patrie, et on voudrait nous interdire la parole!... »

Un autre membre. « Et moi aussi, je partage les vives inquiétudes exprimées par notre collègue Duchesne... On s'occupe, en ce moment, au Gouvernement de vous proposer un projet qui conservera à la Chambre l'honneur de n'avoir pas provoqué une démarche qui semblera venir de la seule volonté du monarque. Suivant la proposition du préopinant, une commission de cinq membres se rendra auprès de l'Empereur, lui exposera l'urgence de la décision, et rapportera, avec elle, de quoi satifaire les intentions de l'Assemblée, et les... désirs de la Nation. (Appuyé! aux voix!)

L'orateur remonte à la tribune, et fait part d'une observation d'un collègue qui juge plus convenable d'attendre une heure. (Oui, du côté droit, non, du côté gauche.)

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Un membre: « Messieurs, nous voulons tous sauver la patrie; mais si elle peut être conservée en observant quelques convenances envers le chef de l'Etat, pour

quoi (oui! oui!) ne pas attendre une heure? (Oui! aux voix!) »

La Chambre, consultée, décide qu'elle attendra, et la séance est suspendue.

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Le ministre de la guerre entre dans la salle. Sur l'invitation de M. le Président, il monte à la tribune, et annonce à l'Assemblée « que, d'après les nouveaux renseignemens qui lui sont parvenus, les désastres de l'armée du Nord ne sont pas aussi considérables que le premier rapport a pu les faire juger. Un officier d'ordonnance du prince Jérôme, écrit d'Avesne, le 20 à midi, qu'il a trouvé la route couverte de soldats, qu'il évalue à 20,000 le nombre des fuyards. On a arrêté à La Fère, des cuirassiers répandant de fausses alarmes. « Le duc de Dalmatie était le 20 à Rocroi; 10,000 hom-. mes s'étaient ralliés de ce côté.

« Le comte de Lobau a battu, le 18, les Prussiens... On espère que le maréchal Grouchy pourra repasser la Sambre avec son corps. On peut compter sur la conservation des 3° et 4° corps, enfin sur un total de 60,000 hommes ralliés de l'armée du Nord.

« Sous peu de jours, 200 pièces seront attelées à Paris.

<< Mais les malveillans s'agitent; et si la Chambre déclarait traître à la patrie quiconque abandonnerait ses drapaux, les ennemis de l'intérieur ne parviendraient pas à désorganiser l'armée comme on y est parvenu en 1814, et on ne se livrerait pas pieds et mains liés à un ennemi qui a déjà prouvé qu'il ne réalisait pas toutes ses promesses. >>

Un membre demande au ministre s'il peut assurer que l'ennemi n'a pas déjà des troupes légeres en deçà de Laon.

Le ministre assure que ce sont de fausses nouvelles, ainsi que celles qui font marcher des troupes contre

l'Assemblée, et que ce dernier point sera toujours faux tant qu'il sera ministre de la guerre.

Un membre remplace le ministre à la tribune: —-Les communications tardives, que vous venez de recevoir, sont tristes. (Violente rumeur; on veut que l'orateur soit rappelé à l'ordre.)

Le maréchal Davoust remonte à la tribune. « Ces nouvelles ne sont point tardives. M. Regnault était présent lorsqu'elles me sont parvenues. »

L'Assemblée retire la parole au membre dont les expressions ont excité ce tumulte.

M. Flaugergues, « La Chambre peut s'en fier à un ministre sur la véracité d'un rapport. Une expression peut être déplacée; mais un membre n'est pas l'Assemblée. Je demande qu'on n'attende pas la justification du ministre qui n'est pas accusé par la Chambre. » Un membre demande qu'il soit fait mention au procès-verbal du rapport du maréchal Davoust. ( Appuyé.)

A deux heures, M. le président invite les étrangers qui remplissent les couloirs de la salle à se retirer. Un de ces couloirs est rempli d'officiers de la Garde natiotionale. L'Assemblée décide spontanément que MM. les officiers de la Garde nationale, de service auprès de la Chambre, auront le droit d'assister à ses séances, et ils restent.

On introduit les ministres de la police, de la marine et des relations extérieures.

M. le ministre de la police donne lecture du message de l'Empereur. (Voyez séance de la Chambre des Pairs, page 134.)

Le ministre ajoute: « Je recommande à la Chambre de se prononcer en faveur des principes et des lois pour lesquels il a coulé tant de sang depuis 25 ans. Je n'ai pas besoin de recommander les égards dus à celui qui fut notre Empereur; ce n'est pas au moment où il est malheureux, qu'ils peuvent être oubliés. Je prie la Cham

bre de nommer sans délai une députation chargée de négocier auprès des puissances alliées; il est nécessaire qu'elle soit nommée, séance tenante, et qu'elle parte demain.

M Dupin. «Messieurs, l'abdication de Napoléon, pour être nécessaire dans les circonstances, n'en doit pas moins avoir un grand mérite aux yeux de la nation. Elle est une preuve qu'en effet Napoléon voulait sa liberté et son bonheur.

(Napoléon, mieux instruit que M. Dupin et ses collègues, connaissait au juste l'état des affaires; il savait qu'il ne lui restait plus aucune ressource; et comme il avait fui de l'armée pour se sauver, il s'est résigné à abdiquer une seconde fois pour sauver non la France mais sa personne. Dire que Napoléon voulait la liberté et le bonheur des Français, quand il les avait rendus esclaves, quand il a accumulé sur eux tous les genres de calamités, c'est se mentir à soi-même, c'est insulter à la nation, c'est outrager la foi publique, et se déclarer imposteur aux yeux de la postérité.)

« Je propose que la Chambre déclare 1o que le salut 10 public étant la loi suprême, au nom du peuple français, elle accepte l'abdication qui vient de vous être lue.

« 2° Qu'elle se déclare Assemblée Nationale.

« 3° Qu'elle députe cinq commissaires aux puissances pour leur proposer, au nom du peuple français, une paix dont les bases seront l'indépendance, le maintien des droits de la France, et l'inviolabilité de Napoléon.

« 4° Qu'il soit nommé sans retard une commission. exécutive de cinq membres, dont trois de la Chambre des Représentans, et deux de celle des Pairs, chargée de prendre toutes les mesures convenables, de nommer un généralissime, et de continuer les ministres. dans leurs fonctions..

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