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CHAMBRE DES REPRÉSENTANS. (Séance du 16 juin.)

Le suppléant du général Rapp, nommé député, puis Pair par Buonaparte, écrit au président, pour solliciter une décision de la Chambre qui doit, selon lui, faire opter le général entre ces deux fonctions. Dans une si grande affaire, on aurait été étonné de ne pas entendre M. Dumolard: aussi se lève-t-il pour appuyer la réclamation du suppléant. Il demande que M. le président invite le général Rapp à déclarer s'il veut être membre de la Chambre des Pairs ou de celle des Représentans. (Murmures.)

M. Crochon fait adopter l'ordre du jour motivé sur une disposition des Constitutions qui porte que tout membre qui ne se rendra pas à son poste dans le délai d'un mois, à dafer de l'ouverture de la session, sera censé démissionnaire.

M. Dubois donne lecture de la proposition qu'il a déposée hier sur le bureau : elle a pour objet l'abolition des confiscations des biens meubles et immeubles, relativement à toute espèce de délit, si ce n'est en matière de contrebande. L'Assemblée en ajourne les développemens à mardi.

M. Boulay (de la Meurthe ), ministre d'état et représentant, monte à la tribune: il annonce d'abord que S. M. a institué le prince Joseph président du conseil de régence, chargé de recevoir les communications des deux Chambres, en son absence.

Il donne ensuite lecture du rapport signé par le duc de Vicence, et adressé à l'Empereur, sur tout ce qui s'est passé depuis le premier mars; sur les efforts qui ont été faits pour conserver la paix, et les réponses et démarches des puissances étrangères.

Rapport à l'Empereur.

Sire, l'exposé que j'ai eu l'honneur de soumettre, le 12 du mois d'avril, à V. M. et à son conseil, de l'état de la relation de la France avec les puissances étrangères, a déjà fait connaître combien les dispositions de la plupart de ces puissances étaient loin de se trouver en rapport avec les sentimens modérés et pacifiques dont V. M. leur donnait l'exemple. La même différence a continué depuis à se faire apercevoir. Tout, d'un côté, a pour objet le maintien de la paix de l'autre, tout respire la guerre. On voit, d'une part, les explications les plus tranquillisantes; de l'autre, des déclarations qui ont le caractère de l'hostilité la plus prononcée; ici, toutes les avances que la dignité nationale peut pe mettre; là, un refus dédaigneux de répondre, que devrait interdire la simple loi des convenances; enfin, dans les démarches de V. M., la volonté sincère de prévenir le renouvellement des malheurs de l'Europe; et dans celle des cabinets étrangers, une froide indifférence sur le sort des nations, qui semble se faire un jeu de livrer aux écarts des passions individuelles toutes les chances de l'avenir. Cet éclatant contraste n'a pu manquer de frapper viveinent les hommes éclairés de tous les pays, et surtout le peuple français, si bon juge dans une cause à laquelle se lient toutes ses destinées.

Quatre puissances surtout nous apparaissent sous un aspect menaçant:

L'Angleterre, en sa qualité d'ennemi naturel et constant de la puissance francaise ;

La Prusse, à raison d'un accroissement trop rapide qui, la mettant en contact avec notre territoire, lui fait craindre l'etablissement en France de toute autorité capable de repousser les envahissemens d'une ambition illimitée.

L'Autriche et la Russie, cherchant à se préserver d'une rupture entre elles par leur accord dans une guerre dont elles espèrent que les résultats leur fourniront les moyens de s'entendre sur des concurrences d'intérêts et d'influences difficiles à concilier. Il était permis de penser que la première déclaration du congrès était l'ouvrage précipité des sentimens confus que l'on n'avait pas su contenir. Tous les amours-propres, tous les intérêts de vanité et d'orgueil, s'étaient trouvés mis en jeu, et livrés, comme par surprise, à une explosion involontaire. Aigris par leur contact même, les vieux ressentimens avaient pu reprendre leur ancienne énergie ; mais on devait espérer que la sagesse vien

drait plus tard faire entendre ses conseils, et que les passions, se calmant par degrés, permettraient d'écouter la voix de la raison. Votre Majesté se plaisait à nourrir cet espoir, et ce n'est qu'à regret qu'elle s'est vue contrainte d'y renoncer.

Telle a été la suite presque inévitable d'un acte de premier mou. vement. La difficulté du retour dispose à faire de nouveaux pas en avant, et les calamités des peuples doivent prouver au monde la prétendue infaillibilité des souverains. D'ailleurs les démonstrations d'une inimitié, portée au delà de certaines bornes, servent quelquefois à déguiser des combinaisons réfléchies, et la haine même est un calcul. C'est de ce double principe que partent incontestablement les déterminations des puissances alliées.

La première conséquence de leur déclaration du 13 mars fut la conclusion du traité du 25 du même mois. Le même esprit a dicté l'un et l'autre. Quoique l'on ait prétendu en Angleterre qu'à cette époque les puissances supposaient que la Cour Royale aurait quitté Paris, des données positives, puisées dans les dépêches mêmes des plénipotentiaires de France au congrès, ont fait connaître à V. M. la fausseté de cette assertion. Ce fut donc encore la passion qui, le 25 mars, signa le traité à Vienne; mais ce fut le sang-froid qui le ratifia à Londres le 8 avril.

L'opinion publique a déjà porté un jugement sans appel sur la nature de cette convention, dont la teneur captieuse reproduit sans cesse le nom de paix pour en faire sortir une déclaration de guerre. Présenter cette convention comme un renouvellement du traité de Chaumont, est le chef-d'œuvre d'une inconséquence raisonnée qui sait trouver dans la substance d'un acte défensif les élémens d'une alliance agressive.

J'ai l'honneur de mettre sous les yeux de V. M. cette convention du 25 mars, accompagnée de quelques observations sur ce qu'il y a de plus choquant et de plus contradictoire dans les stipulations dont elle se compose, et dans les motifs allégués pour les justifier. La substance de tous ces motifs est une grande affectation d'inquiétude pour l'avenir; et de ces craintes pour l'avenir, on tire l'induction qu'il faut agiter la génération actuelle. On déguise l'attaque sous le voile de la défense; on cache le glaive sous le boucler.

Si nous sommes autorisés à croire qu'il est quelques cabinets que le chagrin de la présomption déçue retient dans la fausse route où ils ont engagé leurs souverains, il en est un sur lequel n'agissent point ces causes secondaires et dont un sentiment profond dirige constamment toutes les démarches. Ce cabinet est celui de Londres. Sa politique invariable n'ayant qu'un but, l'abaissement de la grandeur française, ce que le gouvernement

britannique voulait la veille, il le veut le lendemain; et dès qu'il voit une chance à nous susciter des ennemis, on dirait qu'il aurait peur de trahir ses devoirs s'il négligeait d'en profiter. Dans le premier moment il a été facile d'apercevoir que les résolutions du ministère anglais étaient fixes et fermement arrêtées. La réponse de lord Castlereagh à la lettre que je lui avais adressée le 4 avril, ne pouvait laisser aucun doute à cet égard. En faisant communiquer cette lettre aux souverains assemblés à Vienne le ministère britannique semblait faire dépendre sa décision de celle des alliés ; mais en effet c'était son influence qui donnait le mouvement aux puissances continentales. Renvoyer, nos propositions à Vienne, c'était les soumettre à un tribunal dont toutes les voix étaient à ses ordres; c'était demander le calme là où elle formait elle-même les orages, et aller chercher la paix au milieu de élémens de la guerre.

Dans le même temps que le gouvernement anglais faisait une insignifiante réponse à la notification dont j'avais été l'organe, il s'occupait avec activité de ses propres préparatifs et des moyens d'accélérer ceux des autres puissances. Des les premiers jours d'avril, sans déclarer si la question de la guerre ou de la paix était déjà décidée, il faisait adopter toutes les mesures que la certitude de la guerre aurait pu exiger; il obtenait le rétablissement de l'incometax, dont le cri public avait nécessité la suppression; il ouvrait des emprunts, et prenait avec les puissances des arrangemens sur le secours pécuniaire qu'il aurait à leur fournir. Le 8 avril, ses intentions, qu'il avait jusque-là couvertes d'une sorte de dissimulation, se manifestèrent sans reserve. Il déclara aux chambres que le prince régent avait ratifié le traité du 25 mars, et que des pouvoirs étaient envoyés aux plénipotentiaires britanniques pour signer des traités de subsides.

A l'époque du 25 mars, on avait pu, à Vienne regarder comme possible le maintien de la famille des Bourbons sur le trône. La rédaction du traité, telle qu'elle était conçue, avaît ainsi un double objet, l'un de protection en faveur de cette famille, l'autre d'opposition à l'égard de V. M. L'état de la question étant changé pour le gouvernemen anglais, il jugea qu'il était temps de simplifier le but de la guerre. Il modifia, en conséquence, le traité par l'addition d'un article explicatif portant que l'Angleterre n'entendait point poursuivre la guerre uniquement dans l'intention d'imposer à la France un gouvernement particulier. Plusieurs motifs, sans doute ont pu déterminer le ministère à cette modification; mais le premier de ces motifs à été de présenter à la France la personne de V. M. comme séparée de la cause du peuple français. L'Europe sait dès long-temps de quel genr d'intérêt les Bourbons ont à remercier l'Angleterre. Aujourd'hu

cette puissance renonce à un déguisement inutile, lorsqu'elle trouve dans ce changement une arme de plus contre V. M. Que lui importe en effet la maison par laquelle la France sera gouvernée, pourvu que cette Maison consente à se placer dans sa dépendance? C'est l'honneur de la France, ce sont ses libertés, ses droits, ses intérêts que le gouvernement anglais attaque et veut atteindre. Si l'article explicatif pouvait être entendu dans un autre sens, s'il pouvait être regardé comme un gage véritable des égards de la cour de Londres pour l'indépendance des peuples, de quel droit cette cour viendrait-elle se placer entre le peuple français et son souverain?

Ce plan d'attaque, imaginé par le ministère britannique, a paru, aux cabinets des autres puissances, une invention capable de soulever la nation française contre Votre Majesté. Dans cette idée, l'article explicatif est devenu pour elles un dogme commun, ou du moins une profession de foi commune. A les entendre, elles ne prétendent en aucune manière gêner la France dans le choix de son gouvernement; et, pour gage de leur sincérité, elles nous offrent la déclaration solennelle revêtue même de la s gnature des plénipotentiaires de Louis XVIII!..... Elles semblent croire que l'artificieuse distinction qu'elles établissent entre V. M. et la nation française est un de ces traits acérés dont les blessures sont sans remède. C'est cette insignifiante subtilité, ce sophisme banal qui fait maintenant le fond de tous les discours du ministère britannique, le fond de tous les actes du congrès et de tous les actes particuliers des diverses cours. Votre Majesté le retrouvera dans plusieurs pièces que j'ai l'honneur de lui soumettre.

1o. Une lettre du vicomte Clancarty au vicomte Castlereagh, datée de Vienne, le 6 mai;

2o. Une note de M. de Metternich, datée du 9.

3°. Une nouvelle déclaration des puissances, en date du 12 du même mois.

Ce serait en vain qu'on chercherait dans toutes ces pièces une objectiu solide, ou indication de quelque nouveau grief qui justifie la ligue formée pour nous asservir. On se borne partout à prétendre que les droits et l'indépendance des nations sont compromis par le seul fait du retour de V. M. Quels sont donc les monarques irréprochables qui montrent aujourd'hui tant de sollicitude pour les droits et pour l'indépendance des peuples, lorsque ces droits sacrés n'ont à redouter aucune atteinte?

Ne sont-ce pas les mêines princes qui, après avoir appelé toutes les nations aux armes, sous le prétexte de les délivrer du joug de la France, les ont accablées du poids d'une domination plus odieuse que celle qu'ils avaient prétendu détruire?

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