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son projet, en les prévoyant tous, en a gradué et proportionné les peines.

On ordonne l'ajournement.

M. Durbach se présente à la tribune pour faire un rapport au nom de la commission des dépenses. On demande que l'Assemblée se forme en comité secret. M. Cambon, si versé, comme on sait, dans les affaires de finance, veut qu'on délibère publiquement. Après plusieurs débats pour et contre, l'Assemblée décide que le comité secret aura lieu.

M. Regnault demande à lire à la Chambre un rapport sur la situation intérieure de l'Empire par le ministre de la police générale. La Chambre arrête que le ministre d'Etat sera entendu.

Rapport du Ministre de la Police générale.

SIRE, chargé par V. M. de lui faire connaître la situation de l'Empire, sous les rapports de l'ordre et de la sûreté publique, c'est d'après cette connaissance que les Chambres pourront apprécier les mesures que le Gouvernement a prises, et délibérer sur celles que la crise actuelle rend nécessaires.

Tandis que V. M. marche à la tête des armées françaises pour repousser des forces étrangères, elle a le droit d'attendre de l'énergie et de la fidélité des Représentans de la nation les moyens légaux d'arrêter et de punir les entreprises des ennemis inté

rieurs.

Toutefois, Sire, ces ennemis, aujourd'hui comme précédemment, sont peu nombreux; ils ne s'agitent que dans quelques départemens, et dans ceux où ils ont le plus de succès, la masse de la population les rejette, les désavoue, et n'aspire qu'à s'en séparer.

Je vous dois dire la vérité toute entière. Nos ennemis ont de l'activité, de l'audace, des instrumens au dehors, des appuis au dedans. Ils n'attendent que le moment favorable pour réaliser le plan conçu depuis vingt ans, et depuis vingt ans déjoué, d'unir le camp de Jales à la Vendée, et d'entraîner une partie de la multitude dans cette conspiration qui s'étend de la Manche à la Méditerranée.

Dans ce système, les campagnes de la rive gauche de la Loire, dont la population est plus facile à égarer, sont le perpétuel

foyer de l'insurrection, qui doit, à l'aide des bandes errantes de la Bretagne, se propager jusqu'en Normandie, où le voisinage des îles et les dispositions de la côte rendent les communications plus faciles. Elle s'appuie d'un autre côté sur les Cévennes, pour s'étendre jusqu'aux rives du Rhône, par les révoltes qu'on peut exciter dans quelques parties du Languedoc et de la Provence. Bordeaux est, depuis l'origine, le centre de direction de ces mouvemens.

Ce système n'a pas été abandonné. Il y a plus, le parti s'est grossi, à chaque phase de notre révolution, de tous les mécontens que les événemens produisaient, de tous les factieux encouragés dans leurs projets par la certitude de l'amnistie, de tous les ambitieux qui désiraient acquérir quelque importance politique dans les changemens qu'on présageait: de sorte que, si on considère aujourd'hui les élémens hétérogènes dont ce parti se compose; si on observe la diversité d'opinions, de vues et d'intérêts qu'il renferme, on ne peut le qualifier de royaliste qu'en ce sens qu'il est l'ennemi du gouvernement; car il n'a point de but fixe et déterminé dans ses intentions ultérieures, et par conséquent point de caractère uniforme et général.

C'est ce parti qui trouble maintenant la tranquillité intérieure; c'est lui qui agite Marseille, Toulouse et Bordeaux; Marseille, où l'esprit de sédition anime jusqu'aux dernières classes de la population, où les lois ont été méconnues; Toulouse qui semble encore sous l'influence de l'organisation révolutionnaire qui lui fut donnée il y a quelques mois; Bordeaux, où reposent et fomentent avec intensité tous les germes de la révolte; Bordeaux, où la patrie trouva jadis de si nombreux défenseurs, où la liberté excita de si généreux sacrifices et de si nobles dévouemens; Bordeaux, qui recèle maintenant des apôtres de la guerre civile!

C'est ce parti qui, par de fausses alarmes, de fausses espérances, des distributions d'argent, et l'emploi des menaces, est parvenu à soulever les paisibles cultivateurs dans tout le territoire enclavé entre la Loire, la Vendée, l'Océan et le Thouet. On y a débarqué des armes, des munitions de guerre. D'anciens noms, des hommes nouveaux paraissent sur ce sanglant théâtre; l'hydre de la rébellion renaît, se produit partout où il exerça jadis ses ravages, et n'est point abattu par nos succès d'Esnai, de Saint-Gilles et de Palluau.

A

De l'autre côté de la Loire, des bandes désolent le Morbihan, quelques parties d'Ille-et-Vilaine, des Côtes-du-Nord et de la Sarthe ; elles ont un moment envahi les villes d'Aurai, de Redon, de Ploermel, les campagnes de la Mayenne jusqu'aux

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portes de Laval; elles arrêtent les marins et les militaires rappelés; elles désarment les propriétaires, se grossissent des paysans qu'elles font marcher de force, pillent les caisses publiques, anéantissent les instrumens de l'administration, menacent les fonctionnaires, s'emparent des diligences, saisissent les courriers, et ont intercepté un instant les communications du Mans à Angers, d'Angers à Nantes, de Nantes à Rennes, de Rennes à Vannes.

Sur les bords de la Manche, Dieppe, le Havre, ont été agi— tés par des mouvemens séditieux. Dans toute la 15 division, les bataillons de milice nationale n'ont été formés qu'avec la plus grande difficulté; les militaires et les marins ont refusé de répondre aux appels, et n'ont obéi qu'aux moyens de contrainte. On oppose aux mesures que les circonstances exigent une résistance condamnable, et une force d'inertie plus dangereuse et plus difficile à vaincre que la résistance. Caen a été troublé deux fois par des réactions royalistes, et dans quelques arrondissemens de l'Orne, des bandes se forment comme en Bretagne et dans la Mayenne.

Enfin, tous les écrits qui peuvent décourager des hommes faibles, enhardir les factieux, ébranler la confiance, diviser la nation, jeter de la déconsidération sur son gouvernement, tous les pamphlets qui sortent des presses de la Belgique ou des imprimeries clandestines de la France; tout ce que les ministres étrangers publient contre nous tout ce que les écrivains du parti composent, se distribue, se colporte, se répand impunément par le défaut de lois répressives et l'abus de la liberté de la presse.

Inébranlable dans le système de modération qu'elle avait adopté, V. M. crut devoir attendre la convocation des Chambres, pour n'opposer que des précautions légales aux manœuvres que notre législation ordinaire ne punit pas toujours, et qu'elle ne pouvait ni prévoir ni prévenir.

Ce n'est pas qu'en remontant à des époques antérieures à l'avénement de Votre Majesté, il n'eût été facile de trouver des lois nées dans des circonstances analogues, et qu'une politique moins sage et moins éclairée que la sienne eût pu croire applicables aux circonstances où nous nous trouvons maintenant.

Saisir les biens, poursuivre les familles des coupables qu'on ne peut atteindre, frapper en masse, proscrire des classes sous des dénominations imaginaires, punir la qualité plutôt que le crime des individus, sont des mesures usées qui, même au

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jourd'hui que l'expérience en a fait sentir l'inutilité, n'ont pas la puissance de la menace.

Les temps d'ailleurs sont changés; et si les dangers qui nous environnent sont les mêmes en apparence, ils ont toutefois une cause différente. Ils sont d'une autre nature, et l'opinion publique les juge d'une autre manière.

Dans tous les cas, V. M. m'a ordonné de veiller à ce que les citoyens paisibles ne puissent être inquiétés. L'autorité n'a rien à demander à celui qui obéit à la loi.

La révolution française n'eut point son origine dans l'excès de la tyrannie: le gouvernement qui l'a provoquée n'a pas su en tirer avantage; il n'avait que de l'orgueil et de la faiblesse. Elle n'est point le résultat du fanatisme de quelques sectes religieuses, de l'ambition de quelques grands seigneurs, ou des complots de quelques conspirateurs obscurs; elle fut le fruit lent et préparé des lumières; elle fut entreprise dans des vues de justice et d'ordre, jusqu'à l'instant où les fureurs d'une opposition insensée obligèrent les fondateurs à mettre leur ouvrage sous la garde de la multitude: alors le but fut manqué la révolution dévia de ses principes; aucune force humaine n'était capable d'arrêter ce torrent. Il fut de la sagesse d'en suivre et d'en adoucir la marche; et, quelque sévère que soit le jugement que les contemporains ont porté sur cette époque de notre histoire, la postérité pensera peut-être que les hommes qui contribuerent alors à soutenir l'honneur français, à défendre l'indépendance nationale, à sauver la liberté publique de l'abîme où la fureur des partis et la tyrannie des factions allaient l'entraîner; la postérité, dis-je, pensera que ces hommes ne manquaient ni de courage, ni des vertus qu'exige l'amour de la patrie.

Tout était exécutable alors, parce que tout se faisait par le peuple même : tout s'excusait par l'état d'anarchie, et l'impossibilité de résister aux passions du plus grand nombre; mais aujourd'hui le peuple n'est pas dans une majorité purement numérique : l'opinion de l'universalité des citoyens se forme sur celle des gens calmes et éclairés de la France et de l'Europe. Aucune classe de la société ne rêve aux chimères politiques qu'on poursuivait dans le temps d'exaltation et d'erreur; dans les rangs même du parti qui s'agite, on ne trouve plus les préjugés et le fanatisme qui soutenaient les premières rébellions : c'est la liberté civile et la jouissance paisible de tous ses droits que réclame l'immense majorité des Français. On ne s'arrête plus à de simples abstractions: on veut une liberté positive et pratique, fondée sur les lois usuelles, et surtout garantie par

l'opinion et la moralité du Gouvernement; aucune des mesures employées jadis par l'anarchie ne peut donc convenir.

D'ailleurs, l'Empereur ne veut pas renouveler l'effroi des mesures révolutionnaires; V. M. n'a pas même voulu généra– liser l'emploi de l'autorité militaire; elle l'a assujétie au pouvoir civil, qui se trouve en majorité dans les commissions de haute police. Cela doit être ainsi, sauf des exceptions rares; car partout où le pouvoir militaire est en première ligne, il n'y a plus de seconde ligne.

Le général de l'armée de la Loire a seul reçu des pouvoirs extraordinaires pour les pays en insurrection, parce qu'il faut opposer la guerre à la guerre.

Cependant, dans la situation des choses, nous avons besoin de nouvelles règles, d'une législation nouvelle. Chez tous les peuples, il y a un code particulier pour les temps de crise. La liberté individuelle ne peut être la même dans toutes les situations de l'Etat. Il est essentiel de se pénétrer de cette vérité. Tout danger de l'Etat oblige de circonscrire la liberté individuelle; tout cas d'agression intérieure et de troubles civils force chaque citoyen à faire le sacrifice momentané d'une partie de sa sûreté personnelle, afin que le Gouvernement ait le moyen de garantir la sûreté générale.

La puissance législative est alors réduite à cette alternative : il faut qu'elle livre l'Etat à l'anarchie, en laissant la révolte sans frein, ou bien que, pour trouver des moyens possibles de répression, elle rende chaque citoyen plus accessible à l'atteinte de la force publique,

Il ne s'agit pas pour cela de lui retirer le bénéfice du pacte social, ni de l'abandonner à sa faiblesse individuelle vis-à-vis de l'autorité; autant vaudrait-il établir la tyrannie. Mais il s'agit de quelques sacrifices qui deviennent légitimes, parce que la loi les ordonne, qu'elle seule en détermine l'étendue, et qu'elle veille avec soin à ce que les limites ne soient jamais dépassées.

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Les principes qui dictent ces exceptions sont aussi forts que les principes même de la liberté. Dans les temps ordinaires, danger pourrait venir de l'autorité; c'est pour cela que la réaction et la vigilance se tournent contre elle. Le danger vient-il de troubles intérieurs? Il faut aider l'autorité loin de la combattre; il faut l'aider à écarter toutes les matières inflammables qui augmenteraient l'incendie.

Il n'y a point d'état libre qui, dans des temps semblables, n'ait été obligé de modifier plus ou moins la liberté individuelle de ses citoyens. Combien de fois l'Angleterre n'a-t-elle pas sus

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