Page images
PDF
EPUB
[merged small][ocr errors]

MÉMOIRE

SOUMIS AU GÉNÉRAL BONAPARTE,

PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇOISE,

Sur la situation politique de la France, au mois de floréal de l'an 12 (mai 1804), et sur quelquesunes des bases de la nouvelle forme de gouvernement qu'il paroîtroit convenable d'adopter (1). |

En politique, les limites sont des garanties pour l'autorité du prince, comme pour la liberté du peuple.

GENERAL PREMIER CONSUL,

I. Caractère de l'époque actuelle.

Une nouvelle époque va commencer pour vous et pour la France; les esprits vulgaires n'y verront qu'un changement de titre et une dénomination nouvelle du gouvernement; les observateurs politiques y verront la base des institutions que vous avez promises aux François.

Vous allez poser la première pierre du grand

(1) Nous placerons, au bas des pages quelques notes qu'un des premiers personnages de l'état ajouta, dans le temps, au crayon, en marge de ce mémoire manuscrit. Pour les distinguer de celles de l'auteur, elles sont imprimées en italique.

édifice que vous devez élever; vous lui donnerez ce caractère de stabilité qui éternise les productions du génie.

II. Motifs de s'exprimer avec franchise.

Il n'appartient de vous parler avec une entière franchise et un généreux courage, qu'à ceux qui s'appuient sur le sentiment intérieur d'un dévouement absolu à votre personne et à votre gloire. Vous êtes assez grand, assez supérieur aux autres hommes, pour entendre et accueillir l'auguste vérité.

III. D'une puissance réglée par les lois, plus durable qu'une autorité illimitée.

Aujourd'hui, vous pouvez tout; la reconnoissance nationale vous donnera tout. Mais, si Vous ne mettez pas vous-même des bornes à l'autorité nouvelle dont vous allez être investi, elle sera moins réelle et moins durable. Il y aura plus de moyens pour les ennemis de la patrie de tout bouleverser, si un évènement funeste et imprévu vous enlevoit aux François.

« L'autorité limitée, a dit un grand politique, est toujours la plus stable ». Le despotisme, ou l'autorité indéfinie et absolue, a toujours produit des révolutions, et la réunion

TOME IX.

8

des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, a toujours produit le despotisme. On affermit souvent le pouvoir, en paroissant le restreindre.

IV. Devoir des vrais amis de la personne et de la gloire de Bonaparte.

Vous présenter l'opinion particulière des différens corps de l'armée, des différentes classes de citoyens, c'est le devoir des vrais amis de votre puissance et de votre gloire. Il faut chercher et étudier cette opinion dans les replis des cœurs et dans les conversations familières, plus encore que dans les adresses publiques et officielles, où il y a toujours de la retenue et de la réserve, ou de l'exagération, et souvent de la fausseté.

V. De l'opinion publique.

L'opinion, quoique souvent invisible et inaperçue, exerce une grande influence.

En 1791, elle se déclara contre la cour, et la cour fut renversée.

En 1794, elle put se prononcer contre les assassins, et le règne du sang et de la terreur fit place à un gouvernement plus doux (1).

(1) Victoire d'un parti, en 1794; l'opinion le soutint.

En l'an 8, elle invoqua la dictature d'un homme de génie pour sortir d'une anarchie léthargique, et l'assentiment général confirma votre autorité suprême.

Aujourd'hui, cette même opinion, inquiétée par de fréquens complots, et incertaine de l'avenir, demande qu'à une dictature vague, indéterminée, absolue, personnelle, on substitue des institutions stables et indépendantes, même de votre existence (1).

VI. Résumé des voeux actuels des François.

Pour ne point multiplier des citations d'ailleurs inutiles, je me bornerai à ce passage de l'adresse du conseil-général du Jura, qui peint fidèlement l'opinion et le vœu de la France :

[ocr errors]

Qu'un ordre de choses plus stable offre aux amis de la tranquillité une plus forte garantie contre tous les évènemens. Que cet ordre anéantisse à jamais la vacance de la suprême magistrature, en désignant pour toujours et par avance le successeur du chef de l'état; mais, qu'en même temps des institutions, fortes autant que libérales, assurent à nos neveux une

(1) Vœu non admissible par l'homme auquel il est présenté.

protection efficace contre les oscillations et les abus du pouvoir. >>

VII. Mélange et association des trois formes de gouvernement, pour assurer le bonheur public.

On voudroit en vain le dissimuler, Général premier Consul, l'esprit public de 1791 n'est pas entièrement détruit. La masse de la nation éclairée veut une forme de gouvernement semblable à celle qu'on demandoit alors, avec les modifications que les circonstances ont rendues nécessaires, c'est-à-dire (suivant les expressions de l'adresse de la première division de dragons), une heureuse alliance des avantages dela monarchie, de l'aristocratie et de la démocratie; l'unité et l'hérédité de la première ; la sagesse et la maturité de la seconde; le droit de parvenir à tous les emplois, d'après ses talens et ses vertus; l'égalité sociale enfin, et la vraie liberté qui doivent caractériser la troisième.

Car, ce n'est pas la liberté seulement que les hommes et les sociétés se proposent dans l'institution des gouvernemens. Le but de toute association politique, comme de toute entreprise individuelle, c'est le bonheur. La sûreté,

« PreviousContinue »