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d'exagération ont tour à tour été à la mode chez une nation vive, légère, inconstante, passionnée....

II........ Les excès du luxe et du faste, dont la nouvelle cour donne l'exemple, et qui, sous plusieurs points de vue, ont de funestes conséquences, font que personne ne se trouve assez riche pour arriver au niveau de ceux auxquels il croit pouvoir s'égaler; ils ébranlent ainsi tous les principes de moralité, en inspirant une soif générale et immodérée des richesses acquises par toutes sortes de moyens; ils nécessitent une augmentation toujours progressive d'impôts, d'où résulte un mécontentement public et toujours croissant. Ces excès d'un luxe désordonné, dont l'Empereur donne l'exemple dans l'organisation de sa maison, et fait une loi à tous ceux qui l'entourent, entrent dans son système politique, qui ressemble en ce point à celui qu'avoit adopté et suivi Richelieu pour abaisser les grands. Buonaparte veut tenir toujours dans sa dépendance des hommes auxquels il donne toujours de nouveaux besoins, et qui ne savent plus se passer des trésors qu'il peut seul leur prodiguer. Si les nouveaux enrichis avoient joui de leur fortune avec

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une sage économie, ils auroient été facilement heureux et trop indépendans. On les ruine à dessein par un luxe commandé, pour les enrichir, s'ils le méritent par leur docilité, leur soumission et leurs bassesses, à condition qu'ils se ruineront encore, pour obtenir de leur maître de nouveaux moyens de jouissances et de fortune. L'emploi des richesses, dirigé vers des objets utiles, auroit produit une plus grande prospérité dans l'état, mais n'auroit pas également rendu les possesseurs de biens considérables dépendans des prodigalités et des largesses du prince.

III........ L'armée se désorganise, sous plusieurs rapports. Les colonels ont une prépondérance exclusive et dominatrice. Toutes les places d'officiers sont données à des jeunes gens appartenant aux premières familles du régime actuel. Les colonels, qui tiennent à la cour ou à des maisons puissantes, sont indépendans, même des généraux, qui n'ont pas les mêmes avantages. Autant ces chefs de régimens` sont impérieux et insolens dans leur commandement, autant ils sont bas et soumis dans les antichambres où ils vont faire leur service. Ils s'honorent d'être des valets titrés.

Les mots de sire, majesté, mon empereur, mon prince, monseigneur, excellence, altesse, remplissent et enflent toutes les bouches : on se dédommage d'avoir été si long-temps sans pouvoir les prononcer. Les soldats, livrés à une autorité arbitraire, sont privés d'une partie de leur modique solde, qu'on leur retient sous différens prétextes, et qu'on détourne au profit de plusieurs de ceux qui devoient leur en garantir l'intégrité. Chaque officier prend un soldat pour le servir. Les chefs sont valets du maître et des princes de sa famille; les soldats sont valets des chefs et des officiers. Cet esprit de domesticité ne s'accorde guère avec l'esprit martial qui produit les victoires. Un honneur fondé sur la bassesse repose sur un faux principe, et ne produira rien de grand. Des guerriers, tous plus ou moins serviteurs et valets, énervés et avilis, vaudront-ils des guerriers libres et citoyens, pauvres, sobres et fiers, endurcis aux fatigues, habitués au mépris des périls, amoureux de la patrie et avides de la gloire?...

Les militaires forment une classe à part et regardent les citoyens comme au-dessous d'eux. Ils les appellent des bourgeois, des manans, des pekins. Ils les oppriment dans l'occasion,

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comme s'ils étoient en pays étranger, ennemi et conquis. Des garnisaires sont envoyés chez un agriculteur qui avoit refusé d'obéir à une réquisition illégale. Il adresse une plainte au magistrat civil, qui craint et mollit. La violation de la loi et la vexation, à main armée, exercée au sein de l'état par des guerriers défenseurs de l'état, se trouvent encouragées par l'impunité.

IV...... On a converti en impôts fixes pour l'an 13 et l'an 14, les dons en centimes. additionnels, arrachés en l'an 12 par l'influence et les manœuvres de quelques hommes vendus, et présentés comme offrandes patriotiques pour subvenir à la guerre contre l'Angleterre. La somme des impositions de tout genre s'élève, pour chaque propriétaire, à plus d'un

quart de son revenu. De peur qu'on ne crût ' encore que le produit de tant de tributs appartenoit à la nation et devoit être employé à des usages nationaux et d'utilité publique, on a substitué les mots trésor impérial, à ceux de trésor public, qui avoient eux-mêmes succédé à la dénomination de trésorerie nationale. En tout, les progressions et les gradations observées avec beaucoup d'habileté, ont été l'un des

moyens de la politique du maître. Il y a eu d'abord trois consuls, et un premier pour dix ans, qui se cachoit, pour ainsi dire, à l'ombre de ses collègues, à la faveur d'une apparente égalité entre eux et lui. Il est devenu président d'une république étrangère, sans le concours du gouvernement dont il n'étoit que le chef temporaire. Puis, il a su se faire nommer consul à vie, sans oser encore effacer les mots de république et de liberté. Le sénat, qu'on avoit d'abord placé à dessein hors de toute sphère d'ambition, pour le rendre indépendant du pouvoir exécutif, est devenu plus riche, mais plus asservi. Un consul à vie, pouvant choisir son successeur, étoit déjà chef unique; mais, son titre se ressentoit des idées républicaines. Il s'est fait déférer l'empire, sans vouloir encore effaroucher par le nom de roi des oreilles habituées depuis dix ans à le repousser comme odieux. Enfin, ce titre désiré, il se l'est fait donner dans la république, dont il étoit président, et qu'il a érigée en royaume, toujours en motivant ces changemens, aux yeux de la masse imbécile et ébahie, sur le prétexte de l'intérêt public et du bonheur des peuples. Les membres de la légion d'honneur, dont beau

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