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du mal, et il étoit déterminé à la tenter, én se mettant en personne à la tête de l'expédition. Il parla beaucoup sur ce sujet, sans cependant affecter de diminuer le péril. Il avoua qu'il y avoit cent chances pour une contre lui; cependant, il étoit toujours décidé à la tenter, si la guerre devoit être le résultat de la discussion présente : il ajouta, que la disposition des troupes étoit telle, qu'il trouveroit armée sur armée pour l'exécution de l'en-treprise. Il parla alors beaucoup sur la force naturelle des deux pays. Il représenta la France ayant une armée de quatre cent quatre - vingt mille hommes (car, dit-il, elle sera bientôt portée à ce nombre), toute prête pour les entreprises les plus hardies; et l'Angleterre ayant une flotte qui la rendoit maîtresse des mers, et dont il n'espéroit pas pouvoir égaler les forces avant dix ans. Deux nations aussi puissantes pourroient, en s'entendant bien, donner la loi au monde, mais leurs querelles peuvent le renverser : il dit, que s'il n'avoit pas éprouvé l'inimitié du gouvernement anglois à chaque occasion, depuis le traité d'Amiens, il n'y a rien qu'il n'eût fait pour prouver son désir de la conciliation; il nous auroit fait participer en indemnités aussi

bien qu'en influence sur le continent; nous eussions eu des traités de commerce, enfin tout ce qui auroit pu nous satisfaire, et qui nous auroit témoigné son amitié. Cependant rien n'avoit été capable de vaincre la haine du gouvernement anglois; enfin, on en étoit venu de part et d'autre à déterminer s'il y auroit paix ou guerre. Pour conserver la paix, le traité d'Amiens doit être exécuté; l'abus des presses publiques, s'il ne peut être entièrement supprimé, au moins contenu dans les limites et borné aux papiers anglois; la protection si ouvertement accordée à ses mortels ennemis (en faisant allusion à Georges et consors), doit être absolument retirée. Si on vouloit la guerre, il suffisoit de le dire et de refuser d'exécuter ce traité. Il fit ensuite le tour de l'Europe pour me prouver que, dans la position actuelle, il n'y avoit pas de puissance avec laquelle nous pussions nous unir pour faire la guerre à la France; par conséquent, notre intérêt étoit de gagner du temps, et si nous pouvions obtenir quelque avantage, il nous conviendroit de recommencer la guerre quand les circonstances seroient devenues plus favorables; il dit que ce n'étoit pas lui rendre justice que de supposer qu'il se crût au-dessus

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de l'opinion de son pays ou de celle de l'Europe; il ne risqueroit sûrement pas d'unir l'Europe contre lui par quelque agression violente; il n'étoit point si puissant en France qu'il pût persuader à la nation de faire la guerre, à moins que ce ne fût sur des motifs légitimes. Il dit qu'il n'avoit pas châtié les Algériens, parce qu'il ne vouloit pas exciter la jalousie des autres puissances, mais qu'il espéroit que l'Angleterre, la Russie et la France, sentiroient un jour qu'il étoit de leur intérêt de détruire ce repaire de brigands, et de les forcer à vivre plutôt de la culture de leur terre, que du pillage qu'ils exercent. Dans le peu de mots que j'ai dits dans cette conversation (car dans l'espace de deux heures qu'a duré cet entretien j'ai eu très-peu l'occasion de parler), je me suis renfermé strictement dans la teneur des instructions que vous m'avez données. Je les ai présentées au premier Consul d'une manière aussi forte que je l'avois fait avec M. Talleyrand, et j'ai beaucoup insisté sur la sensation que la publication du rapport du colonel Sébastiani avoit causée en Angleterre, où les vues de la France sur l'Égypte doivent toujours exciter la plus grande vigilance et un sentiment de jalousie: il soutint que ce qui devoit

nous convaincre de son désir de la paix étoit, d'un côté, le peu d'avantage qu'il avoit à recommencer la guerre, et de l'autre la facilité avec laquelle il auroit pu s'emparer de l'Égypte avec les mêmes vaisseaux et les mêmes troupes qui alloient de la Méditerranée à Saint-Domingue; entreprise qui auroit reçu l'approbation de l'Europe entière, et particulièrement des Turcs, qui, à plusieurs reprises, l'avoient invité à se joindre à eux, à l'effet de nous forcer à évacuer leur territoire. Je ne prétends pas suivre en détail chaque argument du premier Consul, cela me seroit impossible d'après la grande diversité des matières qu'il mit sur le tapis. Son dessein étoit de me convaincre que de Malte dépendoit la paix ou la guerre, et en même temps de me faire concevoir une forte idée des moyens qu'il avoit de nous nuire chez nous et au dehors. Quant à la méfiance et à la jalousie, qu'il disoit prévaloir constamment depuis la conclusion du traité d'Amiens, j'observai qu'après une guerre aussi longue, aussi pleine de ressentimens, et telle que l'histoire ne fournissoit aucun exemple semblable il étoit naturel qu'on éprouvât encore beaucoup d'agitation; mais cette agitation, semblable au soulèvement des vagues après la tempête, fini

TOME IX.

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qui répugnoit aux sentimens de tout individu en Angleterre, particulièrement à la loyauté universellement reconnue et aux principes d'honneur du gouvernement britannique : que pour ce qui étoit d'une participation quelà des indemnités, ou d'autres possessions accessoires, que S. M. auroit pu obtenir, je pouvois prendre sur moi de l'assurer; « que « l'ambition de S. M. la portoit plutôt à con« server qu'à acquérir;» et que, quant au moment le plus opportun pour renouveler les hostilités, S. M., dont le sincère désir étoit de maintenir ses sujets dans la jouissance des avantages de la paix, considèreroit toujours une pareille mesure comme la plus grande des calamités ; mais que, si S. M. désiroit si fort la paix, il ne falloit pas chercher la cause de ces dispositions dans quelque difficulté qu'elle trouvât à se procurer des alliés, et ce, d'autant moins que toute la masse de moyens qu'il pourroit être nécessaire d'employer pour se procurer de tels alliés, afin de rendre peutêtre des services très-peu proportionnés à la dépense, se concentreroit toute entière dans le sein de l'Angleterre, et lui assureroit un accroissement proportionné d'énergie dans l'exécution de toutes les entreprises, pour

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