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main à leurs assassins, soumettent leur autorité aux décrets des destructeurs de toute autorité, envient leur bienveillance, et cherchent leur salut dans l'insensibilité avec laquelle ils considèrent ce déluge, où vont se perdre, tous les six mois, quelque république ou quelque monarchie. Sans pitié, et en silence, on voit les dépouilles de la foiblesse et de l'innocence aggrandir périodiquement le spoliateur.

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Quelque repos, du moins quelque sécurité, quelque espoir sont-ils la récompense de cette inertie? Non; on ne se rassure aujourd'hui que pour trembler demain. Une prétention injuste est-elle satisfaite ? il en renaît de plus iniques encore. La mesure de la tyrannie dépasse toujours celle de la lâcheté. Ni gouvernement ni particuliers ne sont assurés de leur sort on éprouve la honte des affronts, sans éprouver la consolation qu'ils diminuent les dangers. L'expérience a tout dit, tout révélé. C'est l'évidence même que l'inutilité complète de ce système d'égoïsme, de servitude et de circonspection.

L'inquiétude se lit sur les visages, l'effroi trouble les jouissances de la frivolité; tous les sentimens sont pénibles, et leur expression

concentrée.....

« Ce n'est qu'au sein d'une étroite intimité que les habitans des deux tiers du continent osent avouer leur horreur et leur indignation. Tel est l'état déplorable dans lequel on s'est précipité, qu'au milieu de cent papiers publics, et de mille écrits journaliers, consacrés à excuser les forfaits du gouvernement envahisseur, à préconiser ses plans, à vanter sa puissance, à insulter ses ennemis, à favoriser ses succès,.... à peine une plume ose s'élever pour la défense de l'ordre social et pour désabuser la crédulité publique. La terreur fait bâillonner toutes les bouches et sceller toutes les vérités.....

« C'est dans la crainte de périr par la résistance qu'on périt sans résister. On prolonge ainsi la convulsion d'agonie dans laquelle se trouve le continent, qui s'écroule pièce à pièce par des invasions successives.

«La seule Angleterre, dont la dignité est intacte comme ses armes, presse encore de toutes parts ce colosse de boue qui foule sous ses pieds sanglans tout ce qui le craint, le sert et le caresse.

« L'état florissant de l'Angleterre, malgré l'étendue et la multiplicité de ses efforts et de ses sacrifices, prouve que la guerre la plus terrible à laquelle aucun empire ait été exposé,

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produit mille fois moins de risques, de troubles, de tristesse et de crainte que les charmes de la paix dans laquelle se bercent en frissonnant tous les concurrens à la concorde avec l'empire françois..... >>

Ces importantes vérités, proclamées inutilement, il y a quinze années, justifiées désormais par l'évènement, confirmées par ces quinze années de malheurs, scellées du sang de plusieurs millions d'Européens, moissonnés dans les combats, au profit d'un seul homme, rendent tous les développemens superflus.

La répétition des mêmes fautes, alors si énergiquement signalées, a produit la continuation des mêmes désastres.

On a trop ménagé l'ennemi commun dans les manifestes de guerre et dans les négociations pour la paix. On a paru le craindre, même en le combattant; on ne l'a point attaqué ouvertement, avec franchise et courage. Son audace s'est accrue en raison de la modération, des irré solutions et de la pusillanimité de ses adversaires. On n'a point travaillé sérieusement à l'isoler de la nation, dont il cherchoit à présenter la gloire, la sûreté, l'existence comme essentiellement réunies et confondues avec les intérêts et les vues de son ambition personnelle.

TOME IX.

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On ne lui a point opposé, comme on auroit pu et dû le faire avec facilité, cette puissance magique de l'opinion, qu'il avoit su caresser en l'étouffant.

Les Souverains eux-mêmes ont reconnu son autorité comme légitime, dans la guerre ainsi que dans la paix. Ils n'ont jamais osé déclarer franchement, lors même qu'ils repoussoient les agressions les plus injustes, qu'ils ne dirigeoient point leurs armes contre une nation loyale, généreuse, estimable, opprimée, mais uniquement contre un étranger ambitieux et usurpateur, devenu son chef, qui vouloit se servir d'elle comme d'un couteau pour couper l'Europe. Ils auroient pu détacher de sa cause une grande partie de l'immense population qui recrutoit ses armées. Ils ont, au contraire, fortifié leur ennemi de toute la puissance de la nation qu'il gouverne; ils lui ont fourni des prétextes de répéter, avec une apparence de vérité, qu'il s'agit pour elle de garantir son indépendance et l'intégrité de son territoire.

Telle étoit l'affreuse alternative dans laquelle tous les bons François étoient placés: ils se voyoient, d'un côté, menacés par l'ambition des puissances coalisées; sacrifiés, de l'autre, par l'ambition effrénée de leur propre chef;

et, ne sachant où trouver un protecteur et des moyens de salut, ils s'abandonnoient avec désespoir à la même influence dominatrice qui avoit causé tous leurs dangers, mais qui sembloit seule capable de les en délivrer.

On a vu, par ce motif, beaucoup d'hommes raisonnables, estimables et éclairés, amis de leur pays et de l'humanité, employés dans les différentes fonctions civiles et militaires, et quelquefois revêtus des premières dignités, suivre, en gémissant, et par nécessité, les drapeaux et les lois du chef des François : ils étoient condamnés à le servir, pour attendre une époque favorable où il leur fût permis de contribuer à retirer leur patrie de l'abîme dans lequel la fausse politique des puissances, l'imprudence et l'aveuglement des nations et des individus, la force des évènemens, et une sorte de fatalité tendoient également à la précipiter.

Les cabinets ne seroient donc nullement fondés à reprocher aux François d'avoir coopéré aux plans de destruction suivis par l'usurpateur, puisqu'ils ont eux-mêmes traité avec celui-ci comme avec un souverain, puisqu'ils ont consacré sa dignité et sa dynastie par des alliances de famille, puisqu'ils ont réduit les

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