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par le sentiment de son intérêt, à des idées de modération et de sagesse. Il ne s'agissoit point de proposer avec liberté les meilleures institutions possibles, mais les plus supportables, relativement à la situation des choses, et au caractère du chef de l'état, dont la volonté ambitieuse et absolue s'étoit déjà trop fait connoître. Comme il ne rencontroit aucun obstacle à l'exécution de ses projets, ni dans les premières autorités, ni dans la nation, ni dans l'armée, on ne pouvoit opposer au penchant impérieux qui l'entraînoit, que l'action de sa propre raison, si elle eût été susceptible d'écouter et d'apprécier la vérité. Il falloit donc, pour le disposer à réduire ses prétentions immodérées, à respecter et à garantir les droits et les libertés de la nation, lui présenter des mémoires écrits à la fois dans le sens de l'affermissement de son autorité, toujours combinée avec le libre développement de la prospérité publique, et surtout dans un esprit de patriotisme sage, de modération et de prévoyance, propre à garantir à la France les bienfaits d'une monarchie réglée par les lois, substituée à une dictature sans bornes et sans rivages. Si l'auteur pouvoit être appelé l'homme des illusions, il étoit du moins excusable et même

respectable (1), en ce qu'il vouloit sincèrement assurer le bonheur de son pays, et empêcher Buonaparte de devenir, pour le malheur de la France et de l'Europe, l'homme des abîmes et le fléau de l'humanité.

(1) Les rêves d'un homme de bien, en faveur de l'humanité, dit M. de Guibert, dont le beau génie étoit inspiré par une grande âme, ont quelque chose de respectable.

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Remis au premier consul Buonaparte, le 21 messidoran 8 (10 juillet 1800), après la bataille de Marengo.

QUELQUES IDÉES SUR L'ITALIE ET SUR LA PAIX,

ADRESSÉES AU CITOYEN BONAPARTE, PREMIER CONSUL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇOISE.

Italiam, Italiam... (VIRGILE.)

......

CITOYEN CONSUL,

Au moment où je vais quitter l'Italie pour rejoindre à Dijon la nouvelle armée de réserve, je crois pouvoir, comme vous m'y avez autorisé dans notre dernier entretien, vous écrire avec confiance et avec franchise, sur l'état actuel de l'Italie, et sur les grands intérêts politiques qui vous sont confiés. Vous ne verrez dans ma lettre que l'expression de la vérité, dictée par un double sentiment, l'amour de la pátrie, et celui de votre gloire.

Les intérêts de votre gloire et ceux de la France et de l'Italie sont en effet inséparables.

La gloire n'est que l'estime publique prolongée dans les siècles. L'estime publique ne s'accorde qu'aux grandes actions, et aux plans vastes et durables. Les grandes actions sont celles qui ont pour but le bonheur des hommes ou d'une nation; les plans vastes et durables sont ceux qui ont pour base le bien public.

Votre gloire est attachée à ce que les destinées de la France et de l'Italie ne soient plus précaires et incertaines, à ce que la république françoise ait son existence garantie par de bonnes mœurs et de bonnes lois; à ce que son gouvernement ne soit plus en butte à l'avidité des factions, ni aux ambitions particulières, ni aux vicissitudes des révolutions; à ce qu'il soit composé et renouvelé périodiquement, de manière qu'il se trouve essentiellement intéressé à maintenir et à consolider la paix extérieure et la paix intérieure, et à diriger l'activité du génie national vers l'agriculture, le commerce, les manufactures et tous les objets de prospérité publique ; à ce que les différentes fonctions, tant administratives que judiciaires, soient confiées à des mains sages et pures, qui fassent estimer et aimer en tous lieux l'autorité

supérieure, d'où émanent les autres pouvoirs; à ce qu'enfin l'éducation nationale soit tellement organisée, qu'elle répare promptement les pertes de la guerre, et crée, sur toutes les parties du territoire françois, des soldats, des artistes, des agriculteurs, des citoyens, un esprit public, une énergie productrice des vertus, des talens et des arts, une nation neuve, fière et indépendante. Là est votre gloire, citoyen Consul; elle ne se bornera pas à votre vie; mais elle couvrira votre tombeau de palmes immortelles. Toutes les familles françoises vous béniront; vous aurez opéré la grande fusion de toutes les passions individuelles dans le sentiment unique du vrai patriotisme et de la felicité nationale. Vous aurez rendu la France florissante au dedans et respectable au dehors: on dira de vous que vous n'avez point lancé les foudres de la guerre par une vaine ambition de ravager le monde, mais pour arriver à un but salutaire, pour ramener à sa direction primitive une grande révolution détournée de son cours, pour arracher une nation long-temps malheureuse à la dissolution et au chaos, à des influences étrangères et funestes, au double fléau du despotisme et de l'anarchie.

Votre gloire est également intéressée à ce

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