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ment représentatives aux mœurs fortes et originales d'une nation agricole. L'entreprise serait curieuse, et digne d'un peuple célèbre dût-elle même échouer, mieux vaudrait encore cette défaite que son état actuel de langueur et de décrépitude.

Malheureusement, rien n'annonce que la Suède s'apprête à suivre cette direction. Elle a fait, comme à son insu, quelques concessions à l'esprit du temps; mais ses législateurs ont pris toutes les précautions nécessaires pour que ces concessions ne se renouvellent pas, et elle est encore tout entière sous le joug du passé. Or, ce passé peut bien éblouir un étranger; mais il n'a légué aux Suédois qu'une triste série d'institutions enfantées, les unes, par les prétentions de l'insolente oligarchie que fonda Oxenstiern; les autres, par le despotisme de ce Charles X1, qui voulut être le Louis XIV de la Suède (1660-1698). La nation n'a point encore compris qu'en embrassant des idées et des croyances différentes de celles des générations éteintes, on peut se rendre digne d'elles et marcher sans rougir à leur suite. C'est la gloire de la vieille Suède qui écrase la Suède nouvelle; elle inspire aux uns une folle vanité, aux autres un découragement funeste, et le pays se débat contre ce passé dont il a consacré tous les abus, et dont il a perdu tout l'éclat '.

Pour atteindre le but que nous nous sommes proposé, celui d'exposer l'état actuel de la liberté en Suède, nous avons pensé que le moyen le plus simple et le plus rationnel était de tracer une narration fidèle des travaux qui ont marqué la

'La constitution qui régit actuellement la Suède conserve les formes représentatives qui ont de tout temps prévalu dans ce royaume; elle est du reste calquée en grande partie sur les diverses constitutions qui furent promulguées, en 1634, par le régent Oxenstiern, en 1682 par Charles XI, et en 1772 par Gustave III.

dernière session des états généraux, commencée à Stockholm, en novembre 1828 et terminée en mars 1830. Toutes les questions qui touchent aux grands intérêts du pays ont été ou débattues ou entamées pendant cet intervalle. Au milieu d'originalités bizarres, le lecteur français sera peut-être étonné de découvrir une conformité remarquable avec ses besoins et ses vœux; et peut-être aussi, dans le récit des actes de ces assemblées inconnues, trouvera-t-il plus d'un conseil utile et plus d'un avertissement salutaire. Quant à nous, nous nous abstiendrons de tout rapprochement; nous n'aurons en vue que la Suède. En rendant compte des principales discussions, nous tâcherons de donner une idée satisfaisante de la forme des délibérations et des dispositions réglementaires qui donnent un caractère national à l'organisation du pouvoir légis-latif. Nous devons d'abord donner quelques détails sur la composition de l'assemblée qui partage avec le roi l'exercice de ce pouvoir.

Les états généraux du royaume (Riksens stænde), rassemblés en diete (Riksdag), se divisent en quatre États ou ordres qui représentent autant de classes essentiellement distinctes dans la nation : la noblesse, le clergé, la bourgeoisie et les paysans.

Le premier des quatre ordres en dignité, en nombre, en lumières, est l'ordre équestre ou de la noblesse. Il est représenté à la diète par les chefs de toutes les familles nobles du royaunie, qui y siégent par droit d'hérédité et pendant leur vie entière: on compte actuellement douze cent soixanteseize familles nobles, dont deux cent quatre-vingt-neuf possèdent les titres de comte ou de baron. Le chef de la famille, en ligne directe et masculine, a seul le droit de siéger et de voter à la diète.

Le chef de famille entre en jouissance de ses fonctions

législatives à vingt-cinq ans accomplis. A vingt et un ans il peut déjà assister aux délibérations de l'ordre, mais sans y participer. Il peut se faire remplacer à la diète par un puîné de sa maison ou de toute autre famille noble, qui prend alors le nom de fondé de pouvoir, et possède toutes les prérogatives du chef de famille qu'il représente, sans être comptable envers lui de sa conduite. La couronne fait des nobles à volonté, et déjà elle n'use que trop largement de ce droit dont l'abus pourrait gravement compromettre l'indépendance et la considération de l'ordre.

Le clergé, par sa constitution et le mode d'élection de ses représentants à la diète, devrait être le plus indépendant des quatre ordres. Cependant il n'a résisté que bien rarement aux envahissements de la noblesse, et la couronne a toujours trouvé en lui un instrument docile. On dirait qu'il conserve encore le souvenir de son origine, et qu'il craint de se compromettre envers le pouvoir royal qui lui a donné l'existence, et dont le possesseur est chef visible de l'Église suédoise. En Suède, comme en Danemark et en Angleterre, l'État n'a pas osé embrasser le principe de la réforme avec toutes ses conséquences; en rejetant toute intervention étrangère, on a soigneusement conservé la hiérarchie du catholicisme: seulement, le roi s'est mis à la place du pape, et a concentré dans ses mains la double puissance temporelle et spirituelle. Ainsi se trouvèrent réunis tous les éléments de servilité; et, en évitant l'austère indépendance du calvinisme, l'autorité royale put substituer un synode humble et soumis à ce clergé catholique qui avait fait mainte fois preuve de liberté et de puissance.

Telles sont peut-être les raisons qui peuvent expliquer l'étrange docilité du clergé suédois et qui rendent dérisoires les mesures prises pour garantir son indépendance. Rien de plus démocratique en apparence que sa constitution. Dans la

grande majorité des paroisses, les curés sont élus par l'assemblée générale des propriétaires, à laquelle le consistoire ou chapitre épiscopal présente trois candidats. Les curés ainsi élus par leur troupeau, comme dans la primitive Église, se réunissent par diocèse et élisent, selon le mode qui leur convient, leurs représentants à chaque diète, au nombre de quarante-quatre. L'archevêque d'Upsal, métropolitain de Suède, est orateur-né de l'ordre, et les douze évêques en sont membres de droit. Ces prélats sont eux-mêmes élus par le clergé de leur diocèse, qui présente au roi trois candidats parmi lesquels le monarque choisit le nouvel évêque. Tout le clergé de Suède prend part à l'élection du métropolitain. A ces treize prélats et aux quarante-quatre curés élus par leurs confrères, il faut ajouter treize députés élus par les vicaires ou comministres, un par diocèse, et de plus deux députés de chacune des universités d'Upsal et de Lund, et deux membres de l'Académie des sciences.

L'ordre de la bourgeoisie est celui qui répond le plus mal à sa nomination. Ce nom de bourgeois ne signifie nullement roturier, mais négociant. En effet, cet ordre ne comprend que les habitants des villes; et pour obtenir droit de bourgeoisie dans une ville, il faut être commerçant ou bien faire partie d'une des corporations dans lesquelles sont répartis tous ceux qui se livrent à des professions industrielles. Soumis à de telles restrictions, on conçoit que cet ordre ne peut avoir que bien peu d'importance dans un État où il n'y a point de grandes villes. En 1820, la population réunie des quatrevingt-quatre villes provinciales de Suède ne se montait qu'à cent soixante-quinze mille huit cent cinq âmes; en y ajoutant celle de la capitale, qui compte environ soixante-quinze mille habitants, on obtiendra, pour la totalité du troisième ordre du peuple suédois, un nombre de deux cent soixante mille âmes.

Encore convient-il de retrancher de ce nombre tous les citoyens qui habitent les villes, et surtout la capitale, sans se livrer à aucune profession industrielle; tels sont les gens de lettres, les gens d'affaires, les hommes de loi, les capitalistes, les propriétaires de mines, de forges et de tout autre établissement industriel situé hors de l'enceinte des villes.

L'élection des députés de cet ordre à la diète est directe ou indirecte, selon les localités. Dans les villes où la bourgeoisie tout entière prend part à l'élection des députés, il y a un cens électoral très-peu considérable, et celui qui paye deux fois autant de contributions que le cens exigé a deux voix, trois voix s'il en paye trois fois autant, et ainsi de suite.

L'ordre des paysans est celui qui est le mieux représenté, et qui lui-même représente le mieux la véritable force de la nation. Au premier abord on est tenté de déplorer la disposition qui confie l'exercice du pouvoir législatif à des hommes naturellement étrangers à toute idée générale, propres tout au plus à apprécier des intérêts locaux, et chez qui la corruption doit trouver un accès facile. L'histoire confirme ces premières impressions, car aux diètes les paysans se sont généralement montrés incapables d'user de leurs droits. Mais, d'un autre côté, leur avenir est plus rassurant: depuis le dernier siècle leur sort s'est amélioré; l'instruction élémentaire est plus répandue chez eux que chez toute autre population agricole de l'Europe, excepté celle du Danemark et de l'Écosse ; une masse considérable de propriété territoriale leur est dévolue graduellement; ils ont hérité de la considération qu'a perdue la noblesse: et si l'on n'avait pas pris le soin de les isoler dans l'exercice de leurs fonctions politiques, si les lumières de quelques hommes des classes plus élevées et plus éclairées pouvaient venir au secours de la simplicité de leurs mœurs et de leur bon sens naturel, il est très-probable que

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