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presque un blasphème, que le génie de la France ne soit fécond que pour le mal, et le courage de ses enfants impuissant que pour la vérité.

Prenons donc l'exemple des philosophes du siècle dernier. Combien étaient-ils, lorsqu'à la mort de Louis XIV ils entreprirent de ruiner l'édifice social et religieux de l'ancienne monarchie? Moins nombreux que nous ne le sommes, à coup sûr. Eh bien, ce qu'ils ont entrepris et achevé pour le mal, ne l'essayerons-nous pas pour le bien? Ce qu'ils ont tenté avec succès pour détruire la société de leur temps, ne pouvous-nous le tenter, nous, pour réédifier, pour reconstruire, non pas l'antique société, mais l'antique moralité, l'antique vérité, l'antique Religion, avec la liberté de plus?

VIII

Résumons.

Qui devons-nous blesser ou inquiéter par la guerre que nous avons commencée et que nous comptons continuer? Personne; car nous ne voulons ni renverser ni remplacer qui que ce soit; nous ne demandons à entrer dans le partage d'aucun pouvoir, d'aucun patrimoine. Il est bien clair que nous ne travaillons pas dans le but d'être ministre de l'Instruction publique, ou conseiller d'État, ou directeur des Cultes, puisque notre but est, au contraire, de mettre un terme à l'autorité que ces divers fonctionnaires ont usurpée sur nous. Nous n'avons d'hostilité que contre ce pouvoir usurpé, nous n'en avons point contre les personnes.

Que demandons-nous aux catholiques? Les vertus difficiles, héroïques, qui font les saints et les martyrs? Non : nous ne leur proposons que la simple pratique du bon sens, de l'honneur, de l'obéissance aux lois naturelles de toute

société, et aux lois spéciales de la société française; nous les prions simplement d'exercer en conscience et avec persévérance les droits qui leur sont directement conférés par la constitution de leur pays, et, en premier lieu, le droit électoral. Avons-nous exagéré les dangers de l'Église? Avons-nous crié au martyre, à la persécution? Non : nous nous sommes bornés à soutenir ce que l'expérience de chaque jour démontre, savoir que, grâce aux traditions surannées que des légistes hypocrites et des fonctionnaires malavisés cherchent à perpétuer, la Liberté religieuse établie par la Charte est tous les jours méconnue, et que l'intervention d'une administration laïque dans les choses de la conscience et du culte constitue une situation incompatible avec notre dignité comme citoyens et notre sécurité comme catholiques. Nous avons ajouté qu'il y avait là un danger réel pour l'Église, danger dont le remède se trouvait dans la pratique sincère et énergique de nos droits politiques, mais dont la gravité avait été signalée et définie de tout temps par les Docteurs et les Pontifes de l'Église. Nous n'avons fait que répéter ce qu'ont dit, entre autres, il y a dix et quinze siècles, saint Léon le Grand au sortir de la persécution des empereurs, et le vénérable Bède au milieu de l'invasion des barbares. Il y a deux genres de persécuteurs les uns tuent par des supplices publics, les : autres par des caresses feintes et frauduleuses 1... La persécution n'a qu'un nom, mais elle a plus d'un moyen de s'exercer elle offre bien plus de danger par ses embûches cachées que par ses hostilités patentes 2.

1

Avons-nous exagéré notre force, notre importance dans le

1 Duo autem sunt genera persecutorum : unum palam sævientium, alterum ficte fraudulenteque blandientium. Ven. BEDÆ Homil. lib. IV in Lucam, c. 12. 2 Unum nomen est persecutionis, sed non una est causa certaminis; plus plerumque periculi est in insidiatore occulto, quam in hoste manifesto. S. LEO, Serm. IX de Quadrag.

pays? Non encore. Nous reconnaissons volontiers que nous ne sommes rien, moins que rien; seulement, nous ajoutons que, si nous le voulions bien, nous serions quelque chose, et il n'y a personne en France qui ne le sente et ne le sache comme nous. Aussi, loin de gémir sur notre faiblesse, sur notre petit nombre, loin de chercher dans des regrets chimériques un prétexte et une excuse mensongère pour notre paresse et notre lâcheté, nous déclarons que les catholiques ont à leur disposition, par les élections de divers ordres et par la liberté de la presse, tous les moyens nécessaires pour obtenir ce qu'ils désirent; et nous estimons qu'ils devraient ajouter à leur prière de chaque jour un acte de remerciment pour les armes dont Dieu les a dotés et un acte de contrition pour le pitoyable usage qu'ils en ont fait jusqu'ici.

Il est certain, dans l'ordre de la foi, que toute âme qui veut être sauvée le sera. Nous croyons fermement qu'il en est de même, dans l'ordre de l'histoire, pour l'Église. Partout où elle a été vaincue, partout où elle a péri, en Orient, en Afrique, en Angleterre, en Allemagne, dans les royaumes du Nord, elle a péri par sa propre faute, par les prévarications de ses ministres, par la lâcheté de ses enfants. Partout où elle voudra être sauvée, elle le sera, par le dévouement inébranlable, par le concours et l'union des pontifes, des prêtres, des laïques.

Jusqu'à présent, dans la vie sociale et politique, être catholique a voulu dire rester en dehors de tout, se donner le moins de peine possible, et se confier à Dieu pour le reste. Nous avons commencé par nous occuper de notre fortune, de notre famille, de nos intérêts, de nos terres, de nos industries, de nos plaisirs; après quoi, ce qui nous restait de loisir et de moyens, nous l'avons donné ou refusé, selon

les circonstances, à l'Église, à la vérité, au devoir, à l'hon

neur.

Nous estimons qu'il faut changer ces allures; nous prétendons faire reprendre aux catholiques la bonne vieille devise chrétienne qu'on leur a volée : Aide-toi, le Ciel t'aidera. Nous disons qu'elle est chrétienne, essentiellement chrétienne, prise dans son entier et sérieusement appliquée. Aide-toi, tout seul, c'est la devise de l'orgueil rationaliste, qui ne compte que sur soi; le Ciel t'aidera, c'est la devise de la paresse et du fatalisme, qui cherchent un prétexte pour fuir tout danger et tout sacrifice; mais Aide-toi, le Ciel t'aidera, c'est la vraie devise de la foi chrétienne, des gens de cœur qui croient au Ciel, et qui savent que pour y avoir une place il faut l'avoir gagnée.

Ainsi donc, nous ne nous découragerons jamais. Jamais arrière! c'est encore là un beau cri de guerre des temps chevaleresques, qui doit être le nôtre. Jamais de retraite: jamais de repos; mais aussi jamais d'impatience; jamais de ces lâches tristesses qui trahissent le mauvais soldat.

Sachons attendre; ce qui ne veut pas dire, comme plusieurs l'interprètent, sachons dormir. Mais attendons comme le laboureur, qui espère avec une humble confiance le fruit de son travail passé, en continuant dans le présent ce travail de chaque jour qui fait sa gloire et sa force. Laissons monter le grain, le bon grain que nous avons semé de nos mains, arrosé de nos sueurs, que nous n'aurons pas, sans doute, le bonheur de récolter. Mais qu'importe?

Ce qui importe, c'est de faire notre devoir; or, notre devoir ici-bas, ce n'est pas le succès, c'est le travail et la peine. Nous savons bien que d'autres moissonneront là où nous aurons semé, que ceux qui ont été les premiers à la peine ne seront pas les premiers à l'honneur. Telle est la nature des

luttes humaines. Dans toutes les grandes affaires de ce bas monde, il y a deux espèces d'hommes : les hommes de bataille et les hommes de transaction, les soldats qui gagnent les victoires, et les diplomates qui passent les traités, et qui reviennent, chargés de décorations et d'honneurs, pour voir passer les soldats aux Invalides. Nous ne nous en plaignons pas; nous disons seulement que le temps des transactions n'est pas encore arrivé, que le rôle des diplomates n'est pas encore prêt. Nous leur demandons de nous laisser le temps de leur préparer une plus ample moisson, de leur faire la partie plus belle.

La lutte ne saurait finir sitôt; il faut qu'elle dure pour être féconde, il faut qu'elle soit laborieuse pour bien finir. L'homme estime peu les biens qui lui sont trop facilement octroyés, et il a raison. Il n'appartient qu'à Dieu de nous faire des grâces; ce que nous tenons des hommes, il nous faut le mériter, l'acheter, le conquérir. La liberté est un si précieux trésor que nous ne saurions la payer trop cher. Plus elle nous coûtera, et plus nous l'aimerons, plus nous en connaîtrons le prix, plus nous serons à même d'en enseigner le culte et la pratique à nos concitoyens.

Quel que soit d'ailleurs le terme ou l'issue de cette lutte, ce qui est certain, c'est qu'elle existe, c'est qu'elle dure, et qu'on essayerait en vain de la nier ou de la supprimer. Croire que l'on peut assurer en France l'avenir de la Religion et de la famille chrétienne sans bruit, sans effort, sans combat, c'est être volontairement dupe de la plus funeste des illusions: croire que l'on parviendra, par je ne sais quelle intrigue et quelle déception, à assoupir de nouveau les consciences inquiètes avant de les avoir satisfaites, et à ramollir les courages avant de les avoir éprouvés, c'est une illusion non moins absurde et non moins inexcusable.

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