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DE

LA LIBERTÉ CONSTITUTIONNELLE

EN SUÈDE

ET DE LA DIÈTE DE 1828 A 18301

Les vrais amis de la liberté constitutionnelle doivent, à ce qu'il nous semble, suivre partout son développement d'un œil attentif et jaloux. Peut-être ne verront-ils pas sans quelque intérêt comment cette plante de longue et pénible croissance végète aujourd'hui sous l'âpre ciel de la Scandinavie; et quelle est l'influence qu'exercent les idées nouvelles sur la nation qui, au dix-septième siècle, sauva la Réforme, et qui, au dix-neuvième, vit paisiblement sous le sceptre de la seule dynastie éclose de l'Empire que la restauration européenne ait épargnée.

On peut le dire; il n'y a en Europe point de pays dont l'histoire ait été plus mal faite, soit plus mal connue que celle de la Suède. La France n'a que les esquisses de Vertot et de Voltaire, où la Suède est à peine entrevue; l'Allemagne a une histoire générale, celle de Rühs, ouvrage érudit et

1 Inséré dans la Revue française de mai 1830.

Cette Revue mensuelle était alors dirigée par MM. Guizot, de Barante, le duc de Broglie, Vitet, le comte de Saint-Aulaire et autres notabilités politiques et littéraires que la révolution de juillet 1830 allait appeler au pouvoir. L'auteur, qui avait dix-neuf ans quand il écrivit ces pages, venait de passer un an en Suede, où son père était ministre plénipotentiaire du roi Charles X auprès du roi Charles-Jean (Bernadotte). Trente ans écoulés depuis lors suffisent pour expliquer comment quelques opinions et quelques expressions, qui peut-être ne se présenteraient pas aujourd'hui sous sa plume, ont pu trouver place dans un fragment qui n'a d'ailleurs été conservé que comme souvenir des études et des idées qui préoccupaient alors toute la jeunesse française. (Note de l'édition actuelle.)

profond, mais sec et embrouillé; l'Angleterre possède encore ce qu'il y a de mieux sur ce sujet, un précis de l'histoire de Suède, par Sheridan '; mais cet auteur n'a su ni être impartial, ni saisir les relations de la Suède avec l'Europe: la Suède elle-même n'a pas d'histoire nationale et attend l'accomplissement du beau travail de Geyer, que ce savant ne terminera probablement jamais. Il y a cependant là une bien belle histoire à écrire, un ouvrage qui devrait se placer entre la Grandeur et la décadence des Romains et les Considérations sur le gouvernement de Pologne; il y aurait là pour l'homme de génie ample moisson de pensées hautes et fécondes, de leçons utiles et sévères. Il lui appartiendrait de nous expliquer la singulière destinée de cette nation qui s'associe à toutes les grandes crises des nations européennes et qui semble rester étrangère aux lois et au résultat de leur développement. Elle a des moments sublimes d'éclat et d'élan national, et cependant chez elle rien ne dure, rien ne profite. Le régime féodal lui demeure inconnu, la conquête étrangère passe sur elle sans l'asservir; et cependant le seizième siècle ne la trouve pas plus avancée que le reste de l'Europe. Nulle part la réforme ne triomphe avec plus d'éclat, nulle part le catholicisme n'est détruit si rapidement; mais la controverse, mais la liberté n'inspire pas la moindre vie à sa science, ni à sa littérature. Au dix-septième siècle, la Suède est l'héroïne de la grande lutte religieuse; elle dicte la paix à Münster; à Ryswick, l'Europe la reconnaît pour médiatrice; Bossuet luimème semble effrayé des exploits de Charles-Gustave, ce Suédois indompté; Charles XII vient camper là où mourut

'Histoire de la dernière révolution de Suède, par Ch. F. Sheridan, secrétaire de la légation britannique, en 1772, qu'il ne faut pas confondre avec le célèbre orateur de ce nom.

2 Oraison funèbre d'Anne de Gonzague.

Gustave-Adolphe', pour se faire solliciter tour à tour par Louis XIV et Marlborough. Mais en 1720, après tant de gloire et de puissance, la Suède se retrouve sans avoir conquis des institutions raisonnables, et sans avoir conservé, de toute la rive méridionale de la Baltique, autre chose qu'une chétive portion de la Poméranie. Toute pauvre et stérile qu'elle est, Gustave III veut la façonner sur le modèle de la France de Louis XV; le dix-huitième siècle s'y introduit à la voix du monarque, mais il oublie son enthousiasme démocratique et son désir d'une régénération sociale. Restée tranquille spectatrice de la révolution française, c'est au moment où l'esprit révolutionnaire s'éteint en Europe, que la Suède exclut la dynastie des Vasa et va prendre pour roi un enfant de la république: mais les institutions qu'elle s'est données alors ressemblent déjà à celles d'un peuple vieilli dans la richesse et la corruption. On se demande avec tristesse ce que lui ont valu toutes ces apparitions brillantes sur la scène du monde? Elle qui a tant fait pour la liberté civile et religieuse de l'Europe, qu'a-t-elle fait pour la sienne? qu'a-t-elle rapporté de cette terre d'Allemagne si féconde en lumières, en généreuses pensées, et qu'elle a si longtemps foulée en maîtresse? Quel fruit a-t-elle retiré de sa longue et glorieuse lutte contre le despotisme civilisé de l'Autriche, et le despotisme barbare de la Russie? On dirait qu'une main toute-puissante l'ait faite pour la victoire et lui ait interdit la conquête.

Pourquoi cette triste fortune? Pourquoi cette stérilité du passé? C'est là une question que nous n'osons soulever, et à laquelle nous ne saurions répondre. Il nous convient seulement de constater que la Suède n'a rien gagné à se trouver tantôt en dehors, tantôt en arrière du mouvement européen,

Altranstadt près Lutzen, en 1708.

que les inconséquences de sa destinée ont été fatales à sa liberté comme à sa prospérité, et que l'Europe centrale aurait tort de lui envier des garanties pour la plupart illusoires, et une loi constitutionnelle qui consacre l'intolérance religieuse. On a d'autant plus le droit de déplorer ce funeste résultat, et de s'en étonner, que le peuple suédois est doué de toutes les qualités qui devraient lui assurer la possession d'une liberté raisonnable. Il a de l'instruction, et peu de besoins; la vertu du sacrifice lui est familière. Il possède au suprême degré cette précieuse qualité que madame de Staël a si bien définie, l'habitude du respect la hiérarchie sociale, dont il subit les impérieuses exigences, n'est point l'objet de déclamations irréfléchies, ni de la haine secrète qu'inspire la vanité blessée. Plein d'une affectueuse estime pour son pays et ses aïeux, profondément attaché à ses vieilles mœurs, à ses vieilles croyances, le Suédois porte dans les relations de la vie politique et sociale, ce calme, cette gravité, ce maintien posé et sévère que nous envions à l'Angleterre. Si les hautes classes ont subi sous quelques rapports la désastreuse influence de la corruption du dernier siècle, si elles ont emprunté aux cours du Midi un luxe qui leur pèse, en revanche on retrouve souvent dans les classes moyennes et inférieures l'antique intégrité scandinave; et à la vue d'un paysan de Gothie, d'un mineur dalécarlien, on comprend que de pareils hommes ont pu naguère associer leur gloire aux plus belles époques de l'histoire européenne. Mais le temps n'est plus où l'on pouvait, en déployant des vertus guerrières, se faire pardonner la servilité ou la turbulence de la vie politique. Le caractère suédois, même dans sa pureté primitive, serait aujourd'hui un caractère incomplet; à moins que la Suède ne s'empressât de chercher un nouveau développement, et qu'elle ne voulût nous offrir le spectacle de l'application des formes franche

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