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donc que je ne ferai pas vainement appel à la Chambre en lui faisant sentir toute l'importance qu'il y a d'ajourner, quant à présent, la discussion sur ce sujet. Je puis, au nom du gouvernement, assurer à la Chambre que tous les efforts seront faits pour maintenir la paix générale; et je puis aussi lui donner l'assurance que ce sera d'après les principes qui sont conciliables avec la dignité et les intérêts de l'Europe. (Applaudissements.) »

LORD JOHN RUSSELL.

« Je suis charmé que lord Palmerston ait fait cette interpellation. J'étais bien sûr qu'il la ferait dans un esprit tout à la fois favorable au maintien de la paix, digne de sa position, et avantageux pour les intérêts de l'Europe. Je félicite aussi la Chambre de la réponse qu'elle a reçue. (Applaudissements.) C'était chose d'une grave importance que de savoir, en premier lieu, si le gouvernement de Sa Majesté comprenait qu'il se trouve dans une position assez favorable pour exercer son influence, pour donner ses avis aux puissances entre lesquelles se sont élevés ces différends, enfin pour dire à la France et à l'Autriche son opinion calme et réfléchie sur la présente situation des affaires de l'Europe. Je suis heureux de voir que les ministres de Sa Majesté aient ainsi apprécié leur position. C'est, ce me semble, un avantage qu'il ne fallait pas négliger. En second lieu, nous avons appris du chancelier de l'Échiquier que de l'intervention qui a eu lieu, il est déjà résulté des avantages, que ces grandes puissances ont l'intention d'évacuer les États romains; que le gouvernement a aussi, par l'intermédiaire de lord Cowley, l'intention de faire intervenir à Vienne une influence qui, selon le ministère, pourra servir utilement à la paix générale de l'Europe. (Applaudissements.) J'attends de la sagacité calme et de la prudente intelligence de lord Cowley tout ce que la diplomatie peut accomplir. Je ne veux naturellement rien dire des conditions sur lesquelles on pourra tomber d'accord.

A l'égard des conditions qui peuvent être convenablement acceptées par la France et l'Autriche, c'est à ces puissances d'en décider elles-mêmes, et nul doute que dans l'avis qu'il leur sera donné, leur honneur ne soit suffisamment sauvegardé. Mais il est un autre pays sur lequel je désire présenter une observation, une seule. Il m'est arrivé souvent, il a été souvent de mon devoir d'appeler l'attention de la Chambre sur l'état de l'Italie, de le signaler comme devant, si l'on n'y prenait garde, devenir dangereux pour la paix de l'Europe; mais, pour le moment, je ne ferai que cette seule observation. Je remarque qu'on suppose dans le parlement de Turin que les sympathies de l'Angleterre à l'égard de l'Italie se sont beaucoup affaiblies et refroidies dans ces derniers temps. Or je suis fermement persuadé que nulle guerre qui pourrait surgir, de quelques succès qu'elle fût couronnée, soit qu'elle fût faite par le peuple italien sans auxiliaire, ou par le peuple italien avec le concours d'une grande puissance, ne pourrait procurer à l'Italie autant de prospérité et d'avantages que les arrangements pacifiques qui pourraient être faits par les grandes puissances de l'Europe. (Applaudissements.)

« Ce n'est donc point parce que nos sympathies ne sont plus aussi fortes, aussi vives pour le peuple italien, qui a tant souffert, c'est au contraire parce que je désire ardemment le voir prospérer que j'exprime l'opinion qu'il devrait non pas faire dépendre de la guerre son bonheur à venir, mais employer tous ses efforts pour permettre à la France, à l'Autriche, à la Grande-Bretagne, et à toutes les autres puissances de l'Europe qui peuvent participer à l'arrangement,

de tâcher d'arriver à préserver la paix du monde. (Applaudissements.) Je ne doute pas que la Chambre ne juge à propos de s'abstenir de toute autre discussion pour le moment. »

25 février 4859.

Dépêche adressée par M. le comte de Buol à M. le comte d'Appony,
ministre d'Autriche à Londres.

Lord Loftus m'a confidentiellement donné lecture d'une dépêche par laquelle le comte de Malmesbury constate que le gouvernement britannique ne saurait, à son grand regret, considérer comme dissipées les craintes de guerre répandues depuis le commencement de l'année, et qu'il se croyait, par conséquent, obligé de ne pas ralentir ses efforts tendant à obvier à une conflagration qui certainement ne resterait pas limitée à l'Italie.

La dépêche circulaire, adressée par le comte Cavour aux missions sardes, au sujet de l'emprunt que le gouvernement piémontais veut contracter en vue de préparatifs militaires, offrirait, selon l'opinion de lord Malmesbury, une occasion propice pour renouveler aux deux parties ses conseils amicaux.

Le cabinet britannique, sans s'approprier le point de départ de cette circulaire, qui tend à justifier l'emprunt par l'attitude menaçante que l'Autriche aurait prise aux frontières piémontaises, semble attacher du prix à connaître le point de vue auquel nous apprécions cette pièce, et acquérir la conviction qu'il n'entre point dans nos intentions d'attaquer la Sardaigne, et que nous serions au contraire disposés à prêter la main à une entente avec le gouvernement piémontais qui permit aux deux parties de retirer leurs troupes des frontières respectives.

Nous savons apprécier à leur juste valeur les sentiments qui ont inspiré ces ouvertures amicales, et nous nous associons bien sincèrement au désir du gouvernement britannique, d'épargner au monde, s'il est possible, les calamités d'une conflagration générale. Nous saisissons volontiers cette occasion d'entrer à ce sujet dans quelques développements, qui, je l'espère, mettront nos intentions pacifiques dans tout leur jour.

Quels sont les griefs articulés à notre charge par la circulaire du comte de Cavour? Ils se résument dans la protestation émise par ce ministre contre l'influence prépondérante que l'Autriche exerce, selon lui, en Italie, en dehors des limites que les traités lui ont assignées, et qui constitue une menace constante pour la Sardaigne.

Examinons de plus près cette étrange accusation. Ou je me trompe, ou il est dans la nature des choses que de grands corps politiques seront toujours appelés à exercer une certaine influence sur les Etats qui les avoisinent. Ce qui importe à l'intérêt général, c'est que cette influence ne soit jamais usurpée et ne soit pas exploitée au détriment de l'indépendance d'un autre Etat.

L'Autriche a été plus d'une fois dans le cas de tendre une main secourable à des gouvernements italiens renversés par la révolution. Ces secours n'ont jamais été imposés à personne : loin de là, ils n'ont été accordés qu'aux sollicitations des pouvoirs légitimes, avec un entier désintéressement, dans des vues d'ordre,

de paix et de tranquillité publique. Nos troupes se sont retirées dès que l'autorité légitime s'est trouvée raffermie au point de pouvoir se passer de leur assistance. Le comte Cavour n'a pas à remonter bien haut dans l'histoire de son pays, pour rencontrer un exemple de ce genre de service rendu par l'Autriche à la dynastie de Savoie. A cette époque, il est vrai, les théories modernes de droit public, mises en vogue par le comte Cavour, n'avaient pas encore pris racine en Piémont.

Nous ne nous arrêterons pas davantage à mettre en relief tout ce qu'il y a d'absurde dans le reproche qu'on voudrait nous faire de la confiance que nos principes politiques et la droiture de nos intentions inspirent à nos voisins. Ce qui a été dit contre les traités d'alliance qui subsistent entre nous et quelques États italiens, ne nous paraît guère plus sérieux.

Qu'y a-t-il en effet de plus inoffensif, de plus inattaquable, au point de vue du droit des gens, de plus conforme à l'intérêt universel du maintien de l'ordre et de la paix, que des traités d'alliance, conclus entre États indépendants exclusivement, dans l'intérêt d'une légitime défense, et imposant aux parties contractantes des obligations réciproques qui ne portent pas la moindre atteinte aux droits de tierces puissances? Mais si ces traités ne sont d'aucune façon en désaccord avec les principes du droit public, nous comprenons qu'ils sont de nature à gêner l'action et les vues ambitieuses d'un gouvernement qui, non content d'être parfaitement le maître chez lui, se pose en organe privilégié des prétendues douleurs de l'Italie et s'attribue la mission, hautement désavouée par les autres souverains italiens, de porter la parole au nom de toute la péninsule. Le droit de faire appel à des secours étrangers, le comte Cavour, tout en l'accordant dans l'intérêt du désordre, le conteste aux gouvernements légitimes, qui cependant ont la mission de veiller sur l'ordre public, et de garantir la sûreté de leurs sujets paisibles. Et ces étranges principes, le cabinet de Turin les proclame au moment où il laisse s'accréditer l'opinion qu'il peut compter, dans la poursuite de ses projets aggressifs, sur l'appui d'une grande puissance limitrophe.

Ces contradictions sont trop palpables pour laisser subsister le moindre doute que les plaintes formulées contre l'influence qu'exercerait l'Autriche en dehors des traités, ne soient que de vains et futiles prétextes. Ce qu'il y a de vrai au fond de ces déclamations, le voici. En 1848, le roi de Sardaigne envahit à main armée la Lombardie, sans déclaration de guerre préalable, et sans pouvoir autrement justifier cette rupture de la paix que par le sentiment national qui le poussait, dit-il, à venir au secours de frères opprimés. L'injuste aggresseur fut repoussé dans deux campagnes victorieuses. L'Autriche ne profita des fruits de sa victoire qu'avec une modération à laquelle l'Europe a rendu justice. La paix une fois. signée, nous l'avons prise au sérieux. En revanche, la troisième entrée en campagne (la terza riscossa) n'a jamais discontinué de faire partie du programme du cabinet de Turin.

En attendant le moment opportun pour nous faire la guerre à main armée, le Piémont nous fit une guerre sourde, en laissant un libre cours, soit aux calomnies et aux insultes qu'une presse licencieuse nous prodiguait journellement, soit aux appels à la révolte qu'elle adressait aux populations des autres pays italiens, soit enfin aux démonstrations hostiles de tout genre. Lorsqu'il y a deux ans, l'empereur, notre auguste maître, visita ses provinces italiennes, marquant son passage par des actes de grâce et de bienfaits, la presse piémontaise redoubla de fureur et poussa la démence jusqu'à l'apologie du régicide.

C'est alors que nous posâmes au cabinet de Turin la simple question : quelles garanties il pouvait nous offrir contre la prolongation indéfinie d'un état de choses si attentatoire aux rapports d'amitié que nous désirions voir subsister entre les deux gouvernements? Voilà ce que le comte de Cavour, dans son langage, appelle exiger des modifications aux institutions de son pays!

Le chargé d'affaires de l'empereur fut rappelé de Turin pour n'être plus témoin oculaire d'une situation anormale à laquelle le gouvernement piémontais ne voulait pas remédier. Mais cette suspension des rapports diplomatiques ne nous empêcha point de continuer, comme par le passé, à combiner et à concerter avec les autorités piémontaises tout ce qui était de nature à favoriser et à développer les communications, les relations commerciales, en un mot, les rapports de bon voisinage entre les habitants des deux pays.

En dépit de ce bon vouloir et de cette modération constante, en dépit de notre inépuisable patience, des cris de guerre frénétiques ont été poussés au delà du Tessin, surtout depuis le commencement de cette année.

En présence de l'agitation provoquée par cette ardeur guerrière que le discours royal prononcé à l'ouverture du parlement, et les explications subséquentes des ministres, n'étaient assurément pas de nature à décourager, le gouvernement impérial s'est enfin décidé à envoyer des renforts dans le royaume lombardo-vénitien. Cette mesure, commandée par la simple prudence, n'a qu'un but purement défensif. L'assertion du comte Cavour, que c'était une mesure hostile dirigée contre la Sardaigne, n'est pas plus fondée que ne l'est son allégation que les garnisons de Bologne et d'Ancône avaient été renforcées.

Telle est la situation réduite à ses termes les plus simples. La main sur la conscience, que pourrions-nous faire pour la détendre et pour la changer en mieux? Serait-il possible de pousser plus loin que nous ne l'avons fait la modération et la longanimité? Et les puissances telles que la Grande-Bretagne, qui vouent au maintien de la paix une sollicitude aussi juste qu'elle est honorable, ne se sentiraient-elles pas appelées à prendre à tâche de tarir la source du mal en ramenant le Piémont à une appréciation plus saine de ses droits et de ses devoirs internationaux? Que, par leurs efforts réunis, le cabinet de Turin soit empêché de continuer le rôle de provocateur dans lequel, abusant des avantages de sa position et de la tolérance de l'Europe, il se plaît depuis des années, et on verra, nous n'en doutons pas, renaître dans le reste de la Péninsule la tranquillité et la paix morales, que les excitations continuelles du cabinet de Turin tendent à en bannir.

Hâtons-nous d'aller au-devant d'une objection que nous pressentons ici. Le mécontentement d'une partie des populations, surtout dans l'Italie centrale et méridionale, nous dira-t-on, a sa source principale dans l'administration défectueuse des gouvernements.

Tout en réprouvant les mille calomnies par lesquelles on tâche de soulever l'opinion contre ces gouvernements, nous ne nous sentons pas appelés à soutenir la thèse que tout soit parfait dans l'organisation et dans le système administratif de leurs pays. Là même où il y a les institutions les plus excellentes, il faut faire une large part aux imperfections des instruments. Depuis un demi-siècle, l'Italie a été livrée à toutes sortes d'expériences politiques. Tour à tour les systèmes les plus divers y ont été mis en pratique. Par suite de l'introduction d'institutions qui fonctionnent admirablement là où elles ont été développées et mûries par les siècles, mais qui ne semblent pas homogènes au génie, aux traditions et aux conditions sociales des Italiens, on a vu se suc

céder dans la Péninsule des bouleversements déplorables, des scènes de désordre et de sanglante anarchie. Ce ne sont pas les conseils de l'Autriche qui ont amené ces jours néfastes dans l'histoire moderne de l'Italie. En revanche, nous avons toujours franchement applaudi à toute amélioration marquée au coin d'une saine pratique, nous avons constamment accueilli avec satisfaction et favorisé, dans la mesure de notre influence, tout progrès bien entendu. Consultés, nous avons émis consciencieusement notre avis, après mûr examen de toutes les circonstances.

Ces mesures peuvent ne pas avoir toujours produit tout le bien qu'il avait été permis d'en attendre. Mais qui oserait en rejeter toute la responsabilité sur l'action des gouvernements? Ce qui est bien avéré, c'est que tous les Etats, grands ou petits, ont de nos jours à lutter contre de puissants obstacles. Nous avons démontré plus haut que la liberté, telle qu'elle est comprise en Piémont, liberté voisine de la licence et affranchie du respect scrupuleux des droits d'autrui, n'est pas sans graves inconvénients pour les Etats limitrophes. Nous n'en reconnaissons pas moins que le gouvernement piémontais lui-même est avant tout le juge du régime intérieur qui convient à son pays. Mais, tout comme nous respectons à ce sujet son autonomie, nous ne nous croyons pas autorisés non plus à imposer à d'autres États italiens un système gouvernemental et à préciser l'opportunité du moment pour introduire les améliorations dont ce système pourrait être susceptible.

Quoi qu'il en soit, le grand argument mis en avant contre l'administration pontificale, c'est qu'elle ne peut se soutenir qu'avec l'aide des étrangers, A cela nous répondons simplement, que le cabinet du Vatican est déjà entré en pourparlers, tant avec l'Autriche qu'avec la France, pour amener l'évacuation des États pontificaux, préparée déjà de longue main par la diminution successive des corps d'occupation et par la réorganisation progressive de la force armée pontificale.

En prêtant au souverain pontife, dépossédé par la révolution, le secours de leurs armes, l'Autriche et la France ont servi un grand intérêt de l'ordre social. La souveraineté temporelle du saint-père est une des garanties du libre exercice de son ministère apostolique et de l'indépendance du chef spirituel de la catholicité. Cependant, le jour où le gouvernement pontifical déclarera que sa force armée a fait assez de progrès pour pouvoir, à elle seule, suffire aux besoins de l'ordre et de la sécurité intérieure, l'empereur, notre auguste maître, sera heureux de pouvoir rappeler ses troupes, parce qu'il verra dans ce résultat un gage nouveau de la sollicitude paternelle que le saint-père vouera également à l'amélioration successive d'autres branches du service public.

Ne nous dissimulons pas, au reste, que les difficultés que le gouvernement pontifical rencontre dans l'accomplissement de sa tâche proviennent beaucoup moins de l'intérieur que des éléments révolutionnaires, des influences et des excitations qui partent sans cesse de l'étranger. Pour pouvoir espérer, sur ce terrain, de prompts et heureux résultats, rien n'est plus indispensable, je le répète, que d'agir sur le Piémont, pour qu'il respecte l'indépendance des autres Etats italiens, tout comme son indépendance est respectée par eux comme par nous, dans les limites que les traités lui ont assignées.

Ce n'est que lorsque ce résultat sera obtenu que le gouvernement pontifical et les autres gouvernements italiens pourront, avec efficacité, s'occuper de l'introduction des améliorations que comporte leur administration intérieure, Alors aussi les avis bienveillants de l'Autriche, qui, plus que tout autre puis

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