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dans les duchés de Parme et de Modène, s'ils étaient dotés d'institutions analogues à celles dont le Piémont jouit depuis onze ans. L'expérience de ce pays démontre qu'un système sagement libéral, appliqué avec bonne foi, peut fonctionner en Italie de la manière la plus satisfaisante, en assurant en même temps la tranquillité publique et le développement de la civilisation.

Quant à la Toscane, il juge nécessaire le rétablissement de la constitution de 1848 que le grand-duc a jurée, et qui a été révoquée juste au moment où, se fondant sur les institutions qu'elle consacraient, le grand-duc était restauré sur son trône renversé par un mouvement révolutionnaire.

Pour ce qui a rapport aux États du Saint-Siége, le cabinet de Turin ne saurait se dissimuler que la question présente de bien plus graves difficultés. La double qualité que revêt le souverain pontife, de chef de l'Eglise catholique et de prince temporel, rend presque impossible (dans ses Etats) l'établissement du système constitutionnel. Il ne saurait y consentir sans courir le danger de se trouver souvent en contradiction avec lui-même et d'être forcé d'opter entre ses devoirs comme pontife et ses devoirs comme souverain constitutionnel.

Néanmoins, en reconnaissant qu'il faut renoncer à l'idée d'assurer la tranquillité des Etats du pape au moyen d'institutions constitutionnelles, le cabinet de Turin pense qu'on se rapprocherait du même but en adoptant le projet que les plénipotentiaires de S. M. le roi de Sardaigne au congrès de Paris ont développé dans la note du 27 mars 1856, adressée aux ministres de France et d'Angleterre. Ce projet, qui a reçu la pleine approbation de lord Clarendon, repose sur la séparation administrative complète des provinces de l'Etat romain situées entre l'Adriatique, le Pô et les Apennins, et le développement, chez elles, des institutions municipales et provinciales qui ont été établies en principe, sinon mises en pratique, par le pape lui-même à son retour de Gaëte. Ce projet devrait maintenant être complété par l'établissement à Rome d'une consulte nommée par les conseils provinciaux, à laquelle seraient soumises les questions relatives aux intérêts généraux de l'État.

Les idées qui viennent d'être exposées sont une réponse claire et précise à l'interpellation que le gouvernement de S. M. Britannique a adressée au cabinet de Turin. En les résumant, il résulte qu'à son avis les dangers d'une guerre ou d'une révolution seraient conjurés, et la question italienne temporairement assoupie aux conditions suivantes :

En obtenant de l'Autriche, non en vertu des traités mais au nom des principes d'humanité et d'éternelle justice, un gouvernement national séparé, pour la Lombardie et la Vénétie;

En exigeant que, conformément à la lettre et à l'esprit du traité de Vienne, la domination de l'Autriche sur les Etats de l'Italie centrale cesse, et par conséquent que les forts détachés construits en dehors de l'enceinte de Plaisance soient détruits, que la convention du 24 décembre 1847 soit annulée, que l'occupation de la Romagne cesse, que le principe de la non-intervention soit proclamé et respecté;

En invitant les ducs de Modène et de Parme à doter leurs pays d'institutions analogues à celles qui existent en Piémont, et le grand-duc de Toscane à rétablir la constitution qu'il avait librement consentie en 1848;

En obtenant du souverain pontife la séparation administrative des provinces en deçà des Apennins, conformément aux propositions communiquées en 1856 aux cabinets de Londres et de Paris.

Puisse l'Angleterre obtenir la réalisation de ces conditions! L'Italie soulagée

et pacifiée la bénira, et la Sardaigne, qui a tant de fois invoqué son concours et son aide en faveur de ses concitoyens malheureux, lui vouera une reconnaissance impérissable.

(Le Nord.)

14 mars 1859.

Note adressée par le conseil fédéral de la Suisse aux diverses puissances, pour exposer l'attitude que la Suisse se propose de prendre dans l'éventualité d'une guerre en Italie.

Berne, 14 mars.

Bien que les Etats de l'Europe jouissent pleinement aujourd'hui des bienfaits de la paix, l'on ne saurait disconvenir que la confiance dans la stabilité de cet état de choses n'ait subi un ébranlement, et qu'il n'existe des motifs d'admettre que la tranquillité générale pourra être troublée par la possibilité de graves événements.

Dans de telles conjonctures; la Suisse doit à sa dignité, à son caractère d'Etat indépendant et libre, comme à sa constitution politique et à son organisation, de se prononcer à temps et sans détour sur l'attitude qu'elle se propose de prendre en regard de certaines éventualités, suivant la position qui lui est faite par sa situation, son histoire, ses besoins intérieurs et ses rapports avec les États étrangers.

Le Conseil fédéral le déclare donc de la manière la plus formelle, si la paix de l'Europe vient à être troublée, la Confédération suisse défendra et maintiendra, par tous les moyens dont elle dispose, l'intégrité et la neutralité de son territoire, auxquels elle a droit en sa qualité d'Etat indépendant, et qui lui ont été solennellement reconnus et garantis par les traités européens de 1815. Elle accomplira loyalement cette mission envers tous également.

Les traités de 1815 déclarent eu outre que certaines portions du territoire de la Savoie qui font partie intégrante des États de Sa Majesté le roi de Sardaigne sont comprises dans la neutralité suisse.

Il résulte, en effet, de ces traités, savoir: la déclaration des hautes puissances du 29 mars 1815, et l'acte d'accession de la Diète suisse du 12 août 1815, l'acte final du Congrès de Vienne du 9 juin 1815 (art. 92), la paix de Paris du 20 novembre 1815 (art. M.) et l'acte du même jour, portant reconnaissance et garantie de la neutralité perpétuelle de la Suisse, et de l'inviolabilité de son territoire, que les parties de la Savoie désignées dans ces actes sont au bénéfice de la même neutralité que la Suisse, avec la clause spéciale que toutes les fois que les puissances voisines de la Suisse se trouveront en état d'hostilités ouvertes ou imminentes, les troupes de Sa Majesté le roi de Sardaigne qui pourraient se trouver dans les provinces neutralisées se retireront et pourront, à cet effet, passer par le Valais, si cela devient nécessaire; qu'aucunes autres troupes armées d'aucune autre puissance ne pourront y stationner ni la traverser, sauf celles que la Confédération suisse jugerait à propos d'y placer.

Les dispositions précitées des traités généraux ont été expressément confirmées dans tous leurs points par le traité spécial qui a été conclu, le 16 mars 1816, entre la Confédération et Sa Majesté le roi de Sardaigne.

Si dès lors les circonstances le réclament, et pour autant que la mesure sera

nécessaire pour assurer et défendre sa neutralité et l'intégrité de son territoire, la Confédération suisse fera usage du droit qui lui a été conféré par les traités européens, d'occuper les parties neutralisées de la Savoie; mais il est bien entendu que si la Confédération recourt à cette mesure, elle respectera scrupuleusement et sous tous les rapports les stipulations des traités, entre autres celle qui dit que l'occupation militaire suisse ne portera aucun préjudice à l'administration établie par Sa Majesté sarde dans lesdites provinces. » Le Conseil fédéral déclare qu'il s'efforcera de se mettre d'accord avec le gouvernement de Sa Majesté le roi de Sardaigne, au sujet des conditions spéciales d'une telle occupation.

Le Conseil fédéral exprime en terminant l'espoir que ces déclarations, aussi franches que loyales, seront favorablement accueillies, et que les hautes puissances sauront parfaitement apprécier le point de vue auquel il a dû se placer en présence de la situation actuelle et dans la prévision des éventualités qui peuvent surgir.

Il saisit, etc.

Au nom du Conseil fédéral suisse,
Le président de la Confédération,

STÆMPFLI.
Le chancelier,
SCHIESS.

Extrait d'un Mémoire adressé en 1854, par le général Dufour, au conseil fédéral, sur la question de la neutralité de la Suisse par rapport aux traités qui règlent la neutralisation d'une partie de la Savoie.

La première question qu'avait posée le Conseil fédéral à cette occasion à M. le général Dufour était celle-ci : « Est-il dans l'intérêt militaire de la Confédération d'occuper les territoires neutralisés, quoique les fortifications de Genève aient été détruites?» L'honorable général a répondu affirmativement dans le sens d'une occupation réduite au strict nécessaire, d'autant plus que Genève démantelée serait actuellement incapable de la moindre résistance, si elle ne pouvait être couverte par un corps de troupes, et que celui-ci, sans l'occupation du Chablais, serait exposé à être enlevé par l'ennemi.

La seconde question était relative aux conditions à poser dans une convention à conclure à ce sujet entre la Confédération suisse et la Sardaigne.

Le général Dufour a répondu que la première et la plus importante de ces conditions était de préciser les lignes à occuper, et de les porter ensuite à la connaissance de tous les intéressés. Quant à lui, il propose une ligne partant du Rhône au Vuache, suivant le mont de Sion, le Salève, la rivière de l'Arve (Bonneville), puis son affluent de Giffre, pour aboutir à la frontière du Valais. Cette ligne comprendrait tout le Chablais et une partie de la province de Carouge et du Faucigny; elle serait moins étendue et plus efficace par cela même que celle des traités par Ugine, Faverges et le lac du Bourget, et aurait alors un avantage pour la Suisse. Pour la définir d'une manière parfaitement précise,

on aurait recours aux rivières qui coulent sur son front, ce qui procurerait en même temps un glacis naturel pour la défense des montagnes.

Dans une nouvellé lettre adressée sur cet important sujet, par le général Dufour, au département militaire fédéral, en date du 22 février dernier, l'honorable chef de l'armée suisse a fait ressortir de nouveau l'absolue nécessité d'explications diplomatiques préalables, pour que l'on sût clairement à quoi s'en tenir le cas échéant. Depuis l'année 1830 et l'élaboration du mémoire de 1854, la question, en effet, bien loin de se simplifier, s'est compliquée d'un nouvel élément. Il ne s'agit plus (comme on le supposait lors de la rédaction du traité de Vienne de 1815) de l'éventualité d'une guerre entre la Sardaigne et la France, ces deux puissances sont alliées; mais leur principale artère de communication, par suite de la construction du chemin de fer de Culoz à Chambéry (s'embranchant à Culoz sur la ligne de Lyon à Genève), est venue se loger sur le territoire neutralisé en 1815.

De quelque manière que la ligne de neutralisation soit tracée d'après les traités (c'est du moins l'opinion du général Dufour), elle coupe ce chemin de fer. Dès lors, si la Suisse ne pouvait arriver à faire modifier cette ligne de neutralité, elle devrait s'opposer au passage des troupes se rendant par Culoz à Chambéry.

Or, c'est là un véritable danger pour la neutralité de la Suisse, d'autant plus à redouter qu'il s'agirait pour elle de défendre le point le plus éloigné de son propre territoire, et le plus éloigné en même temps de Genève, qui serait le quartier-général de la division ou des divisions employées à protéger cette fron

tière.

Cette position n'aurait d'autre avantage pour la Suisse que d'attirer l'orage sur elle. Il devient donc de toute nécessité de restreindre l'étendue du territoire neutralisé, s'il est vrai que les traités de 1815 aient été faits en faveur de la Suisse et non contre la Suisse. Une modification de la ligne de neutralité devrait donc être obtenue, de manière à nous couvrir suffisamment sans interrompre aucune communication entre nos voisins, et elle serait infiniment mieux respectée que la première.

17 mars 1859.

Dépêche de M. de Cavour à M. le marquis d'Azeglio,
ministre de Sardaigne à Londres.

Turin, 17 mars 1859.

Monsieur le marquis,

Sir James Hudson, dans une note en date du 14 de ce mois, dont vous trouverez ci-joint une copie, m'a demandé, au nom de son gouvernement, la Sardaigne était disposée à suivre l'exemple de l'Autriche, en déclarant d'une manière formelle, ainsi que le comte Buol l'a fait dans sa dépêche au comte Appony du 25 février, qu'elle n'avait aucune intention d'attaquer sa puissante voisine.

Appréciant les sentiments qui ont inspiré cette démarche de la part du cabinet

de Saint-James, nous n'hésiterons pas à lui répondre avec la plus entière franchise, comme nous l'avons fait, il y a peu de jours, lorsqu'il nous a demandé de formuler d'une manière claire et précise les griefs de l'Italie contre l'Autriche, et d'indiquer les moyens d'y porter remède.

En présence des actes agressifs (de quel autre nom les appeler?) commis par l'Autriche, de la concentration de forces imposantes sur la frontière sarde, de la mise sur pied de guerre de son armée d'Italie, de la construction et de l'occupation de nouvelles fortifications sur un territoire qui ne lui appartient pas, de l'occupation décennale des légations, de la violation des traités publics, le gouvernement du roi aurait le droit, d'après la loi des nations, de pourvoir à sa défense contre l'Autriche, même par la voie des armes.

L'Angleterre a implicitement reconnu ce droit lorsque, il n'y a pas encore longtemps, par l'organe de son ministre des affaires étrangères, en flétrissant de tout le poids de sa grande autorité, et par la solennité d'un office diplomatique, la mesure inique des séquestres mise par l'Autriche sur les biens des sujets sardes, elle constatait que si, dans cette circonstance on avait réussi à conjurer les dangers d'une guerre, ce résultat était dû exclusivement à la grande modération dont le gouvernement sarde avait fait preuve.

Toutefois, puisque le gouvernement britannique a reconnu l'état anormal de l'Italie et a promis à la Sardaigne de s'efforcer d'y porter remède, le gouvernement sarde, en prenant acte de ces engagements et en se réservant sa liberté d'action pour le cas où l'Autriche ne s'abstiendrait pas, à l'avenir, de commettre des actes agressifs, est prêt à donner l'assurance qu'il n'est pas dans son intention d'attaquer l'Autriche, et il consent à faire à cet égard une déclaration identique à celle contenue dans la dépêche précitée du comte Buol, qui n'est, å vrai dire, qu'un long et amer réquisitoire contre la Sardaigne et la politique du cabinet que j'ai l'honneur de présider.

Les discours prononcés devant le parlement pour expliquer notre politique, les dépêches et les circulaires que vous avez dû communiquer au cabinet de Saint-James, et notamment le memorandum adressé à l'Angleterre et à la Prusse, auquel lord Malmesbury a bien voulu rendre une entière justice, expliquent et justifient notre conduite d'une manière assez complète pour que je me croie dispensé de saisir cette occasion de réfuter un à un les arguments dont le comte Buol se sert dans sa dépêche, pour représenter la Sardaigne comme la cause véritable de l'état anormal de l'Italie.

Ces arguments, d'ailleurs, ne sauraient avoir aucune valeur pour toute personne impartiale qui a conservé un souvenir exact des faits qui se sont succédé depuis le commencement de cette année.

Les mesures militaires prises successivement par l'Autriche, dont je vous ai entretenu dans ma dépêche du..., ont toutes précédé les actes du gouvernement sarde qui auraient pu les justifier. Le discours de la couronne, à l'ouverture du parlement de Turin, n'a été prononcé que le 10 janvier, et dès le 3 du même mois un nouveau corps d'armée avait été précipitamment envoyé en Italie. Notre emprunt n'a eu lieu que longtemps après l'essai fait par l'Autriche d'en négocier un bien plus considérable à Londres.

Enfin, si nous avons appelé nos contingents sous les armes en laissant nos réserves dans leurs foyers, ce n'a été que lorsque l'Autriche, en décrétant la mise des corps d'armée d'Italie sur un pied de guerre complet, nous a convaincus que nous nous trouverions bientôt en face de la plus forte des armées qui aient foulé le sol italien.

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