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par les papiers: neutralité honnête si la cargaison a été reconnue innocente.

Malheureusement il est arrivé que, se sentant soutenus par les canons de leur navire, les délégués à la visite ont trouvé trop simple d'ajouter foi et créance aux papiers de bord du navire visité. Ces délégués, jaloux de la tranquillité dont jouissait le commerce neutre alors que le commerce de leurs nationaux se trouvait entravé, ont émis des prétentions illégitimes, poussés à ces actes soit par l'autorisation tacite de leurs gouvernements, soit par leur amour du gain, soit enfin par un amour-propre national faux et exagéré. Non contents de l'examen des papiers de bord ils ont voulu s'assurer par euxmêmes si ces papiers étaient conformes à la vérité, et même si le commandant du navire neutre n'avait pas, d'autres papiers.

« Pour y parvenir, le belligérant se fit ouvrir ou ouvrit lui-même, par force, les armoires, les coffres, les meubles, afin de chercher quelques indices de fraude. Il fit ouvrir ou ouvrit les écoutilles, pénétra dans la cale, bouleversa le chargement, rompit et brisa les colis afin de découvrir un peu de contrebande, objet de ses plus ardents désirs.... On alla encore plus loin: le croiseur fut autorisé, par son propre souverain, à faire subir un interrogatoire aux officiers et aux matelots du neutre, cherchant à obtenir un mot que trop souvent il arrachait par l'ivresse, par les menaces, par les mauvais traitements et même par les tortures. Un seul mot suffisait le navire était saisi, détourné de sa route, conduit dans un des ports du belligérant et trop souvent condamné...... Dans tous les cas, si après une longue procédure il était relaxé, ses opérations

commerciales étaient manquées, ses armateurs trop souvent ruinés.

Les Anglais surtout pratiquèrent les recherches; mais il y a lieu de regretter qu'un arrêt du Conseil de France du 26 octobre 1692 ait déclaré positivement que l'interrogatoire subi par les officiers et les hommes de l'équipage ferait foi contre la teneur des papiers de bord réguliers; et que l'art. IV du Traité de 1801 ait reconnu que le croiseur peut toujours, malgré la régularité des papiers, s'il a de justes motifs de soupçons, procéder à des recherches et interroger les équipages.

Mais cette perquisition et cet interrogatoire que sont-ils sinon un commencement d'instruction du procès que jugera le Tribunal des Prises, et par conséquent un acte de juridiction? Les recherches sont donc illégales, injustes et vexatoires, et le neutre peut les empêcher. Il est à souhaiter que désormais les belligérants s'abstiennent de tels procédés, bien qu'ils puissent y trouver deux grands avantages. En effet, les recherches jointes aux soupçons aident puissamment à la ruine du commerce et de la navigation neutres, et offrent l'appât d'un gain immense aux visiteurs peu scrupuleux.

L'apre désir de ruiner la navigation et le commerce neutres, et l'ambition de régner sur les mers ont conduit certaine Puissance à réclamer la visite. des navires neutres naviguant sous l'escorte de bâtiments de guerre de leur nation et même le droit d'y pratiquer des recherches.

En désignant un navire de guerre pour accompagner et escorter un convoi de navires marchands,

1. Hautefeuille. Op. cit.

l'Etat neutre, par cela même, déclare prendre à sa charge le contrôle et la surveillance de ces navires; il se porte garant, vis-à-vis des belligérants, de l'innocence des cargaisons; et, donnant ainsi à sa garantie une forme visible par la présence de son navire de guerre, il a le droit absolu d'exiger le respect dù à l'honneur de son pavillon.

Art. XIX du Traité du 30 septembre 1800:

Et dans le cas où les dits bâtiments seraient convoyés l'intention des parties étant d'observer tous les égards dus à la protection du pavillon arboré sur les vaisseaux publics, on ne pourra en faire la visite; mais la déclaration verbale du commandant de l'escorte que les navires de son cenvoi appartiennent à la nation dont il porte le pavillon, et qu'ils n'ont aucune contrebande à bord, sera regardée par les croiseurs respectifs comme pleinement suffisante: les deux parties s'engagent réciproquement à ne point admettre sous la protection de leurs convois des bâtiments qui porteraient des marchandises prohibées à une destination ennemie.

Tout le monde reconnait que les belligérants n'ont pas le droit de pénétrer dans les ports neutres pour y rechercher les marchandises appartenant à leurs adversaires, car les eaux territoriales neutres sont neutres et inviolables; les navires ennemis qui s'y trouvent sont à l'abri de toute vexation et de toute visite. Or, si l'on admet qu'un navire de guerre d'un Etat représente une portion détachée du territoire de cet Etat, il devra au moins pour les navires qu'il escorte rendre territoriale l'étendue de mer sur laquelle il peut exercer son imperium, et dans cette étendue territoriale la visite des navires neutres convoyés devra être interdite. Mais, dira-t-on, à ce prix les navires ennemis qui se trouveront dans ses eaux seront protégés? Non, car sa protection ne doit s'étendre, et il ne peut l'étendre, qu'aux nàvires qu'il a reçu mission de convoyer.

Aussi trouvons-nous absolument illégal et injuste

l'art. IV du Traité de 1801 qui déclarait légitime la visite des navires sous convoi. Il la déclarait légitime exercée seulement par les bâtiments de guerre. belligérants et non par les corsaires. Mais mème avec cette restriction il émettait de faux principes. Il allait même beaucoup plus loin, car il disait qué le croiseur peut toujours, malgré la régularité des papiers, et s'il a de justes motifs de soupçons, procéder aux recherches et interroger les équipages en présence d'un officier de l'escorte; qu'il peut saisir et emmener les navires marchands qu'il a de justes et suffisantes raisons de détenir le chef du convoi ayant le droit d'envoyer un de ses officiers pour accompagner les bâtiments saisis.

L'illustre défenseur des droits des neutres, le comte de Bernstorff, a, dans ses notes aux envoyés anglais, parfaitement établi les principes :

L'usage et les traités, disait-il, attribuent sans doute aux partis belligérants le droit de faire visiter par leurs vaisseaux de guerre et leurs corsaires les navires neutres non convoyés. Mais ce droit n'étant pas naturel mais conventionnel on ne saurait sans injustice ou sans violence en étendre l'effet arbitrairement au delà de ce qui a été convenu ou accordé. Or, aucune des puissances maritimes et indépendantes de l'Europe n'a jamais, que le soussigné sache, reconnu le droit de faire visiter des navires neutres escortés par un ou plusieurs vaisseaux de guerre, et il est évident qu'elles ne sauraient le faire sans dégrader leur pavillon et sans renoncer à une partie essentielle de leurs propres droits.

Et il ajoutait :

Le gouvernement neutre, en faisant convoyer par des vaisseaux de guerre les navires de ses sujets commerçants, offre par là même aux puissances belligérantes une garantie plus authentique, plus positive encore que ne l'est celle qui est fournie par les documents dont ces navires sont munis, et il ne saurait, sans se déshonorer, admettre à cet égard des doutes ou des soupçons qui seraient ausst injurieux pour lui qu'injustes de la part de ceux qui les concevraient ou les manifesteraient 1.

1. Réponse à M. Merry, 19 avril 1800.

Que si l'on voulait, disait-il encore, admettre le principe que le convoi du souverain qui l'accorde ne garantit pas les navires de ses sujets de la visite des vaisseaux de guerre ou armateurs étrangers, il en résulterait que l'escadre la plus formidable n'aurait pas le droit de soustraire les bâtiments confiés à sa protection au contrôle du plus chétif corsaire1.

Lord Whitworth lui répondait :

Si le principe est une fois admis qu'une frégate danoise peut légalement garantir de toute visite les vaisseaux marchands de cette nation, il s'ensuit naturellement que cette même puissance ou toute puissance quelconque peut, par le moyen du moindre bâtiment de guerre, étendre cette même protection sur tout le commerce de l'ennemi dans toutes les parties du monde. Il ne s'agira que de trouver dans le monde entier civilisé un seul Etat neutre, quelque peu considérable qu'il puisse être, assez bien disposé envers les ennemis pour leur prêter son pavillon et couvrir tout leur commerce sans encourir le moindre risque, car dès que l'examen ne peut avoir lieu la fraude ne craint plus de découverte 2.

Mais le Ministre danois indigné :

Si lord Whitworth a pensé détruire la force des arguments développés dans cette note (19 avril) par la réflexion que, par le droit de garantie des navires marchands de toute visite par l'escorte d'un vaisseau de guerre, l'Etat neutre le moins puissant acquerrait la faculté de couvrir impunément de son pavillon un commerce illicite, le soussigné le prie d'observer que le gouvernement qui se dégraderait au point de prêter son pavillon à une pareille fraude sortirait par cela même des bornes de la neutralité et autoriserait par conséquent la puissance belligérante au préjudice de laquelle cette fraude eut été commise à des mesures que des circonstances ordinaires n'admettraient pas. L'Etat qui méconnait ses devoirs s'expose sans doute à perdre ses droits; mais le soupçon d'une conduite avilissante serait aussi injurieux pour le gouvernement qui ne la mériterait pas que peu honorable pour celui qui l'aurait sans fondement 3.

Nous n'avons pas craint de faire ces longues citations afin de rendre hommage à l'illustre homme d'Etat dont nous acceptons tous les principes, et nous concluons comme lui: Si un Etat neutre place

1. Réponse à M. Merry, 19 avril 1800.

2. Réponse à M. de Bernstorff, 21 août 1800. 3. Réponse à Lord Whitworth, 26 août 1800.

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