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II. CLASSE.

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opinion de moy, & que vous croyez me connoître comme je me connois moy-même. Mais c'eft cela même qui fait la difficulté où je me trouve de répondre à vôtre lettre. Car d'un côté l'envie que j'ay d'épargner vôtre modeftie m'empêche de vous dire tout ce que je penfe de vous; mais auffi fi j'en dis moins, aprés toutes les louanges que vous m'avez données, je demeure en reste avec vous. Je ne m'en mettrois pas en peine fi ce que vous m'avez dit de moy venoit d'un principe de flaterie, qui eft ce qu'il y a de plus contraire à l'amitié, au lieu que je fçay qu'il part d'une charité tres- fincere. Si c'étoit donc la flaterie qui vous cût fait parler de la forte, je ne ferois point vôtre debiteur car A DIEU ne plaise que nous nous croyïons obligez de payer les flateries en même monoye; mais je vous' dois d'autant plus que je connois mieux la fidelité & la fincerité avec laquelle vous me parlez.

3. Mais que fais-je ? Et n'est-ce pas me loüer moy-même, en quelque forte, que de dire que vous me parlez avec fidelité & fincerité, quand vous me loüez? il est vray; mais je n'ay fçû faire autrement, ny m'empêcher de parler de vous

comme j'ay déja fait à la perfonne que
vous fçavez. Cependant je viens de me
jetter encore par-là dans une difficulté
nouvelle que vous ne m'aviez point faite,
& dont vous attendez fans doute que
je vous donne la folution. Ainfi je m'en-
dette de nouveau envers vous, comme
fije ne vous devois pas déja affez. Mais
il me fera aifé de vous montrer (& vous
le verriez bien de vous-même quand je
ne vous le montrerois pas) que l'on peut
dire vray en ne parlant pas fidellement
ny fincerement, & qu'on peut parler fi-
dellement & fincerement en ne difant
pas vray. Car celuy qui dit ce qu'il pen-
fe parle fincerement, quoique ce qu'il dit
ne foit pas vray, & celuy qui dit le con-
traire de ce qu'il penfe ne parle pas
fince-
rement quoique ce qu'il dit foit vray. Or
je ne puis douter que vous ne penfiez ce
que vous dites de moy: mais comme je
ne me reconnois point dans le portrait
que vous m'en faites, il fe
peut faire
que vous ne difiez pas vray, quoique
vous parliez fort fincerement.

4. Je ne veux donc pas que vous foyez
trompé, quoique ce qui yous trompe ne
foit
que cette même amitié à qui je dois
tant. Le même principe d'amitié & de
fincerité me pourroit faire dire tout le

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bien que je connois de vous, fi je ne voulois, comme j'ay déja dit, épargner vôtre modeftie. Pour moy, quand je me vois loué par un amy intime,il me femble c'eft comme fi je me loüois moy-même; & vous voyez fi cela fe peut foûtenir, quand on diroit le plus vray du monde bien moins donc le peut-on quand ce qui fe dit à nôtre avantage n'eft pas vray. Or quoique vous foyez un autre moy-même, ou plûtôt que nos deux ames n'en fassent qu'une, vous pouvez vous tromper en croyant voir en moy ce que je n'ay pas, comme chacun fe trompe en croyant voir en foy ce qui n'y eft point; & c'est ce que je ne veux pas, non feulement parce qu'on ne doit pas vouloir que perfonne. fe trompe, & encore moins ceux qu'on aime; mais encore parce qu'en croyant que je fuis ce que je ne fuis pas, vous en auriez d'autant moins de foin de prier Dieu de me rendre tel que je dois être.

Auffi ne prétends-je pas que la bienveillance, dont je vous fuis redevable, doive aller à croire & à dire de vous ce qui n'eft pas, & à vous louer de chofes que vous fçavez bien qui vous manquent encore; & quoique je vous doive aimer autant que vous m'aimez, cette

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amitié ne me doit faire compter au nom-
bre de vos biens que les dons que
je
fuis certain que vous avez reçûs de
Dieu. Or ce qui fait que je m'en tiens-là,
ce n'eft pas tant pour ne me pas trom-
per, que de peur qu'en vous voyant loüé
par un homme qui vous aime autant que
je fais, vous ne fuffiez embaraffé com-
me fi vous vous loüiez vous-même, &
pour garder en cela avec vous la même
regle que je defire que l'on garde avec
moy. Si l'on croit que je doive faire
fur cela ce que je fuis perfuadé qu'on
ne doit pas faire, j'aime mieux demeu-
rer vôtre debiteur, jufqu'à ce que l'on
m'ait convaincu. Si au contraire j'ay
raifon de croire cela ne fe doit pas,
dés-là je ne fuis plus vôtre debiteur.

que

5. Vous direz peut-être, que je parle comme fi vous me croyïez redevable envers vous, & que vous defiraffiez de moy une grande lettre fur vos loüanges. Dieu me garde de croire cela de vous: mais comme vôtre lettre eft pleine de loüanges de moy, vrayes ou fauffes, c'eft ce que je n'examine point, dés-là elle demande de moy que je vous faffe une' correction fur ce fujet. Ce n'eft peutêtre pas ce que vous avez prétendu; mais c'eft proprement ce que je vous

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dois; & de vouloir que je vous écrive autre chofe, c'eft me demander autre chofe que ce que ce que je vous dois, & non pas vouloir que je m'acquite. Or l'ordre & la juftice veulent que nous commencions par nous acquiter: aprés cela nous pouvons aller jufqu'à donner, quoy qu'à regarder de plus prés les regles que Jefus-Chrift nous a laiffées, quand on dispense des chofes de la nature de celles que vous fouhaiteriez que je vous écriviffe, ce n'eft pas donner c'eft s'acquiter, puifqu'elles font de celles que la charité fait qu'on fe doit les uns aux autres. Or la charité a droit d'exiger ces fortes de chofes, & nous fommes obligez d'aider en ce que nous pouvons celuy qui demande de l'être pour arriver au vray bien. Mais vous fçavez, mon cher frere, à combien d'ouvrages je travaille, & que ce feroit manquer à mon devoir que d'employer à autre chose les momens de loifir que me peuvent laiffer les foins & les affujetiffemens de mon ministerę.

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6. Vous me demandez une longue lettre, & j'avoue que le moins que je doive à une amitié auffi tendre, auffi douce, & auffi fincere que la vôtre, c'eft de vous fatisfaire en cela : mais

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