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geait être le remède le plus efficace et le plus assuré pour le guérir. L'a-t-il pu faire sans péché mortel?

R. Non; car, comme dit saint Thomas, 2 2, q. 150, art 2 ad 3, pour provoquer le vomissement, il n'est pas nécessaire de boire une liqueur qui enivre, l'eau tiède pouvant aisément produire le même effet: à quoi l'on peut ajouter qu'il y a une infinité d'autres choses qui peuvent exciter au vomissement: Nec tamen ad vomitum provocandum requiritur, quod sit potus inebrians, dit ce docteur angélique, quia etiam potus aquæ tepide vomitum causat, et ideo propter hanc causam non excusaretur aliquis ab ebrietate lesquelles dernières paroles marquent assez clairement que saint Thomas estime que, dans un tel cas, on est coupable de péché mortel, puisque, selon lui, l'ivresse est de sa nature un péché mortel. Aussi estre ainsi que l'explique saint Antonin, part. 2, tit. 6, ch. 3, qui ajoute que le médecin qui ordonnerait un tel excès, et celui qui don ̧nerait le vin au malade, se rendraient comme lui coupables de péché mortel: Non excusaretur per hoc quis ab ebrietate secundum Thomam, dit ce saint archevêque, quamvis faceret causa medicinæ : et per consequens peccaret mortaliter sumens, nisi crederet ex illo potu non posse inebriari, et similiter medicus vel alius qui hoc sibi scienter consuleret, vel propinaret hoc æsti nans. Angelus de Clavasio, Bartholomæus Fumus, le cardinal Tolet et plusieurs auIres suivent le sentiment de saint Thomas et de saint Antonin.

-Quand il n'y aurait d'autre moyen pour procurer le vomissement que l'excès du vin, cet excès ne laisserait pas d'être défendu, parce qu'il est mauvais de sa nature.

-CAS VI. Faberti, causant à table avec un homme qu'il connaît un peu, apprend de lui qu'il va chez les ennemis pour leur livrer une citadelle, dont il a les clefs. Pour empêcher ce malheur, il lui sert du vin étranger très-fumeux, et il l'enivre. Méticulus, qui l'entend se vanter de cette action, prétend qu'il ne l'a pu faire sans péché. Faberti répond que, si l'on peut bien se couper un membre pour sauver sa vie, on peut bien enivrer un traître pour sauver sa famille et ses compatriotes. N'a-t-il pas raison?

R. Non, quoi qu'en pensent un grand nombre de militaires. Dès que l'ivresse est un péché, dans celui qui y tombe, ou qui y précipite un autre, il n'est point de raison qui puisse l'excuser devant Dieu. L'exemple d'une partie du corps que l'on retranche pour sauver le reste ne fait rien ici. Dans celle amputation il n'y a rien qui soit opposé à la dignité de l'homme, rien qui le dégrade et le mette au-dessous des bêtes; tout cela se trouve dans l'ivresse,

CAS VII. Patrocle ayant bu du vin et des liqueurs fortes par excès, mais néanmoins sans perdre le jugement, ni l'usage de la raison, a commis volontairement un péché mortel contre la chasteté, et il sait qu'après

d'autres semblables excès, il est tombé plusieurs fois dans le même désordre. Sur quoi l'on demande si cet homme, ayant bu aujourd'hui jusqu'à un pareil excès, on peut dire qu'il ait commis un péché mortel d'ivrognerie ou d'intempérance, quoiqu'il ne soit pas tombé dans le péché d'impureté ?

R. Navarre et Tolel estiment qu'un homme qui est dans le cas où l'on suppose Patrocle, ne pèche pas mortellement, pourvu qu'il ne boive pas de ce vin et de ces liqueurs dans le dessein de s'exciter à l'im→ pudicité: Si non eo fine utatur, dit Tolet, nec sit ei periculum consensus in delectationem. Mais on peut dire au contraire que selon les raisons de ces auteurs mêmes, Patrocle ne doit pas être excusé de péché mortel dans l'espèce qu'on propose; et cela pour deux raisons. La première, parce qu'il a déjà appris par sa propre expérience combien est véritable cette parole de saint Jérôme, écrivant à Océanus: Venter mero æstuans cito despumal in libidines. La seconde, parce qu'il n'a pu faire cet excès qu'en s'exposant au danger presque certain de tomber dans ce même vice, ainsi que ses chutes passées l'en devaient convaincre : ce qui suffit pour le rendre coupable de péché mortel, puisqu'on ne peut jamais s'exposer au péril de pécher mortellement, sans péché mortel, suivant cette parole de l'Ecclésiastique Qui amat periculum in illo peribit, cap. in, v. 27.

-Cas VIII. Lubute, homme fort adonné au vin, demande de quel remède il peut se servir pour arrêter cette mauvaise habitude.

R. Il y en a cinq principaux. Le premier est de bien considerer les mauvais effe's de cette sorte d'intempérance, soit pour le corps qu'elle expose à bien des maladies, comme la goutte, les vertiges, etc., soit pour l'âme, qu'elle abrutit et rend toute terrestre, et qu'elle perd enfin pendant l'éternité; Ducunt in bonis dies suos, et in puncto ad inferna descendunt, Job. xxi. L'exemple du mauvais riche suffit pour s'en convaincre.

Le second est la fuite des occasions et do la compagnie de ceux qui aiment l'excès du vin Noli esse in conviviis potatorum, Proverb. XXIII.

Le troisième est de se faire une loi, surtout avant que de se mettre à table, de se régler sur le simple besoin du corps, de tremper son vin, de rester toujours sur son appétit.

Le quatrième est de jeter tendrement les yeux sur Jesus-Christ, qui a souffert pour nous sur la croix une soif très-rigoureuse; exemple que les saints ont suivi en vivant dans le besoin : egentes, angustiai, afflicti, etc. Héb. x1.

DICTIONNAIRE DE CAS DE CON GIENCE. I.

Le dernier, qui revient à tout, c'est une humble et constante prière, qui nous obtiendra de Dieu la grâce d'user des aliments à peu près comme des remèdes: Ut quemadmodum medicamenta, sic et alimenta` sumpluri accedamus; ce sont les termes de saint Augustin, lib. x. Confes., cap. 31. Un confesseur pourra se servir de ces moyens à l'é

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pas à un glouton, ni même souvent au fils d'un glouton, qu'un père sage donnera sa fille, un seigneur sa ferme, un marchand sa confiance.

gard de ceux de ses pénitents qui auraient le malheur d'ê re dans le cas. Il pourra aussi faire valoir le tort qu'un ivrogne fait à sa fortune, à sa famille, etc. Ce n'est Nous croyons faire plaisir à un grand nombre de curés et de confesseurs, tant des villes que de la campagne, de leur communiquer ici un nouveau cas de conscience sur l'ivrognerie, décidé le 12 janvier 1720, par messieurs les doyen, syndic et docteurs de la Faculté de théologie de Paris, au nombre de vingt. Il est vrai que feu M. l'abbé Lambert, de la maison et société de Sorbonne, l'a déjà fait imprimer en faveur du public: mais, comme cette décision a été imprimée seule dans une simple brochure, et qu'il est moralement impossible qu'elle soit venue à la connaissance d'une infinité de personnes, qui sont dans l'étendue des différentes provinces de ce royaume, nous sommes persuadés, que ceux qui voudront avoir ce dictionnaire seront bien aises d'en avoir la communication et de profiter des lumières et de la sagesse que messieurs ces docteurs y font paraître. Voici donc le cas dans les mêmes termes qu'il a été donné au public.

Un curé, qui est bien aise de s'acquitter de son devoir et de garder les règles dans l'administration du sacrement de pénitence, se trouve placé dans un pays de vignoble, ce qui produit un grand nombre d'ivrognes. Afin de ne se point perdre lui-même, ou par une sévérité outrée, ou par une trop molle indulgence, il propose à messieurs les docteurs les questions suivantes :

QUEST. I. Ce que l'on doit penser du péché d'ivrognerie, et quelle est son énormité ?

R. On commencera par remarquer que l'ivrognerie peut avoir différents degrés. Il y a un certain genre d'ivrognerie manifestement poussé à l'exès. Ceux qui sont engagės dans cette sorte d'ivrognerie sont évidem ment en état de péché mortel, et ne peuvent être admis aux sacrements qu'ils ne donnent des preuves longues, suffisantes et certaines d'une véritable conversion.

L'Ecriture parle avec horreur de cette sorte d'ivrognerie en plusieurs endroits. Voici comment s'explique le prophète Isaïe: Malheur à vous qui vous levez dès le matin pour vous plonger dans les excès de la table, pour boire jusqu'au soir, jusqu'à ce que le vin vous échauffe par ses fumées: Malheur à vous qui êtes puissonts à boire le vin, et vaillents à vous enivrer. Ils sont si pleins de rin, qu'ils ne savent ce qu'ils font ; ils ont si ivres, qu'ils ne peuvent se soutenir. Venez, disent-ils, prenons du vin, remplissons-nous îu qu'à nous enivrer, et nous boirons demain comme aujourd'hui et encore davantage. Isaïe ▼, 11, 22, etc.

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Le prophète Osée parle en ces termes, c. IV, v. 11. Le vin et l'enivrement leur ont fait perdre le sens. Le Sage ne s'explique pas moins fortement, Prov. xx: Le vin est une source d'intempérance, et l'icrogerie est pleine de désordre; quiconque y met son plaisr ne deviendra point sage. Le Sage dit dans un autre endroit, Eccli. xxx1, v. 22, qu'un homme réglé est content de ne boire que peu de vin. Vous n'aurez point ainsi d'inquiétude dans le sommeil, et vous ne sentirez point de douleur. Le Sage nous dit encore, ibid. 35, que le vin a été créé dès le commencement pour éire la joie de l'homme, et non pour l'eni

crer.

Delà tant d'exhortations si souvent répéJées dans l'Ecriture pour détourner les hom

mes de l'ivrognerie : le Sage nous dit : Prov. XXIII, v. 21: Ne vous trouvez point dans les festins de ceux qui boivent, ni dans les débauches de ceux qui apportent des viandes pour manger ensemble; car, passant le temps à boire et à se traiter ainsi, ils seront consumés. L'apôtre saint Paul fait aux fidèles la même exhortation, et il leur dit, Rom. XIII, v. 13 et 14. Ne vous laissez point aller aux débauches et aux ivroneries, ne cherchez pas à contenter votre sensualité en satisfaisant à ses désirs déréglés.

Combien d suites lâcheuses de l'ivrogneric que l'Esprit-Saint a eu soin de nous marquer dans les divines Ecritures!

L'ivrognerie met le désordre dans les familles par la perte des biens temporels que l'on emploie en excès et en débauche. Celuilà, dit le Sage, Prov. 1, v. 17, qui aime les festins, sera dans l'indigence. Celui qui aime le vin et la bonne chère ne s'enrichira point.

L'ivrognerie abrége la vie. Le Sage nous le fait voir quand il nous dit, Eccli. xxxvn, F. 34, que l'intempérance en a tué plusieurs, et que l'homme sobre en vit plus longtemps. L'expérience confirme cette vérité enseignée par le Sage.

L'ivrognerie rend l'homme stupide. On en voit plusieurs qui en sont comme abrutis. L'Ecriture sainte marque cet effet du yn, quand elle nous dit, Luc. XXI, v. 34 : Prenez garde à vous, de peur que vos cœurs ne s'appesantissent par les excès des viandes et du

vin.

L'ivrognerie a encore des effets plus fune-tes, qui sont d'être le principe d'un grand nombre de péchés. N'excédez point, nous dit le S ge, Eccli. xxx1, v. 20, de peur de tomber en faule. Les jurements, les querelles, les batteries, et quelquefois même les meurtres sont une suite de l'ivrogerie. Parmi les péchés dont l'ivrognerie est la cause, il faut compter l'impureté, ce qui donne lieu à l'apôtre saint Paul de s'expliquer en ces termes : Ne vous laissez point aller aux excès du vin, d'où naissent les dissolutions, Eph. v, v. 18.

Voici comment saint Augustin explique les suites fâcheuses de l'ivrognerie: il dit qu'elle allume les passions, qu'el e provoque la colère, qu'elle porte l'homme à faire beaucoup d'actions contraires à la raison;

que celui qui s'enivre devient querelleur, fâcheux, ennemi de la loi de Dieu, qu'il ne peut supporter qu'on le reprenne, et qu'enfin l'impureté est une suite ordinaire de l'ivrognerie. Quis ebriosus, et non contentiosus, et animosus, et invidus, et a præceptorum sanitate dissentiens, et arguentibus se graviter inimicus? Jam vero ut fornicator et adulter non sit, difficile est, lib. iv, de Bapt. contra Donal. cap. 20.

Tout ce qui vie..t d'être rapporté donne lieu de connaître l'énormité de l'ivrognerie, et de répondre au premier article.

L'ivrognerie, de sa nature, est un péché mortel. C'est ainsi que la Faculté de théologie de Paris l'a déterminé dans la première partie de son corps de doctrine, article 78: L'ivrognerie est de sa nature un péché mortel: et cela conformément à la doctrine enseignée par saint Paul, qui met l'ivrognerie parmi les péchés qui bannissent du royaume du iel, I Cor. vi, v. 9 et 10. Ne vous y trompez pas, ni les fornicateurs..... ni les ivrognes, ne seront point héritiers du royaume de Dieu. Le même apôtre, Epître aux Galates, chap. v, v. 19, compte l'ivrognerie parmi les œuvres de la chair, dont il a déjà dit que ceux qui commettent ces crimes ne seront point héritiers du royaume de Dieu. Saint Thomas assure que l'ivrognerie par elle-même est un péche mortel. Pouvez-vous ignorer, dit saint Chrysostome, quels sont les supplices dont sont menacés les ivrognes? Ils seront chassés du royaume de Dieu. Qui est-ce qui le dit? C'est saint Paul. Quel est donc l'état malheureux d'un ivrogne, qui pour un petit plaisir, renonce à toutes les délices du royaume du ciel? Saint Augustin (1) conclu!, des mêmes passages de saint Paul, que l'ivrognerie doit être considérée comme un grand péché. Il soutient que la loi éternelle condamne l'ivrognerie, parce que Dieu n'a institué le manger et le boire que pour soutenir l'homae et pour conserver sa santé : il dit que, si un saint homme s'est laissé surprendre et est tombé dans l'ivrognerie, cela ne diminue rien de l'énormité de ce péché. Il ajoute que la vue d'un péché si enorme est le sujet de ses gémissements. I déplore dans un autre endroit, que ce péché soit devenu si commun. August. Epist. 29, lib. xxu, contra Faustum, cap. 44, e c.

QUEST. II. Ce que l'on doit entendre par le péché d'ivrognerie. Si l'on ne tombe dans ce péché que quand on perd la raison, ou quand on rejette du vin ?

R. Il est vrai que l'ivrognerie est surtout manifeste, quand on perd la raison. De là vient que la sacrée Farulté de théologie de Paris, dans l'article ci-dessus cité, dit: (2) On

(1) Ep. 29. Legi etiam illud: Nolite errare, neque fornicatores, neque ebriosi, etc.

L. xx contra Faustum, cap. 44. Ilanc lex æterna condemnat, quia cibum et potum ad ordinem naturalem non nisi gratia conservandæ salutis admittit. De Peccat. meritis, L. 11, cap. 10. Nec ideo quisquam sobrius dixerit ebr.etatem non esse peccatum, quæ tamen subrepsit sancto viro,

Ep. 29. Ingemisco admonens.

tombe dans ce péché, lorsque les excès que l'on fait volontairement 6tent l'usage de la raison, ou la troublent considérablement. C'est encore une marque d'ivrognerie, lorsque l'excès va jusqu'à rejeter du vin. Saint Chrysostome parlant de ces excès, dit qu'il y en a qui ménagent moins leur corps que leurs vaisseaux; car quant à leurs vais'seaux, ils prennent garde de ne les pas remplir de telle manière, qu'ils en rompent. Ils se ménagent moins, ils ne peuvent contenir tout le vin qu'ils boivent. Le vin qui sort de tous les côtés, est une preuve qu'ils n'écoutent plus en aucune manière la raison. Néanmoins ce serait renfermer le péché de l'ivrognerie dans des bornes trop étroites, que de prétendre qu'on ne tombe dans ce péché que quand la raison en est troublée, ou qu'on rejette le vin. Si ce principe était véritable, il y aurait des hommes qui, quelque excès qu'ils commissent, ne tomberaient jamair dans le péché d'ivrognerie, parce qu'ils on la tête forte, et que quelque quantité de vin qu'ils boivent, à peine s'en ressentent-ils. Il serait bien plus sûr de s'arrêter au principe de saint Chrysostome, (3) lequel, après les paroles que je viens de ciier, ajoute que tout ce qui est au delà de la nécessité n'est plus une nourriture, mais un poison. Outre le précepte qui défend l'ivrognerie, il y a celui qui commande la tempérance. Saint Thomas, expliquant ce que c'est que l'ivrognerie, dit que le principe de ce péché est un désir trop ardent du vin, qui porte à en faire un usage immodéré. Le péché de l'ivrognerie, dit ce saint docteur, consiste dans l'usage immodéré du vin et une passion trop forte pour le vin. Il est certain qu'il y en a plusieurs dont la raison n'est point troublée, qui ne rejettent point de vin; qui boivent au delà de la nécessité, et même audelà de la bienséance. Ils ont une passion trop forte pour le vin; ils en font un usage immodéré : ils sont donc, selon saint Thomas, coupables du péché d'ivrognerie.

Outre cela, combien de ces hommes qui, dans les excès qu'ils commettent, n'ont en vue que le plaisir de boire et de satisfaire leur sensualité; ce qui est un péché selon l'article 79 de la première partie du corps de doctrine ci-dessus cité : C'est un péché ou de boire, ou de rechercher les autres satisfactions des sens, en se proposant pour fin le plaisir. D'où il s'ensuit que c'est un faux principe que d'avancer qu'on ne tombe dans le péché d'ivrognerie que quand on perd la raison ou quand on rend le vin.

QUEST. III. S'il n'est pas vrai qu'on tombe dans le péché d'ivrognerie, quand, après avoir bu, on se sent la tête échauffée, que la

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langue est épaisse, et que l'on aperçoit trèsbien que, quo qu'on n'ait pas perdu la raison, les fumées du vin montent à la tête, ou qu'on n'est plus en état de vaquer à son travail ord na re?

R. On ne peut exempter de péché ceux qui, quoiqu'ils ne perdent pas la raison, se sentent la tête échauffée, la langue épaisse qui s'aperçoivent très-bien que les fumées du vin leur montent à la tête, qui par là se rendent incapables d'agir et de vaquer à leur travail. Le prophète Isaïe, chap. v, v. 11, condamne ceux qui en viennent jusqu'à cet excès que le vin les échauffe par ses fumées: Malheur à vous qui vous levez dès le matin pour vous plonger dans les excès de la table, et pour boire jusqu'au soir, jusqu'à ce que le vin vous échauffe par ses fumées. Il parait que le prophète condamne ces hommes, en ce que leur excès va jusqu'à être échauffés des fumées du vin, ut vino æstuetis. C'est une ci constance aggravante de se mettre hors d'état de vaquer à son travail ordinaire. De là une famille nombreuse souffre dans son besoin, manque du nécessaire; le nécessaire est employé à satisfaire la sensualité. L'énormité d'un pareil péché saute aux yeux et ne peut être trop condamnée. Il faut en revenir au principe de saint Thomas. Ces hommes ont une passion violente pour le vin, ils en fon! un usage immodéré; c'en est assez pour être coupables du péché d'ivrognerie. Culpa ebrietatis consistit in immoderato usu et concupiscentia vini. Saint Thomas, 2-2, q. 15, art. 1.

⚫QUEST. IV. Si ceux qui ont la tête forle et qui boivent une quantité considérable de vin sans que leur tête en souffre, peuvent boire autant qu'il leur pait sans tomber dans le péché d'ivrognerie?

R. Le cas est décidé par le prophète Isaïe, chap. v, v. 22: Malheur à vous qui êtes puissants à boire le vin, et vaillants à vous enirrer ! Il parle de ceux qui ont la tête forte, qui portent le vin. et ne sont pas aisément étourdis par ses fumées. Le prophète veut dire qu'ils se trompent si, sous ce pretexte, ils se persuadent qu'ils peuvent s'abandonner à leur sensualité, à leur gourmandise. On ne se contente pas, dit saint Augustin d'excuser de péché ces hommes qui boivent avec excès; on leur donne même ces louanges. Ces hommes sont d'autant plus pécheurs, qu'ils abusent de cette force qui les met on état de boire heaucoup de vin, sans en ressentir les fâcheuses suites. Si se vino ingurgitet, si bibat mensuras sine mensura, parum est, quia non invenit crimen, etiam viri fortis accipit nomen, tanto nequior, quantum sub poculo invictior. August. serm. 153.

QUEST. V. Si l'on peut absoudre et laisser approcher des sacrements les ivrognes d'habitude du troisième et quatrième genre?

R. Les ivrognes du troisième et quatrième genre sont indignes de l'absolution; on ne peut les laisser approcher des sacrements, jusqu'à ce qu'on reconnaisse par une sérieuse épreuve que l'habitude est rompue, que leur conversion est sincère, et qu'ils sont

résolus de produire des fruits dignes de pé nitence. Le Fils de Dieu a dit, Mat. vii, v. G Ne donnez point les choses saintes aux chiens et ne jetez point vos perles devant les pourceaux. Les ivrognes dont il est parlé dans les articles précédents sont figurés par les pourceaux, et ont beaucoup de ressemblance avec

QUEST. VI. Quelle condu`te il faut garder à l'égard des cabaretiers qui donnent à boire à des heures indues, pendant la messe paroissiale et les vêpres, qui reçoivent chez eux des ivrognes et gens dissolus, qui chantent de vilines chansons, et qui prononcent des paroles sales ou des jurements; des pères qui ruinent leurs enfants, des enfants qui vont au cabaret contre la volonté de leurs pères? S'ils en peuvent donner, les jours de jeûne et pendant le carême, à des gens domiciliés qui n'en ont pas besoin el qui ne leur en demandent que pour se diverir ou pour faire des marchés avec leur compagnie?

R. Il est défendu aux cabaretiers, par toutes sortes de lois divines et humaines, de donner à boi e à des heures indues: comme les dimanches el fêtes pendant la messe de paroisse et les vêpres.

Donner du vin à des ivrognes, à des gens dissolus qui chantent de vilaines cha sous avec scandale, et à des passants qui prononcent des paroles sales et des jurements, c'est mettre l'épée entre les mains des furieux, c'est contribuer à l'iniquité et y participer. On ne peut pas nier que les pères qui ruinent leurs enfants par leurs debauches, et les enfants qui vont au cabaret contre la volonté de leurs pères, ne pèchent grièvement. Peut-on exempter le cabaretier de péché, pendant qu'il est la cause et l'occasion de péchés si griefs ?

Donner du vin les jours de jeune et de carême, à des gens domiciliés qui se proposent de se divertir, c'est témoigner qu'on ne se met point en peine que les lois de l'Eglise so ent violées, et donner volontairement le moyen de les transg esser. Participer à l iniquilé, c'est s'en rendre coupable, comme l'enseigne saint Pau: N'ayez rien de commun avec eux. Ceux qui font ces choses sont dignes de mort, et non-seulement ceux qui les font, mais aussi ceux qui donnent leur consentement à ceux qui les font. Ephes. v, v. 7; Rom. I, v. 32.

A l'égard des marchés, si, en les faisant, on se contentait de boire quelques cups de vin avec modération, i 'y aurait rien de blamable, pourvu que ce ne soi pas des jours de jeune et de carême.

Ls raisons q'allèguen les cabaretiers, qu'en vendant en de al, ils vendent leur vin plus cher; que cela leur est nécessaire pour entretenir leur famide, sont des prétextes vains el-qui n'excusent poist ce qui est crminel par tant de eircon tances. Il ne peut y avoi, dit Tertullen, de nécessité de pécher pour celui qui ne reconnaît qu'une nécessité qui est de ne point pécher. Nulla est peccandi

necessitas, ubi est una non peccandi necessitas, lib. de Corona mil., cap. 11.

QUEST. VII. S'il faut traiter les femmes des cabaretiers comme leurs maris, quand elles donnent du vin dans les cas ci-dessus mentionnés? Si l'obeissance ou la crainte des mauvais traitements les rend excusables devant Dieu ?

R. Quand les femmes entrent dans l'esprit de leurs maris, et participent comme eux à elles duivent être réputées coupables comme eux à l'égard des sacrements. Les femmes sont obligées de détourner leurs maris, et de faire tout ce qui est en elles pour empêcher un commerce qui est la source de tant de péchés. Si elles tirent le vin, qu'elles le donnent aux ivrognes, et qu'elles soient bien aises de profiter du manvais gain, elles participent à toute l'iniquité. I en faut juger autrement lorsque les femmes font ce qui est en elles pour rompre ce commerce; qu'elles ne le tolèrent que parce qu'elles ne sont pas les maîtresses; qu'elles refusent de donner du vin aux ivrognes. Si leurs maris les maltraitent, elles auront part à la béatitude dont Jésus-Christ a parlé, quand il a dit: Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice. Matt. v, r. 10.

QUEST. VIII. Quelle conduite faut-il tenir à l'égard de ceux qui fréquentent les cabarets, qui y demeurent à des heures indues, qui y font un long séjour, qui y boivent avec excès, qui jurent et y chantent de mauvaises chansons; qui choisissent le plus souvent les jours de dimanche et de fête pour commet re ces sortes d'excès. Le cabaret n'est-il pas une occasion prochaine à leur égard? Ne doil-on pas absolument leur en défendre l'entrée, et leur interdire les sacrements s'ils

ne s'en abstiennent?

R. Le cabaret est une occasion prochaine de péché à l'égard de tous ceux dont il est parlé dans cet article, et ils sont indignes des sacrements, jusqu'à ce qu'ils abandonnent une occasion si périlleuse et si prochaine.

Voici quels sont les principes de Tertullien sur les occasions qui portent au péché. Il soutient qu'il faut ou les abandonner, ou faire en sorte de ne point pécher. Quand donc on continue à offenser Dieu, il n'y a point d'autre voie, ni d'autre sûreté que de Les abandonner. Aut deserendum, aut omnibus modis cavillandum ne quid adversus Deum committatur (1).

Saint Charles, en parlant de ceux qu'il regarde comme étant dans l'occasion prochaine du péché, marque expressément ceux qui fréquentent les cabarets. Le cabaret est de ces occasions qui demandent, selon saint Charles, qu'on ne donne point l'absolution à ceux qui y sont engagés, qu'ils n'y renoncent ou qu'ils ne promettent de s'en abstenir; et selon les principes de saint Charles, quand on a promis deux ou trois fois, et que l'on n'a pas exécuté, il faut un renoncement

(1) Tertull. De Coron. c. 41.

actuel avant de recevoir l'absolution, Avis de saint Charles aux confesseurs, art. des Occasions.

C'est une circonstance aggravante de choisir les jours de dimanche et de fête pour fréquenter les cabarets, et y commettre des excès. Saint Augnstio se plaint de ce qu'autrefois on commettait des ivrogneries jusque dans les églises. Il dit qu'il a eu beaucoup de peine à retrancher cette pernicieuse coutume. Pourquoi saint Augustin regardait-il cette coutume comme dangereuse? C'est que c'était profaner le temple du Seigneur qui lui est consacré. Les dimanches et les fêtes sont les jours du Seigneur, ils lui sont consacrés. Saint Augustin ne serait pas moins irrité contre ceux qui profanent les jours consacrés au Signeur, que contre ceux qui méprisent les lieux consacrés au Seigneur. Prenez garde, dit saint Augustin, serm. 225, à ne pas chasser le Saint-Esprit de vos cœurs. Nolite Spiritum sanctum excludere de cordibus vestris. Saint Augustin, comme on vient de le faire voir, s'est fortement élevé contre ceux qui profanent les temples sacrés c'est bien une profanation que de souiller nos cœurs et nos corps qui sont consacrés pour être les temples du Saint-Esprit.

QUEST. IX. Les vignerons qui débitent leur vin en secret chez eux, ne sont-ils pas tenus aux mêmes règles que les cabaretiers, et ne doivent-ils pas être traités de même quand ils les violent?

R. Les vignerons qui débitent leur vin en secret chez eux, sont tenus aux mêmes règles que les cabaretiers, et ils doivent être traités de même quand ils les violent. Ils sont même plus coupables que les cabaretiers, en ce qu'ils pèchent contre les ordonnances de po lice; ils s'exposent à la confiscation de leur vin, ce qui peut être cause qu'ils commeltent beaucoup de péchés, et qu'ils font des pertes préjudiciables à leur famille.

QUEST. X. Si des cabaretiers, persuadés par leur expérience qu'ils n'ont pas assez de fermeté pour garder les règles, ne doivent pas quitter cette dangereuse profession, et si on peut les admettre aux sacrements qu'ils ne l'aient effectivement quittée?

R. Les cabaretiers qui connaissent par expérience qu'ils n'ont pas assez de force pour garder les règles sont obligés de quitter celte dangereuse profession. C'est un principe enseigné dans les avis de saint Charles, qu'on est obligé de quitter toute profession qui est une occasion prochaine de péché Quoique cette profession soit en elle-même licite et honnête, elle est néanmoins, selon saint Charles, occasion de péché, lorsqu'on juge avec fondement que le pénitent tombera dans les mêmes péches qu'il a commis, s'il y persévère, comme il a fait par le passé. Le principe de saint Charles est qu'on ne peut absoudre ceux qui n'ont pas une véritable résolution d'abandonner tous les péchés

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