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un verdict de non-culpabilité. Les deux amis se précipitèrent dans les bras l'un de l'autre, et, comme le tribunal se retirait, Viol, allant au-devant des juges, leur dit : « Messieurs, vous avez rendu un jugement de dieux ! >>

THOMAS MADIO U

Né à Port-au-Prince, en avril 1814, y est mort le 26 mai 1884. Directeur du Lycée Pétion, puis Ministre de l'Instruction publique (1866) des Relations Extérieures (1871 ) de la Justice ( 1881

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(EUVRES Histoire d'Haïti ( les trois premiers volumes ont paru en 1848. Port-au-Prince, Imprimerie J' Courtois. )

On annonce l'apparition prochaine de la suite de la série, qui, par l'addition de mémoires historiques, doit s'étendre chronologiquement jusqu'à la mort de l'auteur.

LA MORT DE BAUVAIS

BAUVAIS était un citoyen froid, instruit, d'un esprit

supérieur; il s'étudia toujours à contenir ses passions ; se voyant débordé par celles qui éclataient autour de lui, n'ayant pas assez d'énergie de tempérament pour les dominer, en prenant de son propre mouvement le rôle pénible, plein de tribulations, de général en chef, ne voulant pas devenir l'instrument de l'ambition de Rigaud et de Toussaint qu'il estimait peu, il partit pour la France, déterminé à ne tirer désormais son épée que pour la cause sainte de la Patrie.

Plusieurs écrivains ont prétendu que Bauvais s'était montré lâche et traître en abandonnant Jacmel pendant le siège. Il aurait été vraiment lâche et traître, si,

après avoir accepté ce siège, il s'était embarqué. Mais il partit le 13 septembre 1799, et Dessalines n'arriva devant Jacmel que dans les premiers jours de novembre 1799.

De Jacmel il fit voile pour St Thomas; mais capturé par un navire anglais, il fut entièrement dépouillé et conduit à la Jamaïque. Peu de temps après, il passa à Curaçao, où sa femme et deux de ses enfants ne tardèrent pas à venir le joindre. Après quelques mois de séjour en cette île, il s'embarqua pour France, muni d'un passe-port de l'agent Roume Déjà plusieurs jours de navigation s'étaient écoulés ; la mer était houleuse et les voiles gonflées promettaient un heureux voyage. Pauvais était plongé dans de grandes réflexions; il songeait au malheureux sort de la colonie, aux tristes conséquences de la guerre civile; il se disposait à combattre victorieusement les accusations dirigées contre lui, ou à porter sa tête sur l'échafaud. Tout à coup une voie d'eau se déclare dans le navire; un cri de désespoir retentit de toutes parts; l'équipage et les passagers se précipitent vers la pompe; les manœuvres cessent; Bauvais se dresse soudain au milieu des lamentations qui l'entourent; sa figure jusqu'alors si sombre s'anime; son autorité devient absolue, et chacun s'empresse de lui obéir. Mais bientôt le découragement devient général : malgré les efforts de l'équipage, le navire s'enfonçait; on abandonne la pompe et l'on met la chaloupe à la mer; mais elle se trouve tellement pleine que l'eau y pénètre ; le capitaine se saisit de ses armes et ordonne qu'on tire au sort. Le sort est favorable à Bauvais et contraire à son épouse. Pendant que les passagers se livrent aux frayeurs de la mort, Bauvais couvre ses enfants de baisers, cède sa place à sa femme, l'embrasse avec tendresse, obtient du capitaine que ses deux petites filles soient placées sur le sein de leur mère.

Madame Bauvais s'attache à son mari; elle le supplie avec des accents de désespoir de la laisser mourir avec lui; Bauvais est contraint de la placer lui-même dans la chaloupe. Qui pourrait exprimer ce qui se passait à cette heure suprême, en ce moment d'éternelle séparation, dans cette âme héroïque! Sensibilité, courage, talents, gloire, tout allait s'anéantir. L'embarcation que les flots menaçaient d'engloutir à chaque instant se détacha violemment des flancs du navire. Bauvais demeura sur le pont, immobile, la figure calme et peinte d'une résignation surnaturelle. Les quelques hommes, condamnés par le sort et restés avec lui, frappés de son attitude, semblent revenir à la vie qui s'éteignait en eux, et se sentir atteints de ce courage sublime que les grandes âmes inspirent au vulgaire. Bauvais avait l'éternité sous les yeux; la fatalité poursuivait cet homme dont la vie avait été parsemée d'affreuses tribulations; la vertu qu'il avait déployée dans maintes occasions lui faisait supporter avec héroïsme cette dernière infortune. En même temps le navire sombrait rapidement; l'eau couvrit les sabords, et le général Bauvais, tout en agitant son mouchoir en signe d'adieux, disparut sous les flots à la vue de sa femme, qui s'évanouit dans la chaloupe.

(Histoire d'Haïti }

JOACHIM-RAYMOND-ENÉLUS ROBIN

Né au Cap-Haïtien en mai 1836, mort à Port-au-Prince le 9 décembre 1887. Instituteur de vocation, a consacré toute sa vie à l'enseignement de la jeunesse.

(EUVRES: Abrégé de l'histoire d'Haïti à l'usage des écoles (2 vol. ) Petite géographie d'Haïti. Articles publiés dans les journaux le Réveil (1867-1868 ), l'Unité Nationale, l'Union patriotique ( 1873 ); le Civilisateur, côte à côte avec son frère Emile Robin.

SIÈGE DE LA CRÈTE-A-PIERROT. (1802)

VANT de rentrer au Cap, Leclerc résolut de prendre possession des mornes Cahos, où Toussaint avait déposé ses trésors, ainsi qu'une grande quantité d'armes et de munitions.

Mais, pour s'en rendre maître, il lui fallait enlever la Crète à Pierrot, position la plus formidable restée au pouvoir des indigènes. La Crète-à-Pierrot est un fort de cent pieds environ de longueur, construit sur la rive droite de l'Artibonite, au Sud-Ouest de la PetiteRivière, entouré d'un fossé large et profond. Ce fort était armé de douze pièces de canon de huit et de douze, que le général Dessalines y avait fait placer. C'est là que nos pères se sont illustrés par le plus brillant fait d'armes qui soit inscrit dans nos annales.

Cette position, dont la défense était confiée au général Dessalines, était gardée par une division de mille hommes environ, ayant à leur tête Magny, Lamartinière, Morisset, Monpoint et Larose. Elle tint en échec, pendant près d'un mois, presque toutes les forces de l'armée française.

Le 4 mars, le fort reçut une première attaque, dirigée par les généraux Debelle et Devaut qui, se rendant aux Verrettes à la tête d'une colonne de deux mille hommes, croyaient pouvoir, en passant, enlever la position à la baïonnette. Ils virent pleuvoir sur eux une forte décharge de mousqueterie et d'artillerie. Ils furent grièvement blessés. Quatre cents hommes de leur colonne restèrent sur le terrain, le reste battit en retraite sur la Petite-Rivière, sous la conduite de Pambour, chef de brigade d'artillerie.

Toutes les autres divisions françaises marchèrent alors contre le fort. Le 11 mars, elles se déployaient fièrement dans la plaine qui avoisine la Crète-à-Pierrot.

A l'air martial que prenaient en s'avançant ces superbes bataillons français, on reconnaissait les beaux grenadiers qui avaient dompté le Mameluk sur le sol brûlant de l'Egypte.

sur

En ce moment, Dessalines, qui était absent lors de la première attaque, et qui s'était préparé à repousser la seconde, allume une torche, et, la tenant suspendue un caisson de poudre : « Je ne veux, dit-il à la « garnison, garder avec moi que des braves. Nous << serons attaqués ce matin. Que ceux qui veulent << redevenir esclaves des Français sortent du fort! Que <«< ceux, au contraire, qui veulent mourir en hommes « libres, se rangent autour de moi ! » La garnison s'écria d'une voix unanime: « Nous mourrons tous pour la liberté ! » Alors, agitant la torche : « Je vous <«< ferai tous sauter, reprit Dessalines, si les Français « pénètrent dans ce fort. »

Bientôt la division Boudet s'avance résolûment devant la Crète-à-Pierrot. Les balles et la mitraille pleuvent immédiatement dans ses rangs. Six cents hommes tombent, les uns morts, les autres blessés. Le général reçoit un éclat de mitraille au talon et cède son commandement au général Pamphile de Lacroix. Arrive aussitôt le général Dugua à la tète de la colonne que commandait le général Debelle. Il attaque le fort à son tour, à midi plein. A l'instant, le feu recommence. Le soleil est éclipsé par le nuage de fumée qui enveloppe la plaine, jonchée de cadavres. Le général Dugua, atteint de deux balles, bat en retraite, en laissant trois cents hommes sur le champ de bataille.

Le capitaine-général lui-même qui, dans l'intervalle, était parvenu sur les lieux, reçoit au bas-ventre une contusion qui le renverse de son cheval.

Voyant qu'il n'y avait pas moyen d'enlever d'assaut la fortification, Leclerc se résolut à l'investir pour la réduire par un siège en règle. Au Nord-Ouest furent

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