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placées les divisions Dugua et Boudet, réunies en une seule colonne sous le commandement du général Pamphile de Lacroix; au sud-est, au bas du morne La Tranquillité, se trouvait la division Rochambeau, arrivée sur les lieux le 22 mars. Au pied du morne de l'Acul-du-Parc était la division Hardy. Leclerc se tenait au bourg de la Petite-Rivière pour diriger les opérations.

Dessalines était sorti du fort pour aller recruter des forces dans les campagnes et avait chargé Magny et Lamartinière d'en continuer la défense.

La garnison avait à lutter contre seize mille hommes de troupes européennes et deux mille de troupes coloniales. Elle était réduite à neuf cents hommes, mais c'étaient neuf cents héros. Résolus à mourir, ils chantaient la Marseillaise au milieu des projectiles que les assiégeants leur lançaient de toutes parts.

Ils défendirent encore le fort pendant deux jours. Mais se trouvant privés d'eau et de nourriture, et assurés d'ailleurs que la lutte était de plus en plus impossible, ils se décidèrent à évacuer.

Dans la soirée du 24 mars, ils sortent tout-à-coup du fort, et avec une audace, une intrépidité incroyables, ils passent à la baïonnette, Magny et Lamartinière à leur tête, au travers des redoutables bataillons de Rochambeau, et vont rejoindre Dessalines au Morne du Calvaire, sur la route du Petit-Cahos.

( Abrégé de l'Histoire d'Haïti )

CÉLIGNI ARDOUIN

Né au Petit-Trou-de-Nippes en 1806, mort fusillé à la Croix-desBouquets le 7 août 1849. Député, Sénateur, puis Ministre de l'Intérieur en 1846 et 1847.

EUVRES: Collaboration au « Républicain », au « Temps ». Essais sur l'Histoire d'Haïti, publiés après la mort de l'auteur par son frère Beaubrun Ardouin (Port-au-Prince. T. Bouchereau, imprimeur. 1865)

COMMENT SE CONCERTA LA LUTTE
POUR L'INDÉPENDANCE

EN prenant les armes contre les Français, Pétion

pouvait espérer de devenir le chef de l'insurrection haïtienne. Le beau caractère de ce révolutionnaire, ses services rendus à la cause de la liberté, ancien lieutenant de Rigaud dont l'influence avait grandi dans le pays à mesure que Toussaint avait semblé déserter la cause de ses frères; enfin, tous les précédents de Pétion pouvaient lui assurer la confiance et l'assentiment des indigènes. Mais Pétion, à la politique adroite de qui Haïti doit sa régénération, ne pouvait non plus s'abuser sur les difficultés de cette sainte entreprise. Il ne fallait point en exposer le succès; et s'il savait que sur tous les points de la colonie le drapeau insurrectionnel était levé, il n'ignorait pas que ce mouvement était dépourvu d'ensemble et d'harmonie. La diversité des principes des insurgés, le malencontreux système de guerroyer par bandes d'origine africaine, menaçait de neutraliser l'énergie nationale, en divisant les forces des insurgés; et déjà même, dans quelques localités, des querelles de sectes n'avaientelles pas éclaté ? Il fallait donc un chef déjà élevé dans la hiérarchie militaire, afin qu'on n'eût point à s'exposer aux éventualités chanceuses dans la soumission des bandes diverses, et que cette soumission fût obtenue comme étant le résultat d'un fait accompli : celui de l'obéissance dûe au successeur naturel du gouverneur général Toussaint-Louverture qui venait d'être embarqué pour la France. Il fallait un chef audacieux

qui, dans l'occasion, pût briser brutalement tous les obstacles élevés sur sa route: il fallait enfin unir les deux partis de Toussaint et de Rigaud en un seul : celui de la patrie. Dessalines réunissait en sa personne toutes les conditions désirables; et la soumission de Pétion, dès lors admis dans son intimité, donnait un gage suffisant aux partisans de Rigaud pour reconnaîre l'autorité de Dessalines. Les évènements justifièrent les prévisions de Pétion.

Avant d'arriver dans le quartier de Plaisance où, le 7 juillet 1802, pour la première fois depuis la guerre civile, Pétion rencontra Dessalines, le chef de la 13e avait déjà résolu d'abandonner la cause française. Le concours de Dessalines lui avait paru utile, nécessaire, indispensable à la cause nationale. Il se félicita donc du hasard qui les mettait tous les deux en présence.

Mais, d'abord, il y eut de part et d'autre quelque gêne, résultat nécessaire de la différence des antécédents politiques de chacun. Dessalines se méfiait de Pétion, ancien transfuge du parti que le futur Empe-reur avait défendu avec tant de dévouement et qui venait d'être abattu par suite des efforts du parti contraire, appuyant la cause métropolitaine. Quant à Pétion, sentant le besoin de se rapprocher de Dessalines, il provoqua des explications qui devaient justifier sa conduite. Leur entretien roulant naturellement sur les évènements de l'époque, et Pétion considérant ces évènements comme étant la conséquence des fautes du système de Toussaint, ne tarda pas à porter la conviction dans l'âme de cet homme qui rendit peu après de si éminents services à la patrie. Il est vrai que Dessalines, tout en se montrant dévoué à Toussaint, ne laissait jamais perdre l'occasion d'humilier autant qu'il le pouvait la caste dont les intérêts seuls

dominaient les conseils du gouvernement. Aussi, le Libérateur d'Haïti comprit-il vite la portée, la justesse de cet argument de Pétion : « Mais le général Toussaint <«< pouvait-il compter plus que moi sur la sincérité des « blancs, lui, leur ancien esclave, quand moi, je n'eus « pas même l'amitié de mon père par cela seul que le sang africain coulait dans mes veines ? »

Dessalines, avec effusion, présenta sa main à Pétion et lui dit : « Tu as raison, mon fils. » Cependant, il objecta des difficultés au projet de Pétion d'affranchir le pays. Il lui parla des sympathies qui existaient encore en faveur de la France, si belle, si riche de gloire; des prétentions ambitieuses de quelques chefs qui, peut-être, eussent été un obstacle à la réorganisation d'une armée nationale. Toutefois, entrevoyant une plus grande désaffection à l'égard des Français, à mesure qu'ils renchériraient sur leurs mesures vexatoires, ces deux hommes convinrent de profiter du premier moment favorable pour se prononcer.

Ce moment arriva. Les insurrections partielles se multipliaient. Dans l'Ouest, Lamour Desrances grandissait dans sa courageuse entreprise. Ce progrès même fut l'une des causes déterminantes de la résolution de Dessalines. Lamour avait repris les armes après la déportation de Rigaud. Dessalines était venu au Cap, amener à Leclerc Charles Belair pris les armes à la main, en révolte contre le gouvernement. Pétion le revit dans cette ville. La mort de ce général qui, caressé par Toussaint depuis la fin tragique de Moïse, avait espéré de pouvoir lui succéder, fut présentée par Pétion à Dessalines, comme un nouveau motif pour le porter à s'insurger; et les progrès de Desrances lui fesant craindre d'avoir bientôt un compétiteur trop puissant, Dessalines convint avec Pétion, qu'aussitôt son retour à St Marc, ils se jetteraient tous deux dans le parti de l'insurrection.

Mais une circonstance fortuite précipita le mouve. ment de Pétion. Il se trouvait à Bréda, avant-poste du Haut-du Cap, dont la ligne était alors commandée par le général Clauzel, ayant le général Claparède sous ses ordres. Un officier français, revenant d'une mission à l'intérieur, s'arrêta au poste de Pétion, son cheval ne pouvant que difficilement continuer par excès de fatigue. Remarquant un beau cheval, il dit, avec un ton de suffisance, qu'on le lui donnât en échange du sien. Mais le capitaine Francisque (mort général de division commandant l'Arrondissement d'Aquin ) à qui appartenait le cheval, refuse de le donner; et choqué du ton de l'officier français, il lui dit que son cheval ne sortirait de sa possession que par la pointe de son sabre. Le Français, étonné de cette hardiesse d'un officier colonial, s'emporte et dit à Francisque : « Va, je te remarque, et je saurai te recommander à l'amiral. »

Pétion était présent. Jusque-là il observait d'un œil de mépris l'impertinence de l'officier français, et admirait la fermeté de son capitaine de grenadiers. Mais, à la menace de l'officier, il abandonna son calme et lui dit : « Ah! c'est donc là le sort qui nous est réservé à tous, celui d'être noyés? Eh bien! nous verrons ! »

Il paraît que l'officier en avait fait son rapport, et que l'arrestation de Pétion avait été résolue : un moindre prétexte suffisait alors pour occasionner la mort d'un indigène, et bien plus, d'un officier de l'importance de Pétion. Dans l'après-midi, moment habituel de ces sortes d'arrestations, afin de profiter des ombres de la nuit pour procéder aux infâmes exécutions, Pétion fut mandé prés du général Claparède. Mais, Pétion se doute du motif de cet appel et de son résultat probable; il se décide à s'insurger immédiatement. Avant de se rendre aux ordres de Claparède, il appelle ses deux chefs de bataillon, J. L.

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