Page images
PDF
EPUB

M. Courtois, nonobstant son inviolabilité comme sénateur. A cette nouvelle, M. Courtois défonça un quart de poudre (*), mit dessus son pied et la gueule de son pistolet. Pendant vingt-quatre heures, il tint ainsi la police en échec. Ce ne fut qu'à force d'instances que son ami et collègue, M. Bance père, obtint qu'il désarmât et consentît à se laisser accompagner par lui à la prison. Il comparut devant la Haute Cour de Justice qui, tenant peut-être compte de l'épigraphe de la << Feuille du Commerce » et voulant d'autre part donner satisfaction au Pouvoir, condamna le grand fonctionnaire à la peine d'un mois de détention. Elle parut insuffisante à Soulouque qui ordonna sur l'heure l'exécution de M. Courtois. Sa fosse était déjà creusée, la troupe d'exécution attendait à la Conciergerie, on battait l'assemblée générale! Madame Courtois affolée courut auprès du Chargé d'affaires de France, Monsieur Maxime Raybaud, qui vite se rendit au Palais et, dans un langage pathétique, s'adressant au Chef de l'Etat : « Président, il ne sera pas dit qu'un homme qui mérita de la France la croix des braves aura trouvé la mort autrement que sur le champ d'honneur! » Soulouque, pour son honneur, fut vaincu, et une heure après, on embarquait M. Courtois derrière l'Arsenal.

Il resta 11 ans en exil, revint dans le pays en 1859 sous Geffrard, et mourut à Port-au-Prince en 1877, à l'âge de 92 ans.

II

MADAME COURTOIS

Il est des femmes qui ont l'energie d'un homme et Mme Courtois fût de celles-là. Elle se nommait Juliette

(*) La vente de cet article était alors libre.

[ocr errors]
[ocr errors]

et naquit au Cap-Haïtien, en 1787, de Bussière Laforest, propriétaire de biens ruraux et urbains, et de Prudence Elisabeth Renard, l'un et l'autre gens de couleur appartenant à la classe des Affranchis. M. Bussière Laforest, représentant du peuple (de la députation du Nord de St Domingue ), se rendit en France en 1795, devint plus tard membre du Conseil des Cinq cents et mourut dans la Métropole en 1813. Il avait amené avec lui sa fille, à qui il fit donner une brillante éducation. Elle devint plus tard lectrice de la princesse Pauline Bonaparte et fut une musicienne distinguée. Nous savons, pour l'avoir tenu de M. Joseph A. Courtois, notre collègue à la Cour de Cassation, que M. Bussière Laforest, son grand père, était l'ami intime du général Alexandre Dumas Davy de la Pailleterie, qui appelait Mademoiselle Laforest «ma payse », et que celle-ci tenait souvent sur ses genoux, pour le caresser, le fils du Général, qui devait devenir plus tard le grand dramaturge, le fécond romancier. Mademoiselle Bussière épousa en 1814 M. Joseph Courtois et revint en Haïti avec lui en 1817. Elle ouvrit en 1818, de concert avec son mari, un Externat et un Pensionnat des deux sexes, où elle eut exclusivement la direction des demoiselles, tant pour la partie littéraire que pour la partie musicale. Bien de nos mères de famille ont pu revendiquer l'honneur d'avoir été ses élèves. Après la fermeture de son pensionnat en 1828, elle continua à enseigner le piano jusqu'à sa mort. Elle forma à cet art trois des ses enfants et un bon nombre d'élèves qui s'y distinguèrent.

Nous avons dit en commençant cette notice que Mme Courtois était de ces femmes qui ont l'énergie d'un homme. Elle était aussi d'un courage héroïque et elle en donna la preuve, lorsqu'on voulut arrêter son mari en 1847 et au cours du procès qui s'ensuivit, procès plutôt politique que pour délit de presse.

Notre demeure était alors attenante au local du Sénat, où siégeait ce Grand Corps, transformé en Haute Cour de Justice. Dès le début du procès et jusqu'à sa fin, Madame Courtois allait attendre son mari à la Conciergerie, marchait à côté de lui au milieu des baïonnettes, et après chaque audience, elle le reconduisait jusqu'à la prison. En quittant M. Courtois la première fois, elle entra chez nous et demanda la permission d'y faire un dépôt. Elle retira alors de dessous son châle deux pistolets et deux poignards.

Elle marchait armée, nous dit-elle, pour aider son mari à se défendre, ou pour mourir avec lui si l'on tentait de l'assassiner !

Chaque jour, elle reprenait son dépôt pour le rapporter ensuite.

On sait par notre notice sur M. Courtois, combien de fort près il vit la mort après le prononcé du jugement de la Haute Cour de justice. On l'embarqua pour l'exil et Mme Courtois, qui, dès la fondation de la <<< Feuille du Commerce », n'avait cessé de collaborer avec son mari, eut toute seule à s'occuper de la rédaction du journal, et cela jusqu'à sa mort. Abreuvée d'inquiétudes et de chagrin par suite de cet exil prolongé, elle succomba le 24 décembre 1853, à l'âge de 66 ans.

Quel plus bel exemple à citer de ce que peuvent l'intelligence et le dévouement de la femme !

(Extrait du Dictionnaire biographique)

LOUIS LEFÈVRE

Né à Jacmel le 17 août 1855, mort le 14 novembre 1896,- avec la réputation d'un homme cultivé et d'un homme de bien. S'est occupé quelque temps d'enseignement en qualité de sous-inspecteur des écoles.

Ses œuvres publiées consistent en divers articles envoyés aux journaux, notamment au Peuple, à la Fraternité.

UNE EXÉCUTION A JACMEL ( 1868)

SOUVENIR

Ce matin du mois de Juillet de l'année 1868, la

E

ville de Jacmel était dans une angoisse terrible.

Le 3 mai de cette année, on avait pris les armes contre le Président Salnave, en même temps que plusieurs autres villes de la République. Après l'organisation du Pouvoir révolutionnaire et d'autres dispositions défensives, l'armée avait levé la marche pour Carrefour; l'armée, c'est-à-dire,— outre les deux régiments de ligne, le 22e et le 23, une grande partie de l'artillerie, tous les jeunes gens, tous les hommes valides, tant de la ville que des environs. On n'avait donc pas craint l'hostilité probable des habitants de la campagne; on n'y avait même pas pensé. Aussi, quand, des semaines s'étant écoulées, le bruit se répandit que les Piquets s'armaient pour envahir la ville, l'alarme fut grande, l'affolement complet. On battit la générale. Tout le monde se présenta. Ce « tout le monde » se composait de quelques vieillards plus ou moins malades, et des enfants de 12 à 14 ans, brûlant d'imiter leurs aînés, qui ferraillaient déjà devant Port-au-Prince.

On organisa des détachements de soriie, du côté de Cochon gras et du Morne-Laporte, qui furent chassés et reconduits en ville, à coups de pierres et à coups de piques. Ces détachements qui étaient à peine armės, rentrèrent en pleine déroute, ayant laissé morts et blessés, et confirmèrent la nouvelle du soulèvement et de l'armement des habitants de la campagne. Ce résultat jeta la ville dans une vraie cons

ternation: on n'était pas en état de se défendre. On tint donc conseil, sans doute pour demander secours, car il ne pouvait y avoir un sujet de délibération qui fût plus pressant. En attendant, chacun se fit une idée épouvantable de la situation. Elle n'était pas belle, il est vrai si les prisonniers politiques, assez nombreux et très influents, voulaient sortir et prendre la direction du mouvement extérieur, elle fût devenue terrible. Mais ils n'en firent rien. C'étaient d'honnêtes et de braves gens, qui n'avaient jamais eu, certainement, l'esprit traversé d'aucune méchanceté.

Dans l'intervalle, on avait prévenu à Pétion-ville les chefs de l'armée assiégeant Port-au-Prince. Elle leva la marche immédiatement pour rentrer à Jacmel. Mais ce soulèvement des gens de la campagne, pour défendre le Président Salnave, s'était opéré avec la rapidité d'une traînée de poudre: en quelques jours, tout le pays était debout. Il fallait donc livrer bataille de Pétion-ville jusqu'à Jacmel, plus de trente lieues. C'était véritablement une muraille de troupes innombrables, mais heureusement indisciplinées, qu'il fallait percer tantôt à coups de fusils, tantôt à la baïonnette. On n'en savait rien à Jacmel. Il avait été impossible d'y faire savoir le retour de l'armée.

Nos postes avancés ayant donc, ce matin-là, rapporté qu'il avaient entendu des coups de feu toute la nuit, provoquèrent en ville une alarme extraordinaire, d'autant plus que de vives fusillades éclataient à ce moment même de toutes parts. En un instant, tous les postes furent couverts de monde.On vit même, dans plusieurs, des piles de roches rassemblées par des femmes qui les destinaient aux assaillants. On s'attendait à une attaque, croyant avoir affaire à l'ennemi, et l'on n'était pas bien armé. Enfin, à 7 heures, ayant levé le dernier

« PreviousContinue »