Page images
PDF
EPUB

prolongement, le reflet et la fleur. Dieu s'est fait homme afin que les hommes deviennent Dieu, par participation en Jésus-Christ et par Jésus-Christ; voilà toute la doctrine chrétienne! Il n'est pas un dogme de notre foi, pas un précepte de morale qui ne puisse se rapporter à cette vérité, qui est comme le noyau de toutes les autres et comme la racine de cette plante si florissante et si belle. Je vais plus loin, et je dis que toute l'histoire n'est que le développement de l'humanité par l'incarnation. Avant Jésus-Christ tout le mouvement historique n'est qu'un long travail d'attente et d'espérance; l'idée de lumière personnelle de Dieu et de l'homme se reproduit dans toutes les mythologies, dans toutes les sociétés, chez tous les peuples. Depuis JésusChrist tout est développement de cette union, toute l'his toire, pour qui la considère attentivement, n'est que la ré demption successive de l'humanité, comme la vie du chrétien n'est que la rédemption successive de l'homme par la grâce.

Le christianisme seul donne une haute idée de la dignité de l'homme, car chaque chrétien doit devenir par adoption et par participation ce que le Christ est par nature, c'est-à-dire Dieu, cette incarnation adoptive de l'homme à plusieurs degrés, dont le premier est la grâce, le second, l'eucharistie, et le troisième la gloire. Hors du christianisme, l'homme est un animal raisonnable; dans le christianisme, c'est un ange participant de la nature divine par la grâce, nourri de la substance même de l'homme-Dieu par l'eucharistic, et irrévocablement déifié par la gloire, sans qu'il perde pour cela sa personnalité; car, quelque puissante que soit la grâce de Dieu, elle ne force jamais la libre volonté de l'homme, qui peut toujours l'accepter et la refuser, tant il y a de respect en Dieu pour la volonté et la personnalité humaines.

Ce n'est que dans le christianisme seul que peut exister l'égalité parfaite, telle qu'aucun homme ne l'aurait pu concevoir. La nature fait les hommes inégaux; il n'y a que la

religion du Christ qui détruit cette inégalité. L'un naît plus fort, l'autre plus faible; celui-ci plus doué d'intelligence, celui-là plus simple, et quelque éclairé que soit l'homme, il est obligé de donner aux mystères du christianisme la même foi que le plus simple paysan. Si vous ôtez les mystères, l'Église devient une école, la foi un système; l'inégalité reparaît; l'homme devient l'esclave de l'homme, disciple de l'homme. Le catholique ne reconnaît pour son intelligence d'autre maître que Dieu, d'autre règle que sa parole infaillible dont l'Église n'est que l'écho et l'interprète; car, lorsque l'Église décide un article de foi, elle ne fait que déclarer ce que l'humanité a toujours cru dans l'Église. La foi, c'est l'incarnation de la pensée divine dans la parole et l'intelligence humaine, comme la grâce n'est que l'incarnation de l'amour divin dans le coeur et la volonté de l'homme, comme les sacremens ne sont que l'union de Dieu et de la nature, une sorte d'incarnation de la grâce de Dieu dans la nature pour la sanctification de l'homme. Hors de la foi, l'intelligence humaine est un mystère inabordable; hors de la grâce, la volonté de l'homme est un abîme insondable: sans les sacremens, la nature est couverte d'un voile impénétrable pour l'homme. Chacune de ces propositions pourrait fournir matière à de longs développemens; je me borne à indiquer les principes les plus généraux dont il est facile à une intelligence élevée de tirer toutes les conséquences. Je vous prierai seulement de bien vous pénétrer de l'idée de la foi.

La foi, ce n'est pas une simple opinion, ce n'est pas une conviction, ce n'est pas seulement un acte de l'esprit, c'est l'union et comme l'identité de l'intelligence et de la volonté de l'homme. Je ne crois pas parce que je vois, je ne crois pas parce que je suis convaincu, c'est-à-dire vaincu par une intelligence humaine supérieure à la mienne, je crois parce que je veux. Je puis voir avec évidence la vérité et ne pas y croire, car la foi c'est une adhésion de ma volonté, que rien, pas même Dien, ne peut forcer, c'est une croyance

par amour, c'est comme l'épanouissement de toutes les facultés spirituelles de l'homme; c'est par la foi que l'ame, cette fleur arrosée du sang d'un Dieu, nourrie de sa grâce, comme d'une sève féconde, donne tout son parfum et répand tout son éclat. Pour croire, il ne faut pas seulement une intelligence élevée, il faut une volonté indomptable; aussi les hommes de foi et les peuples de foi sont toujours ceux dont la volonté est la plus développée.

Parmi les êtres créés, l'animal est le seul pour qui il n'existe pas des mystères. Il ne croit point; il sent, il voit, il est trop borné pour voir quelque chose au dessus on au dehors de soi. L'homme voit d'autant plus de mystères qu'il a une intelligence plus élevée. L'enfance demande le pourquoi de tout ce qu'il voit et de tout ce qu'il entend; ses questions sont interminables, et les mystères de la foi n'entrent jamais dans son esprit sous la forme de mystères, mais toujours son imagination leur donne une forme claire et sensible. Plus, au contraire, un homme reconnaît de mystères, plus son intelligence s'élève et s'éclaire, car elle passe de la sphère bornée des conceptions humaines dans la sphère infinie des hautes pensées divines. On arrive à la foi des mystères par l'humilité, qui est sans contredit la plus belle et la plus sublime vertu chrétienne. Par elle, l'homme se soumet à Dieu, et en se soumettant à lui, il s'affranchit à jamais du joug de l'homme. L'humilité élève l'intelligence et le cœur au dessus de toute intelligence créée pour ne la soumettre qu'à Dieu; l'humilité est encore la source de l'enthousiasme, parce que l'homme humble voit toujours au dessus de soi un idéal qu'il n'a pas encore atteint; l'homme humble a toujours les yeux levés en haut, tandis que l'orgueilleux les a toujours abaissés vers la terre. Le latin exprime bien mieux ma pensée : Humilis suspicit, despicit superbus. Sans humilité, il n'y a ni vie, ni action, ni enthousiasme dans le cœur de l'homme.

Le christianisme seul nous donne une idée parfaite de l'association. La doctrine de l'Église sur la communion des

saints est quelque chose de si admirable et de si profond qu'on pourrait la méditer toute sa vie sans l'épuiser. D'après cette doctrine, il n'est pas une pensée, pas une affection, pas une prière du cœur qui ne rejaillisse sur toute l'Église, de même que chaque mouvement d'un membre du corps retentit dans l'organisme tout entier. L'amitié la plus tendre et la plus intime n'est rien en comparaison de cette intimité de la charité, qui fait que tous les biens spirituels se communiquent et que l'homme ne peut rien retenir pour soi. La simple prière du paysan prosterné devant l'autel parcourt la terre, le ciel et le purgatoire, et ajoute quelque chose à cette vie universelle de l'Église, qui circule comme le sang dans la société tout entière des ames qui croient et qui aiment.

Le christianisme seul peut développer l'humanité par la liberté. Quelques intelligences encore faibles et qui ne prennent les choses qu'à la surface, en considérant l'état actuel des choses et la conduite de l'Église dans les circonstances présentes, croient la liberté et le catholicisme incompatibles. Pour détruire cette erreur, il suffit de considérer que l'Église étant éternelle et son but infini, on ne doit jamais porter un jugement sur elle, d'après sa manière d'agir à telle ou telle époque, dans telle ou telle circonstance; mais comme tout fait de l'Église, comme tout fait historique ne peut être jugé que dans son ensemble, le présent n'est pas quelque chose d'abstrait, mais se tient par des liens cachés et au passé et à l'avenir. La conduite de l'Église s'explique parfaitement quand on examine attentivement l'état des choses. L'Église n'a pas coutume de parler quand on n'essaie pas de la mêler aux débats et aux questions d'ici-bas; mais quand, après avoir formé un système politique, on veut forcer en quelque sorte l'Église qui est infinie dans son expansion à entrer dans une forme systématique qui resserre toujours plus ou moins, l'Église refuse et a raison de refuser d'y entrer, parce qu'elle renoncerait à son caractère de généralité pour entrer dans

une sphère rétrécie; c'est ce qu'a fait M. de La Mennais. Il a construit un système politique et l'a présenté à l'Eglise en lui disant : Voici votre doctrine. L'Eglise, qui n'a pas de doctrine politique déterminée, et qui ne veut pas en avoir, mais qui modifie sa conduite selon les circonstances, a répondu : Non, ce n'est pas ma doctrine. L'Eglise radicale et républicaine du moyen-âge et l'Eglise conservatrice de notre époque, ne sont pas en contradiction. Au moyenâge, les peuples étaient pour l'Eglise et dirigés par elle; elle pouvait en faire ce qu'elle voulait; elle pouvait donc se mettre à la tête du mouvement. Aujourd'hui comment peuton exiger d'elle une conduite semblable, lorsque les circonstances ne sont plus les mêmes? A la tête de quels peuples veut-on qu'elle se mette, lorsque les peuples et les rois ont les yeux sur elle pour épier ses moindres démarches? Si elle paraît trop pencher du côté des peuples, elle compromet aux yeux des princes la partie de ses enfans qui gémit sous le joug; si elle paraît au contraire trop pencher du côté des princes, elle se compromet vis-à-vis des peuples. La seule chose qu'elle ait à faire, c'est donc de se tenir tranquille et de frapper quiconque veut la mettre en mouvement malgré elle. Ce n'est pas quand le temps est gros d'orages que le vaisseau quitte le port. Donnez à l'Eglise l'Europe du moyen-âge, et vous verrez ce qu'elle en fera. L'Eglise ne condamnera point les opinions politiques tant qu'on n'en voudra pas faire des dogmes et les lui attribuer comme sa doctrine exclusive, parce que l'Eglise ne brise que ce qui la heurte, et tout système bâti en dehors d'elle lui est étranger. Au reste, méditez cette pensée: Dieu s'est fait homme et est mort pour racheter l'homme; et si dans cette pensée vous ne trouvez pas le gage et la garantie du développement le plus parfait de la liberté dans l'homme et dans l'humanité, désespérez de la société et livrez votre âme à toutes les angoisses du scepticisme.

Le christianisme ennoblit encore tous les sentimens et les fait passer dans une sphère plus élevée. Je prends pour

« PreviousContinue »