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cet oppresseur étranger se soit plu à lui ravir toutes ses franchises, tous ses droits, à le priver de son existence politique, à l'abreuver de honte et d'opprobre, à lui arracher ses habitans, à faire entrer de force ses guerriers dans les rangs odieux de l'armée moscovite, à enlever ses enfans, à détruire son industrie? il faut encore que ce même étranger s'évertue à ruiner son bien-être futur, à aliener son avenir, à le grever de trois dettes l'une plus considérable que l'autre, pour en faire servir le produit à son propre usage, et ne laisser à la nation torturée que le fardeau du remboursement, en la condamnant ainsi à un travail dur et pernicieux pendant plus de quarante années. Ces considérations, fondées en droit et en vérité, ne devraient-elles pas agir sur l'esprit des capitalistes, pour les éloigner d'une entreprise à laquelle ils ne peuvent participer sans assumer sur leurs têtes la responsabilité de tous les malheurs qu'elle pourra entraîner.

C. Emploi des emprunts.

D'après l'assertion du journal déjà cité, et le texte de l'ordonnance que nous venons de recevoir dans ce moment (1), l'objet de l'emprunt est de payer une grande partie des dettes antérieures du pays, et d'aviser à ses dépenses extraordinaires. Cette destination est en partie rassurante, dans ce sens que le nouvel emprunt serait employé à éteindre les dettes anciennes, s'il était contracté à des conditions plus favorables; mais considéré comme moyen de pourvoir aux dépenses extraordinaires, l'emprunt ne pourrait être justifié en économie politique, car payer avec un capital emprunté une dépense annuelle, et obérer le budget de l'intérêt et de l'amortissement, d'une nouvelle dette quand il ne suffit pas à l'acquittement des charges déjà existantes, c'est déranger ses finances au lieu de les régler et de les améliorer.

(1) Voir le Dz. Pow. N° 195 du 11 juillet 1855.

D. Antécédens de la Russie en matière de dettes.

C'est depuis 1815 que l'empereur de Russie a commencé à posséder la Pologne en vertu d'un traité européen qui mettait en même temps à sa charge une part de la dette ancienne du pays. Eh bien! vingt ans se sont passés, et la Russie doit encore cette dette presque en totalité.

En traitant à Paris avec la France, la Russie a pris l'engagement de solder les redevances des légionnaires polonais. Elle ne l'a point rempli. Des donations avaient été faites en Pologne par Napoléon, la Russie ne les a point respectées..

Enfin dès le commencement de la dernière guerre de l'indépendance polonaise, la Russie a cessé de payer sa propre rente, émise en effets au porteur, à l'égard de tous ceux que ses consuls voulaient, de leur autorité privée, qualifier de Polonais, et cela au mépris des termes des inscriptions, qui portaient l'assurance qu'aucune guerre ne pourrait amener ce résultat, même à l'égard d'une nation ennemie de la Russie. Voilà comment la Russie sait respecter ses engagemens financiers.

Bien autre a été la conduite de la Pologne pendant le court intervalle de son existence en 1830 et 1831, quand elle était réellement Pologne, quand elle vivait dans son gouvernement national, sur les bancs de ses législateurs, sous la tente de ses guerriers, dans le cœur de tout son peuple. Voyons cette conduite.

En janvier 1851, le gouvernement national proposa un budget aux chambres réunies. Le budget fut adopté, et les chambres ne balancèrent point à faire entrer dans les dépenses le service de l'emprunt de 25 millions, quoique illégalement contracté par la Russie et en partie consommé par elle. Les fonds nécessaires pour le paiement des intérêts et de l'amortissement, furent fixés avec la fidélité la plus scrupuleuse, malgré les périls d'une lutte inégale et les besoins

les plus-urgens du pays. Plus tard, nous avons vu cette Pologne faire honneur avec la même loyauté aux obligations de l'Association Territoriale dont le service n'a pas été interrompu, malgré les combats les plus acharnés, livrés sous les murs de la capitale. Nous l'avons vu respecter les fonds de la Banque, au moment même de son désastre; nous avons enfin vu les agens émigrés du Gouvernement National rembourser jusqu'au dernier sou les versemens qui avaient été réalisés en Allemagne, à Londres et à Paris, pour un autre emprunt à prime fait pendant la lutte, et qui ont été restitués après la soumission de Varsovie et l'asservissement du pays. Et c'est cette Pologne si loyale, si honorable, qu'on aiderait grever d'une dette énorme au profit de son oppresseur!

E. Garanties politiques de l'emprunt.

L'ordonnance qui confirme le contrat de l'emprunt russopolonais promet, à la vérité, un emploi des fonds justifiable en partie. Mais qui peut en garantir la réalisation conforme au but déclaré? Y a-t-il en Pologne une représentation nationale? Elle a été abolie. La presse est-elle libre dans ce pays? Elle n'existe que sous le bon plaisir de la police et de la censure. L'opinion peut-elle se manifester d'une manière quelconque pour surveiller l'observation des actes émanés du pouvoir? Hélas! la Pologne est dépouillée de toutes ses libertés; il n'y a donc point de contrôle ; l'abus est possible malgré les meilleurs règlemens, et l'exécution fidèle des clauses de l'emprunt est entièrement à la merci de ceux qui sont chargés de les exécuter. Voilà la garantie offerte dans le pays aux bailleurs de fonds. Voyons si les rapports de la politique extérieure leur seraient plus favorables. Le 9 janvier 1835, les députés français ont déclaré dans leur adresse en réponse au discours du trône : « Que » la France n'a reconnu et ne peut reconnaître à aucune puissance le droit de détruire ou d'aliéner sans elle ce qui a été › réglé avec son concours; qu'elle a l'assurance que le roi a

› protesté contre l'état actuel de la Pologne, et qu'il récla› mera toujours avec force et persévérance en faveur de cette › brave et malheureuse nation. » Le 29 juillet de la même année, le vicomte Palmerston, ministre secrétaire d'État des affaires étrangères, a déclaré au Parlement anglais : <que la Russie ne pouvait, sans manquer à la foi des traités, porter atteinte à la constitution polonaise, et que le › cabinet anglais avait fait connaître à la Russie que le traité › de Vienne exigeait que cette constitution restât la même › qu'avant la révolution, la Russie n'ayant aucun droit de › l'abolir. ›

Avant et après, les Chambres et les ministres des deux nations ont exprimé les mêmes principes. Voilà donc les deux plus puissantes nations de l'Europe occidentale, nations qui président aux destinées de plus de 58 millions d'hommes libres, qui ne reconnaissent point les droits que l'empereur Nicolas s'arroge sur la Pologne, qui ne considèrent l'état actuel de ce pays que comme une possession précaire, n'ayant aucun caractère de légalité. Quelle est donc la sécurité offerte, sous ce rapport, aux capitalistes qui voudraient confier leur avoir à l'empereur dont il s'agit? Elle est évidemment sans valeur ou du moins aussi précaire que la possession de ce pays. Si jamais, et ici nous reproduirons les propres expressions du Temps (1), si jamais › un coup de foudre tel que celui qui fit crouler le trône › de Charles X, qui mit fin à l'usurpation de Don Miguel, » qui réinstalla les Cortès d'Espagne, venait à briser les ›fers de la Pologne et la faire reparaître libre et indépen

dante, où en seraient les bailleurs de fonds qui auraient › donné leur confiance aux promesses fallacieuses de Nico> las, où en seraient-ils? L'Europe les repousserait, en leur › rappelant les déclarations solennelles citées ci-dessus; la › Pologne ne les reconnaîtrait pas, n'ayant pas contracté

(1) Voir Le Temps du 19 juillet 1835.

TOME V. AOUT 1835.

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› avec eux; la Russie elle-même les renierait ne possédant plus la Pologne, offerte aujourd'hui comme gage de > l'emprunt; et ce serait justice, car contracter sciemment › au préjudice d'un mineur opprimé, c'est s'exposer à › perdre légalement toutes ses avances le jour de l'éman> cipation. ›

HISTOIRE.

RÉVOLUTION D'ITALIE EN 1831.

(Deuxième article.)

Nous avions trompé le prélat romain, il faut bien le répéter, car notre intention n'était pas de sauver le gouvernement papal, comme le croyait Monseigneur; ce que nous voulions, c'était la chute d'un gouvernement qui nous paraissait contraire aux intérêts du pays et incapable d'une amélioration suffisante. Il me serait difficile maintenant de justifier ce premier acte de duplicité et cependant je ne sais pas jusqu'à quel point il nous rendait coupables.

Quelle que fût l'opinion personnelle de monseigneur Clarelli, nous avions tous la conviction profonde que le gouvernement ne cherchait qu'à gagner du temps, car il y avait en lui des vices dont bien certainement il n'aurait pas voulu, dont il n'aurait peut-être même pu se corriger. D'un côté, nous connaissions les besoins, les exigences du peuple ; d'un autre côté, de nombreuses épreuves nous avaient appris les habitudes, les préjugés et les maximes fondamentales du

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