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touchés de ta victoire et des périls de ta nouvelle liberté, auraient accouru pour retenir ta main fatiguée et t'auraient dit « Tu as vaincu, ma fille, c'est bien : maintenant c'est à nous de parler. Parole de roi vaut mieux que sang de peuples: nous allons pourvoir à nos intérêts, à ceux de ton ennemi, et puis aux tiens. Prépare ton cœur à l'espérance, ta poitrine aux blessures, ta tête au joug; et repose-toi. »

Malheur à l'homme qui espère sa liberté de quelque autre puissance que de la sienne propre et de Dieu! Ni l'humanité, gardez-vous de l'oublier, ni la justice ne sont les inspirations de ces hommes. Faites en sorte de paraître ou terribles, ou utiles aux souverains, et vous serez protégés; vous atteindrez ce double but en devenant meilleurs ; et alors vous pourrez agir sans la protection des rois; alors ce sera votre tour de protéger et de pardonner. Mais en attendant, réfléchissez-y bien : les deux principes qui de nos jours gouvernent l'Europe, se sont incarnés dans deux hommes, Metternich et Talleyrand: Metternich, le père des pensées de Nesselrode, l'enfourcheur du baudet germanique, le véritable président de la diète; Talleyrand, le chien agile de beaucoup de chasseurs, qui porte aux pieds de ses maîtres les républiques et les royaumes comme sa proie.

J'ai dit qu'en Talleyrand et en Metternich s'étaient incarnés deux principes qui survivront peut-être long-temps à ces deux hommes de malheurs : en Talleyrand, la politique perfide et moqueuse, toujours vendue et toujours à vendre; l'art d'être le même sous des formes diverses, et différent sous la même forme; en Metternich, la politique de la matière brute, le génie de l'inertie, l'art difficile de la stupidité.

Mais aujourd'hui les nations sont en proie à une toute autre stupeur, que la stupeur tudesque; stupeur du trop de nouveautés qui se pressent en foule; stupeur du doute qui refroidit toutes les ames, et relâche tous les liens; stupeur du passé qui fuit comme un songe, sans paraître laisser de traces, quoiqu'il en laisse de bien profondes. L'hérédité des

souvenirs a été gaspillée par nos prodigues pères; la chaîne des temps est rompue; plutôt que distinguer dans les choses du passé, ce qui était nécessaire de ce qui était inutile, ce qui était passager de ce qui devait être éternel, nous coufondons tout dans une seule haine ou dans un seul amour, et après avoir ou détruit ou vu détruire, nous nous trouvons sans bases pour reconstruire, et sans instrumens pour réparer; nous n'avons aucuns principes féconds, parce que nous n'avons pas de but véritable; nous prenons les moyens pour le but. Or les moyens sont chose changeante, leur opportunité passe vite; et passée qu'elle est, nous demeurons trompés et tristes: nous nous rattachons à d'autres moyens comme à un but final, et le réveil du repentir est le terme inattendu d'un cauchemar douloureux.

Tout ceci nous apprend que les maux politiques sont le tronc et les rameaux d'une profonde racine; qu'en définitive, les questions politiques se réduisent à des questions morales, philosophiques et religieuses; qu'il n'existe aucune confiance entre les gouvernans et les gouvernés, parce que ni les uns ni les autres n'ont foi en des principes communs, ou agissent comme si cette foi n'était pas dans leurs cœurs ; que les actions sont peu sûres, parce que les idées sont douteuses, les esprits mécontens non-seulement parce qu'ils ne trouvent pas appui dans la justice et l'humanité d'autrui, mais encore parce qu'ils ne savent pas se suffire à eux-mêmes; que la tyrannie et la servitude sont si profondément enracinées, parce que les plus chauds partisans de la liberté gardent dans leurs moeurs et dans leurs intentions je ne sais quoi de tyrannique et de servile; qu'une impression commune et des idées uniformes, les vertus et les croyances nous manquent ou dorment inactives; que l'éducation seule peut nous les rendre et les réveiller, que l'éducation est le seul remède à des maux si multipliés et si profonds.

Telle est l'Europe; voyons l'Italie.

OBSERVATIONS

Sur le décret DU 2 AVRIL, RELATIF AUX CONFISCATIONS

EN POLOGNE.

Le journal officiel de Varsovie, dit Journal Universel, contient dans sa feuille du 13 mai de l'année courante, n° 132, un nouveau décret du gouvernement russe, destiné à régulariser la confiscation et le séquestre des biens des réfugiés polonais, situés dans le soi-disant royaume de Pologne, c'est-à-dire dans cette partie de l'ancienne Pologne, qui, en vertu de l'acte du congrès de Vienne, fut ajoutée aux démembremens précédens de ce pays, et accrut les vastes états de l'autocrate russe d'une population d'environ quatre millions d'habitans, sous la dénomination dérisoire de royaume de Pologne, tandis qu'elle ne constitue qu'à peu près le cinquième de la véritable Pologne. Cette nouvelle acquisition ne fut toutefois permise à l'autocrate par les grandes puissances co-signataires du traité de Vienne, qu'à la condition expresse que le royaume de Pologne aurait une administration distincte, et ne serait lié à la Russie que par sa constitution. On sait comment a été observée par les czars la constitution de 1815, octroyée en exécution des stipulations du congrès de Vienne, dont ils ne se sont guère fait faute de violer les principales disposi tions; mais elle présentait encore quelques garanties ; et il n'en fallait pas davantage pour que l'autocrate, voulant punir la nation de l'héroïque résistance qu'elle venait de lui opposer, et ne tenant aucun compte, ni des traités, seul titre plausible de sa possession, ni de ses sermens, l'abolit virtuellement par son fameux statut organique, en date du 14 février 1832. Il semblait pourtant que ces garanties ne seraient enlevées que pour l'avenir, et que pour ce qui

concerne le passé on s'en tiendrait à un axiome incontestable chez toutes les nations civilisées.

« Les lois n'ont jamais d'effet rétroactif,» axiome consacré d'ailleurs par l'article 2 du livre Ier du nouveau Code civil polonais, adopté par la diète de 1825, et qui fut maintenu dans le statut organique de 1832. Mais y a-t-il rien de sacré pour les czars? Ce qu'ils font aujourd'hui, ils le défont demain; leur volonté seule leur tient lieu de loi, et l'empereur Nicolas en offrit bientôt des preuves éclatantes dans des actes nombreux et successifs, accumulés les uns sur les autres, dont l'arbitraire surpasse tout ce que les règnes despotiques ont présenté de plus monstrueux en ce genre. Car, sans avoir égard à la constitution de 1815, et en présence de l'article 23 de cette constitution, le seul applicable aux cas antérieurs à la publication du nouveau statut organique, et portant que :

a Nul ne peut être puni qu'en vertu des lois existantes, et d'une sentence rendue par le magistrat compétent, »>> il fit juger par un tribunal, ou plutôt par une commission extraordinaire, à moitié composée de généraux russes, ceux qui étaient accusés d'avoir pris une part plus active à la dernière révolution, et aux événemens de 1830 et de 1831, le plus grand nombre d'entre eux par contumace, et les fit condamner à la mort. Il alla plus loin: il rendit un ukase confirmatif de l'arrêt par contumace de sa commission criminelle, en ajoutant, à la peine prononcée, la privation de tous les droits, c'est-à-dire la mort civile, qui, d'après l'article 42 du Code pénal polonais, maintenu aussi par le statut organique de 1832, ne pouvait résulter que d'un arrêt passé en force de chose jugée. On croyait qu'au moins, conséquent avec lui-même, le czar ne s'opposerait pas à ce que, d'après l'article 21 du Code civil polonais, les héritiers institués ou présomptifs fussent mis en possession et jouissance des biens des condamnés; mais ce ne pouvait être l'intention de l'empereur Nicolas de s'en tenir en quoi que ce fût aux lois du pays; il aima mieux

passer outre, et trouva plus commode de procéder par voie de confiscation, comme il l'avait déjà fait dans les provinces polonaises anciennement incorporées à la Russie, et qui ne jouissaient pas d'une constitution séparée; en conséquence, il commença par confisquer et séquestrer de fait les biens des réfugiés polonais situés dans le royaume, et prétendant ériger le fait en droit, il a fait tout récemment rendre par son conseil d'administration du royaume de Pologne le décret ci-dessus mentionné, en date du 2 avril 1835, dont nous allons citer le préambule et les principales dispositions, en y joignant de courtes observa

tions:

<«< Au nom de S. M. Nicolas I, empereur de toutes les Russies, roi de Pologne, etc., etc.

« Le conseil d'administration du royaume de Pologne ; « Vu que les lois jusqu'à présent en vigueur ne renferment aucune disposition relative à la confiscation des biens (1);

(1) Comment ces lois pouvaient-elles renfermer des dispositions relatives à la confiscation, ayant été portées sous l'empire de la constitution de 1815, dont une des principales garanties est conçue dans les termes suivans?

«La peine de confiscation est abolie, et ne pourra être rétablie dans aucun cas (art. 159 de la constitution de 1815). » Abstraction faite de la prétention du czar, d'enlever au royaume de Pologne la constitution jurée par lui, tandis que d'après la teneur expresse de l'art. I de l'acte du congrès de Vienne, ce royaume n'est lié à la Russie que par sa constitution; toujours est-il que d'après le principe universellement reconnu de la non rétroactivité des lois, le statut organique de 1832, remplaçant la constitution de 1815, ne saurait être appliqué qu'aux cas futurs, et nullement aux faits qui l'ont précédé. Les prétendus coupables étaient menacés par la loi de la peine de mort; c'était donc cette peine seule (et la législation n'en connaît pas de plus forte) qui pouvait leur être appliquée; mais elle ne satisfaisait pas le gràcieux souverain de la Russie. Pour assouvir sa vengeance, ou plutôt sa cupidité, il fallait qu'il frappât les prévenus jusque dans leurs descendans, et autres héritiers présomptifs, et qu'ainsi il ravît, à ceux-là mêmes qui lui étaient restés fidèles, une

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