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de la révolution française, qui embrouillèrent dans l'intérêt des despotes la question de l'Orient avec tant d'autres. Depuis 1850, lord Grey avec son opiniâtreté habituelle a suivi une politique faible et conciliatrice vis-à-vis de la Russie, ce qui n'a que trop plu à la cour des Tuileries. Le système du juste-milieu n'a été en vérité, pour le système russe en Orient, qu'une série de complaisances fâcheuses; ce système nous a entraînés dans des voies périlleuses; il s'agit à cette heure-ci d'en retirer l'Europe, dans l'intérêt de la civilisation universelle.

C'est surtout dans les forces actuelles de l'empire ottoman qu'il faut puiser l'espérance d'un meilleur avenir. Sur ce point l'auteur anglais dit :

« Quoique la vigueur de l'autorité suprême soit presque anéantie en Turquie, il y a cependant dans les masses vitalité, sensibilité et énergie. La faiblesse du gouvernement, en ce moment, provient d'abord de son ignorance, qui renferme à la fois toutes les causes de déclin, et une grande facilité de régénération, ensuite de la position anti-nationale où ce gouvernement s'est placé. Il se prive de l'attachement et de l'appui de la nation, il perd sa force en cherchant et croyant trouver un soutien temporaire dans la protection russe. Aucun changement ne s'est opéré dans les institutions politiques de la Turquie depuis l'époque de ses conquêtes; son peuple est toujours brave et docile, les factions politiques y sont restées inconnues, et la moralité domestique est autant que jamais le trait caractéristique universel chez ce peuple. L'abaissement actuel de la Turquie n'est pas le dernier période d'une décadence progressive; déjà elle était tombée aussi bas, et plus bas encore, et cependant elle s'est rapidement relevée au moment même où, comme aujourd'hui, elle paraissait à la veille de rendre son dernier soupir. Sous Soliman II, la Grèce et la Dalmatie étaient occupées par les Vénitiens; la Hongrie, la Servie, la Bosnie, la Bulgarie, par les Autrichiens; la Transilvanie, la Vala

chie et la Moldavie, par les Polonais; un chef rebelle envahit l'Anatolie, et s'aventura même jusqu'aux murs de Scutari; un autre rebelle contesta au sultan le reste de ses provinces d'Europe: ajoutez à cela le refus des Musulmans de se laisser enrôler, l'insubordination des janissaires, et un trésor tellement épuisé qu'il n'y eut pas de quoi louer des chevaux pour le transport de la cour du sultan, lorsqu'il dut quitter sa capitale (1). Cependant, un an ne s'était pas écoulé depuis que Kiupruli-Mustapha avait été nommé visir, et déjà le croissant flottait de nouveau sur les murs de Belgrade, et les queues de cheval étaient plantées aux bords de la Théiss. Cette révolution miraculeuse, dans la force et l'énergie de l'empire ottoman, ne fut cependant amenée par la réforme d'aucune loi, par aucune innovation, par aucun changement dans les taxes, mais uniquement par une observation stricte des institutions simples et fondamentales de l'empire.

› L'administration supérieure avait besoin de tenir continuellement en bride le pouvoir exécutif, afin de l'empêcher de dépasser les limites étroites qui devaient borner son autorité plutôt judiciaire qu'administrative, et cela en lui défendant de jamais intervenir dans le code immuable et sacré qui, après avoir tracé les traits principaux et distinctifs de l'administration, avait abandonné les détails à des coutumes locales et non moins révérées. Le pouvoir était despotique, mais il ne devait se montrer que lorsqu'on l'invoquait, et sa force, quoique réellement insignifiante,

(1) La découverte d'une grande conspiration força le sultan de fuir à Andrinople. Les écuries impériales ne contenaient pas le nombre suffisant de bêtes de somme. Il ordonna d'en louer ce qu'il fallait; mais le trésor ne put fournir l'argent nécessaire pour cet objet. Le sultan envoya vendre à l'enchère une partie de ses bijoux. Cet aveu de pénurie, qui aurait infailliblement paralysé ou détruit le plus puissant gouvernement de l'Europe, sauva celui de la Turquie, et calma instantanément la sédition. (Note de l'ouvr. cité.)

paraissait prodigieuse, parce qu'elle n'avait pas besoin de dépenser constamment son énergie à réprimer des résistances systématiques, à renforcer les conséquences de règlemens oppressifs, et à maintenir une complication de lois innombrables (1). ›

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Nonobstant la faiblesse de la Porte, qui résulta en partie de l'incapacité avec laquelle on avait fait face aux circonstances, mais bien plus encore de l'attitude menaçante de la politique étrangère et des blessures fatales, mais non mortelles, qu'on permit à la Russie de lui faire, la nation turque a plus avancé en opinion et en éducation publique, elle s'est affranchie de plus de préjugés et de préoccupations fanatiques, dans les dix dernières années qui viennent de s'écouler, que les peuples aujourd'hui les plus éclairés de l'Europe en dix siècles. Cela s'explique par le principe dont il a été question plus haut, c'est-à-dire que les abus y venaient du pouvoir exécutif et non des institutions. Il n'y avait pas en Turquie de classes d'hommes privilégiés à l'exclusion de tout le reste de la population; il n'y existait pas de combinaisons manufacturières, commerciales ou agricoles, point de corps de douaniers et de percepteurs de taxes qui établissent journellement en opposition le peuple et le gouvernement, point de priviléges aristocratiques enracinés profondément; nulle antipathie démocratique remuant les masses, nulle opposition d'intérêts amenant une dangereuse discordance d'opinions; et comme à côté de la pleine liberté laissée aux volontés locales et à

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(1) Il faut admettre, comme caractère particulier de ce gou» vernement, une confiance basée sur la force de son principe, et non sur le principe de sa force, et en outre le dessein et la volonté d'accorder le plus de facilité possible à toutes les relations individuelles, sans les fatiguer ou les embarrasser continuellement » par l'action gouvernementale.» (Moniteur ottoman du septembre 1854.) On y trouve un article admirable sur la police de Constantinople. (Note de l'ouvrage cité.)

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la circulation intérieure, le revenu de l'État n'était perçu que sur le produit net, sur ce que nous appelons la rente de l'agriculteur, on pourrait dire que, comparativement à l'Angleterre, la Turquie ne connaissait pas d'impôts; ce qui, joint à la parfaite indépendance des marchés et des prix, malgré quelques violences et quelques abus, répandait dans le pays un contentement intime si calme et si profond, que le vaisseau de l'État voguait à pleines voiles à travers une agitation extérieure qui n'offrirait à nos yeux aucune chance de salut.

› Si donc la Turquie est aujourd'hui dans l'état où nous la voyons, la faute tout entière en est à la politique européenne, qui a permis que les armes, les traités, la protection, l'or et les conseils perfides de la Russie l'y aient réduite. C'est la politique de l'Angleterre qui seule peut la sauver. Ce n'est donc point une investigation vaine et triviale que nous avons entreprise, puisqu'il s'agit de faire un habile usage des élémens politiques qu'offre cet empire, puisqu'une réorganisation de la Turquie est le seul moyen de prévenir la guerre et de nous assurer du succès. La destruction des janissaires a produit dans la constitution du pouvoir un changement qui, malgré les discussions auxquelles il a donné lieu, n'a pas été encore analysé avec le soin qu'exigeait l'importance de l'intérêt que nous avons à voir prospérer la Turquie.»

«Ici nous devons soigneusement distinguer les principes janissaires des principes turcs. Les premiers, c'étaient la violence, la corruption, l'épuisement de toutes les ressources et de toutes les forces militaires, la dissipation du trésor, la résistance à tous les changemens, même avantageux, un mépris hautain de leurs concitoyens de religion différente, une incorrigible manie de propager et de perpétuer le fanatisme parmi les leurs.

> Tout cela a disparu; mais par l'effet du changement, les principes turcs, qui ont perdu dans les janissaires un

organe et un soutien, et sont par là même devenus le jouet du caprice d'un seul homme, sont les principes suivans : la non-intervention gouvernementale dans la perception des impôts, la liberté illimitée des marchés et des échanges, l'impossibilité de taxes illégales imposées par le sultan, l'inviolabilité des coutumes locales, l'appropriation de fonds charitables et autres, l'héritage des propriétés confiées à la décision des juges volontairement élus, l'administration de l'église, quant au spirituel, et plusieurs importantes fonctions civiles, échues en partage depuis un temps immémorial aux dignitaires des différens cultes, etc., etc.

› Ces principes ont été les divinités bienfaisantes de la Turquie; ils ont été révérés par ses enfans les plus fanatiques, et avaient survécu aux agitations les plus convulsives et les plus critiques. >

Les sujets de la Porte ayant été accoutumés pendant des siècles à l'inconduite et aux iniquités des autorités locales, comme leur résistance à ces autorités finissait toujours par être approuvée par le gouvernement central, de grands abus pouvaient exister, et ces abus ont pu donner lieu à de grands mécontentemens, sans que le mal fût attribué à l'autorité suprême, sans qu'elle fût l'objet de ces mécontentemens. Le chef de l'État n'a jamais cessé d'inspirer à tous les Turcs une vénération et une crainte respectueuse, qui s'expliquent par la grande facilité avec laquelle, dans ce pays, on parvenait à éloigner les fonctionnaires publics dont on ne pouvait plus tolérer l'oppression. La dernière révolution a anéanti le pouvoir de ces zemindars locaux, de ces petites aristocraties, de ces gouverneurs délégués; de façon que si aujourd'hui il existe des abus, si quelque crime reste impuni, la faute n'en saurait plus être imputée qu'au gouvernement, qui est aujourd'hui tout-puissant pour le bien; et le sultan, au lieu de représenter un individu insignifiant, chargé uniquement de fonctions élevées, mais circonscrites, est devenu la seule autorité de l'État. Au

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