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traités convenus entre la coalition et Louis XVI, entre la Sainte-Alliance et les rois des deux Péninsules, dans le but semblable d'assurer le droit qu'ils tiennent de leur naissance de commander en maîtres absolus et de contraindre ceux qui se refuseront à leur obéir, fût-ce la nation en masse, unie ou partagée en plusieurs partis.

Cependant, nous répliquera-t-on peut-être, l'humanité ne peut que gémir en présence des horreurs de la guerre civile et ce sentiment suppose le droit ou plutôt le devoir d'y mettre un terme. De plus, les intérêts commerciaux et politiques de chacun des membres de la grande communauté européenne sont tellement liés entre eux, que l'état de convulsion où se trouve la Péninsule ne peut qu'agir de la manière la plus désastreuse sur le sort de tous les autres peuples. Il faut donc que ceux-ci aient le droit de faire cesser un état de choses qui compromet leur propre tranquillité.

Nul doute; mais il ne s'ensuit pas que ce doive être par voie d'intervention. Il reste encore une voie plus légitime que les gouvernemens se gardent bien de vouloir adopter: nous voulons parler de la médiation.

Il y a entre la médiation et l'intervention une immense différence. Intervenir, c'est contraindre par la force tous les partis à se soumettre à celui que l'intervention se plaît à appuyer. Le médiateur, au contraire, se pose impartial entre les parties dissidentes et commence par se déclarer incompétent pour vider leurs différends. Les gouvernemens constitutionnels (car aux gouvernemens absolus on ne saurait supposer de principes fixes) doivent reconnaître que pour chaque nation il n'y a de juge légitime que l'assemblée des représentans de cette même nation, librement choisie par elle et destinée à soutenir, dans des débats également libres, les intérêts divers entre lesquels la nation se trouve divisée.

Tout homme capable d'élever la voix en connaissance de cause sur le choix du représentant de l'opinion qu'il pro

fesse, a, par cela seul, le droit de voter aux élections des membres de cette assemblée nationale, seul arbitre légitime des destinées de la nation.

C'est pour contraindre chaque parti à élire ses représentans sans exercer de violence sur le choix des autres partis; c'est pour protéger la liberté de discussion de ce congrès; c'est enfin pour forcer les récalcitrans à se soumettre aux décisions de ce haut jury national, que les nations étrangères sont en droit d'exercer une médiation tout impartiale.

L'intervention en faveur d'un parti, fût-il celui du gouvernement, doit rencontrer une opposition invincible dans tous les autres partis, car elle révolte toutes les consciences et humilie le sentiment national; la médiation, au contraire, qui remet la cause de la nation entre les mains de ses juges naturels, le grand jury national, et qui permet aux représentans librement choisis par toutes les opinions de mettre d'accord tous les intérêts, doit obtenir l'assentiment de tous les cœurs bien faits.

Nous ne nous arrêterons pas ici à indiquer les moyens d'exécution d'une médiation armée telle que nous venons de la définir, non seulement parce que nous les avons longuement développés ailleurs, lorsque le devoir nous l'a commandé (1), mais aussi parce que nous sommes sûr que ce moyen de conciliation est en dehors des erremens de la diplomatie européenne et en opposition avec le funeste principe: Tout pour le peuple, et le moins possible par les représentans du peuple, devise avouée des gouvernemens soi-disant constitutionnels.

Paris, ce 15 juillet 1835.

PINHEIRO-FERREIRA.

(1) Mémoire sur les moyens de mettre un terme à la guerre civile en Portugal : article publié dans le N° 18 du Siècle, journal littéraire de l'année 1833,

RÉFLEXIONS

SUR LES HABITUDES ET LE CARACTÈRE

DU PEUPLE ITALIEN.

Quel est donc le pays que l'on connaît le moins sur la terre? Ce n'est ni Tombouctou ni la Chine : c'est l'Italie.

Voilà un homme qui l'aime, qui la juge parfois avec une rare intelligence, qui sait combien elle est méconnue ; qui se plaint que ses enfans ne la fassent pas mieux connaître; et qui pourtant a l'air de ne pas la connaître bien profondément, puisqu'il trouve l'Italie du XVIIe siècle dans les comédies de Goldoni, et, ce qui vaut mieux, dans le livre de Casanova. C'est comme si l'on cherchait dans Vidocq le portrait de la France. Goldoni, cet observateur admirable, n'a peint que Venise, un seul côté de Venise, les singularités et les ridicules de sa vie domestique; non pas le gouvernement, non pas les patriciens, non pas les clients, non pas les villes de province, et les campagnes, moins encore l'Italie tout entière, ce corps à mille faces, ce rayon à mille couleurs, ce sol à mille inégalités et à mille recoins. L'auteur de l'article fort remarquable inséré dans le Temps, auquel je fais allusion, trouve dans l'Italie du dernier siècle un divorce total entre les gouvernans et les gouvernés. Or, il n'y a jamais eu d'époque où les gouvernans daignassent entendre plus amicalement les besoins des sujets, et où les gouvernés espérassent mieux de leurs princes. Naples, Parme, Modène, la Toscane, le Piémont, étaient dans le mouvement; et c'étaient les princes qui les y poussaient, soutenus par tout ce qu'il y avait de plus éclairé et de plus

noble. Les changemens venaient d'en haut ils opéraient tranquillement, sans secousse; et tandis qu'en France on disputait sur le contrat social et sur l'existence de Dieu, en Italie on exécutait des bonnes réformes dans l'économie sociale, dans le clergé, dans l'éducation, dans les lois. Ce n'était donc pas des velléités d'imiter les progrès que faisait l'étranger; c'était une volonté bien ferme de montrer dans la pratique ce que les autres rêvaient en théorie, et la pratique bien souvent dépassait la théorie : elle était plus hardie dans le fait, et plus idéale.

Mais comment faire pour trouver le mot de cette énigme? L'auteur de l'article en question nous en propose deux solutions qui ne sont pourtant pas nouvelles, car les livres mêmes qu'il connaît en ont fait mention : la position géographique, et les races. Pour connaître l'Italie, il faut, ditil, la partager en versans et bassins; puis, se rappeler qu'elle a été subjuguée par des peuples qui ont régné sur elle comme les Turcs sur les Grecs. La remarque n'est pas tout-à-fait exacte; elle le serait même, qu'elle ne nous éclairerait pas beaucoup sur l'état actuel de ce peuple. Mais les conséquences qu'on tire de cette érudition historique sont telles, que quiconque connaît un peu l'Italie ne s'y attendrait certainement pas. De ce qu'il y a eu deux peuples, l'un oppresseur et l'autre opprimé, il s'en est suivi dans I'Italie moderne une haine générale de toute supériorité. De quelle supériorité donc, s'il vous plaît? De la supériorité intellectuelle? Mais en Italie, tout comme ailleurs, on a quelquefois maltraité, quelquefois vénéré le génie : et encore ce n'était pas le pauvre peuple qui le maltraitait. La supériorité morale? En Italie on l'a peut-être respectée plus qu'ailleurs : ce qui a souvent été une espèce de contrepoids aux oppressions politiques. Les supériorités sociales, qui n'étaient ni morales ni intellectuelles, on les a trop ménagées; et même, en les combattant, on ne les a pas haïes, car la haine est dans quelques hommes isolés, dans quelque

petite société, ou, pour mieux dire, dans quelque association; elle n'est jamais dans les masses. Et cet instinct même d'égalité qui tourmentait ces âmes puissantes, ne venait pas de ce que leurs ancêtres étaient sujets à l'étranger, comme le Grec au Turc, il venait de la force des esprits et de la conscience de leur dignité.

Ainsi vous ne croirez pas que c'est précisément parce que l'Italie du moyen âge a eu ses Rayas, que le métayer italien se sent le droit de tromper son maître, qui lui paraît l'usurpateur du sol. Je nie en même temps la cause et l'effet il y a en Italie des métayers aussi honnêtes que partout ailleurs, et en plusieurs autres parties du monde connu il y a des métayers tout au moins aussi fripons qu'en Italie, quoiqu'ils ne se croient pas descendans des Rayas. Toute friponnerie ne remonte pas aux Goths et aux Lombards; et il n'est pas besoin d'une longue généalogie de servitudes pour soupçonner que le propriétaire corrompu et oisif d'une terre qu'il n'a peut-être jamais vue, n'est pas plus honnête homme que son métayer qui le trompe.

C'est toujours des relations entre opprimés et oppresseurs, entre esclaves et Turcs, que l'on voudrait dériver cette prétention universelle à être traité avec certains égards qui n'est cependant pas le plus grand des défauts ; et cette manie de vivre en seigneur aussitôt qu'on croit possible de le faire, qui n'est pas, au reste, très répandue en Italie, où les grandes et modestes fortunes ne manquent pas, où l'on se moque plus qu'ailleurs des roués petits-maîtres et des intrigans parvenus.

Cet éternel reproche d'oisiveté qu'on jette à la face des Italiens (vrai tout au plus pour les lazzaroni de Naples) est fidèlement répété, à quelques ménagemens près, par l'estimable auteur de cet article, qui en donne une raison plus étrange que le reproche lui-même. L'homme, dit-il, mange peu. C'est sans doute l'homme italien qu'il entend; or, j'ai l'honneur de lui dire que l'homme italien, s'il ne mange

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