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Voici quelques faits tirés de mes souvenirs, qui aideront, j'espère, aux jugemens de la postérité.

« Bologne ..... décembre 1829. Envoyé par mon ami N... un M. M....i, Modénais, que je n'ai pas l'honneur de connaître, s'est présenté chez moi. Il a commencé par me faire l'éloge du duc son maître. Ferdinand, dit-il, persécute les libéraux et les envoie aux galères, mais c'est une feinte il est le directeur des sanfédistes, mais c'est pour les tromper.... Dans le fond de son cœur, il convoite le royaume d'Italie. Pour l'acquérir, il consent de se mettre à la tête des Carbonari et des autres conspirateurs italiens, prêt à les aider de son argent et de son patronage. Il donnera des garanties, une constitution... Maintenant, dans le but de coopérer à cette œuvre nationale, il me fait proposer (lui duc, à moi pauvre hère !) de devenir le chef des libéraux de Bologne ou même des Etats Romains, et il m'engage à aller à Modène pour m'entendre avec lui. J'ai répondu sans délai, que j'aimais à croire à la sincérité des intentions de Son Altesse, mais que moi je ne conspirais pas. M. M....i est parti très désappointé de mon refus. Il m'a dit que son maître allait l'envoyer en France et en Angleterre pour des missions analogues. »

<< Janvier 1830.-M. M....i vient me voir une seconde fois, et m'annoncer son prochain départ pour la France. Il m'engage à lui envoyer à Modène, pour mes amis de Pa. ris, des lettres dont il se chargera très volontiers. Je ne profite pas de cette offre. >>

« Mai 1830. Je reçois une visite de M. N... de Parme; j'apprends de lui qu'on est allé lui faire des propositions semblables à celles dont M. M....i s'était fait porteur à mon égard; elles ont été rejetées également. »>

C'était tout ce que je connaissais de ces intrigues politiques, et juillet approchait. Dans ce temps-là l'Italie avait foi dans la France. Paris étoit son étoile polaire... Les journaux français de toutes les opinions parvenaient à Bologne.

On les lisait partout, dans les maisons particulières, dans le casino, dans les cafés. On s'intéressait aux discussions des chambres, aux résolutions des ministres... Charles X était honni, haï. On suivait avec anxiété la marche de son gouvernement...... Enfin les ordonnances parurent, et ce fut un cri général : on aurait dit que Bologne allait se révolter elle-même contre M. de Polignac. Il fallut attendre trois mortelles journées avant de recevoir de nouveaux renseignemens! On en avait la fièvre. Mais quand on put lire le Moniteur, et les quelques lignes annonçant la catastrophe, ce fut un délire de joie, une espèce d'ivresse qui dura plusieurs mois. La foule assiégeait le grand bureau de la poste, avide qu'elle était de nouvelles, et attendait avec inquiétude les événemens. Dans les cafés, on était obligé de dresser des échafauds pour y monter et y lire les journaux à haute voix... Puis vint la révolution Belge, puis celle de Pologne... La Suisse, les petits Etats de la Confédération Germanique eurent leur tour, et se donnèrent des constitutions. Le gouvernement papal tremblait; le peuple répétait: Et quand nous-mêmes nous insurgerons-nous? Rester ainsi, c'est une honte ! Les jeunes gens faisaient des armes; ils s'associaient par compagnies; ils choisissaient leurs capitaines...

Vers la fin de janvier 1831, quelqu'un vint me voir; je relevais à peine d'une maladie de quelques mois. Il me montra un billet écrit à l'encre sympathique, et arrivé de Paris à Modène. Un comité italien y donnait l'ordre d'une révolution générale pour le commencement de février..... Les membres du comité avaient apposé à cette pièce leur signature. Les Modénais conseillaient un mouvement pour le 5 du même mois. On me demanda mon opinion, et l'on ne me cacha rien. Je n'appartenais à aucune société secrète; mais on savait que j'étais honnête homme et homme de progrès. Je pus donc connaître positivement des faits que je ne connaissais auparavant que d'une manière vague.

Au fond, il n'y avait, à mon avis, rien de bien préparé.

On ne savait me dire jusqu'à quel point le duc de Modène ignorait, ou n'ignorait pas ces projets. Une partie des chefs avaient été ses agens: peut-être l'étaient-ils encore. Sans doute rien ne prouvait rigoureusement qu'ils fussent de mauvaise foi; mais on pouvait les croire dupes d'une fatale illusion; dans l'intérêt même de la cause publique on le devait. Toutefois une révolution prochaine me paraissait dans l'ordre naturel et nécessaire des choses. On en parlait comme d'un fait prêt à s'accomplir : c'était la question des cafés et des halles. A Bologne, il n'y avait que mille soldats, et presque tous étaient peu disposés à se battre pour le Pape et contre le peuple. Les sociétés secrètes étaient désormais inutiles. D'autre part on avait proclamé le principe de la non-intervention! L'Autriche semblait enchaînée à ce principe..... J'interrogeai ma conscience, et je crus y lire que puisqu'une révolution était inévitable, il fallait la rendre utile, et qu'il était de mon devoir, avant tout, de me montrer citoyen. Je consentis donc à donner des conseils aux conspirateurs, et à m'entendre avec quelques hommes de bien et de cœur, qui jouissaient de la confiance du pays; mais cette révolution fut rendue inutile par les événemens, qui dévancèrent toute prévision et tout arrangement préalable.

Le 4 février, la nouvelle se répandit à Bologne qu'un mouvement venait d'éclater à Modène. Personne ne pouvait dire s'il avait réussi. La ville, à ce que l'on racontait, était fermée, et l'on s'y battait dans les rues; on entendait gronder le canon et retentir la fusillade. Quelques personnes envoyées à la hâte ne rapportaient que des nouvelles contradictoires ou incertaines. Le fait est que, dans la nuit du 3, le duc avait surpris trente-deux conjurés dans la maison de Menotti. Un engagement avait eu lieu; quelques pièces d'artillerie avaient joué. Le pauvre Menotti, blessé à l'épaule, avait, dit-on, deux fois crié en vain des fenêtres au duc encourageant les siens au feu, qu'on était là pour le faire roi d'Italie, d'après leurs anciennes con

ventions. Tous furent pris, garottés, renfermés dans des cachols pour y attendre la mort...

Le sacré Collège était alors rassemblé au conclave pour nommer un successeur à Pie VIII. Au lieu du cardinal Bernetti, nous avions à Bologne, avec le titre de prolégat, monsignor Paracciani Clarelli, homme de bien, et rien de plus. La peur s'empara de lui; il s'entoura des hommes de la police, qui lui exagérèrent le danger. Il fit appeler MM. Barbieri et Bentivoglio, qui commandaient la troupe, et il les trouva convaincus de leur impuissance. Dans la réalité, il n'y avait rien d'arrêté pour une révolution aussi imminente, qu'il avait l'air de la craindre; mais la frayeur lui tenait lieu de révolution. Eploré, éperdu, il convoqua les notabilités patriciennes de la ville, comme pour se protéger de leur crédit et de leur influence. Une petite assemblée de huit personnes entendit donc le récit naïf de ses inquiétudes (1). Mieux aurait valu pour lui de s'en abstenir. Tous étaient persuadés dans l'assemblée que le gouvernement papal n'avait aucune chance de salut. Tous désiraient un changement. Les opinions différaient seulement en cela, que les uns voulaient la révolution, telle que l'époque la suggérait; les autres rêvaient, je crois, la résurrection de l'ancienne république de Bologne et de son oligarchie nobiliairc. Ainsi nul conseil ne fut donné au prolégat, mais on lui représenta que, dans une affaire aussi grave, il ne fallait pas interroger une seule classe de citoyens; on lui proposa de s'adjoindre d'autres conseillers, et l'on indiqua quelques noms populaires. Le pauvre abbé! il les supplia tous de revenir à la nuit tombante, et il envoya des invitations à huit autres personnes qu'on lui avait désignées d'avance! Je fus de ce nombre... Fallait-il donc le sacrifier

(1) Ce furent les marquis François Bevilacqua, sénateur de Bologne; Gérome Jappi, Paul Borelli Poggiolini, les comtes Philippe Bentivoglio, Charles Marescalchi, Charles Pepoli, Alexandre Agucchi, César Bianchetti.

TOME V. JUILLET 1835.

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à l'intérêt du pays? Nous le crûmes: la postérité nous jugera.

Il était sept heures du soir quand nous nous rendîmes à l'invitation qui nous avait été faite (1). Nous trouvâmes réunis, le prolégat, son secrétaire particulier, le chef de la police, l'assesseur criminel et les deux chefs militaires. Monseigneur parla le premier; l'homme de la police justifia les terreurs du prélat par ses rapports; l'assesseur parut partager les mêmes craintes; les deux commandans de la troupe protestèrent qu'ils n'auraient pas commandé le feu contre le peuple. On les pria tous de se retirer... Notre tour arriva, à nous autres conseillers, et, comme nous en étions déjà convenus, je pris la parole pour mes collègues, à peu près dans les termes suivans:

« Oui, commençai-je, une révolution s'apprête; elle va éclater mais il faut le dire, ce ne sont pas les Carbonari qui l'amènent, c'est le gouvernement lui-même. Après 12 années d'ordre, vous, gouvernement, sans doute sans le vouloir, mais bien certainement en le sachant, et sans y mettre obstacle, vous avez laissé partout s'établir le désordre, le gaspillage, l'absence à peu près totale de la légalité et de la justice. Il y a déjà dix-huit ans qu'on vous crie: réforme. Prières, avis, remontrances, rien ne vous a manqué, et rien n'a pu suffire. Maintenant le peuple a senti sa force, et il ne demande plus; car il s'apprête à commander. Votre position est déplorable; et il n'y a guère d'apparence que notre aide puisse la rendre moins difficile. Vous êtes aux abois et vous faites des promesses; mais le peuple sait déjà à quoi s'en tenir sur ce qu'on promet à l'heure du danger. Vous promettez, et vous, Monseigneur, vous n'en avez pas le pouvoir. Vous promettez pour un

(1) Nous étions quinze conseillers car aux personnes qui avaient assisté au conseil du matin on avait adjoint les avocats Antoine Sileuni, Antoine Ranolidi Pie Sarti; MM. Jean Biagi, Caiétan Ghedini, Dominique Maldini, et moi.

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