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dans la culture de la raison préférée à celle du sentiment, et dans l'éducation de l'esprit préférée à celle du cœur, ou vice versâ dans la préférence donnée au sentiment et au cœur sur la raison et sur l'esprit.

Dans un autre article, je tàcherai d'expliquer pourquoi et comment toutes ces causes morales agissent de notre temps d'une manière tout-à-fait contraire à ce qui se passait à l'époque des républiques populaires de l'Italie.

MAMIANI DELLA ROVERE.

UN MOT SUR LE PRINCIPE DE LA DIPLOMATIE.

La diplomatie jouit d'une mauvaise réputation; les hommes employés dans les négociations, soit ambassadeurs, soit ministres, envoyés, attachés, consuls, agens secrets ou accrédités, avec leur entourage de journaux salariés, leurs pamphlétaires et leurs espions, coûtent immensement plus qu'ils ne valent; et pour quelques individus d'un caractère sans tache, engagés dans d'honorables négociations, combien d'autres ne sont que les instrumens avides des plus dangereuses combinaisons! Les actes répondent bien à la renommée des acteurs; ils sacrifient l'inexpérience à la ruse, et livrent le faible au fort, sans aucune considération pour la justice de la question à décider; et pourtant presque aucune tentative n'a été faite pour remplacer un mauvais système par un meilleur, ni même pour préparer cette amélioration en exposant courageusement le mal du système existant.

Malgré les efforts de quelques écrivains honorables pour amener un meilleur ordre de choses, toutes les nations, sans exception, suivent aujourd'hui, avec une remarquable

fidélité, les anciens erremens dans leurs relations diplomatiques; toutes emploient la fraude ou la corruption pour attaquer ou pour se défendre; du moins, toutes, en conduisant secrètement leurs négociations, encouragent la fraude et la corruption.

Peut-être les gouvernemens ont modifié quelques unes des formes de leur perfidie; mais la base des actes est toujours aussi corrompue. Les préliminaires de presque tous les traités, les premiers pas de tous les envahissemens sans exception, et les fonds secrets prodigués à un degré inconnu aux époques antérieures, prouvent la vérité de l'accusation.

Cette accusation dirigée contre la diplomatie est appuyée sur l'opinion des experts. Nous nous bornerons à invoquer celle d'un des hommes les plus distingués du corps diplomatique, dont on ne peut révoquer en doute la véracité. Voici ce qu'il dit relativement aux ambassades permanentes auprès des cours étrangères :

La diplomatie actuelle est une espèce d'escrime perpétuelle, où chaque combattant est occupé à nouer ou à dénouer des intrigues; à tendre ou à éviter; à chercher le côté faible de ses adversaires, ou à se défendre contre eux; où les armes dont le succès serait le plus infaillible et le plus sûr, sont celles dont on se sert le plus rarement, la droiture et la loyauté (1). ›

Les observations de M. Bignon sont frappantes de vérité, et c'est une question grave de savoir si un tel état de choses est une conséquence inévitable des rapports internationaux des empires. On nous permettra d'en douter, et le moyen d'éviter de tels scandales est, à notre avis, plus facile qu'on ne pense. Ce moyen de donner de la bonne foi aux négociations diplomatiques, c'est d'y introduire une publicité, autant que possible, complète.

(1) Histoire de France, par Bignon, t. 1. p. xx.

Actuellement, la fourberie n'est pas plus la spécialité d'un diplomate que le secret. On prétend qu'il est immoral d'égarer l'esprit public par des versions fausses pendant la durée des négociations, et il y a tel pays où la loi punit sévèrement, et avec raison, les gens qui exploitent les mouvemens de bourses par des bruits faux; mais par une inconséquence remarquable, la première cause de tout le mal, le secret dans les négociations, est autorisé partout.

En Europe, on permet même des traités clandestins qui peuvent troubler la paix du monde entier. Des sommes immenses ont été dépensées pour obtenir connaissance de ces négociations et de ces traités; puis, lorsqu'on les a eu achetés, on n'en a pu faire usage parce qu'on les avait obtenus par des moyens tellement scandaleux, qu'on n'a même pas osé avouer qu'on avait connaissance de leur existence. Il s'ensuit que les gouvernemens commettent les fautes les plus graves contre leurs propres intérêts et contre les intérêts des peuples, seulement par la connaissance imparfaite des faits.

Au Nouveau-Monde, où les anciens vices dominent encore, la doctrine sur le secret qu'on y croit indispensable au succès des négociations, repose sur les principes que M. Bignon a flétris.

< Dans la confection des traités, dit le juge Story, le secret et la promptitude sont toujours nécessaires et quelquefois indispensables; on apprend souvent, et on mûrit en secret des mesures qu'on ne pourrait suivre sans la certitude du plus profond mystère. Tout homme ayant quelque connaissance en diplomatie, sait ou a dû sentir que le succès des négociations dépend aussi souvent du soin avec lequel on les cache au peuple, que de leur justice ou de leur utilité. Dans le particulier, les hommes expriment des opinions, donnent des communications, et assument une responsabilité qu'ils n'avoueraient publiquement qu'avec la plus grande répugnance, et d'un autre côté les intrigues des puissances étrangères peuvent entraver les négociations, si elles apprennent

qu'on les a entamées, et si elles en connaissent le but et la portée (1).

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Cependant, tous les ans on demande, dans quelques uns des corps-législatifs des États-Unis, que le secret diplomatique soit resserré dans des limites de plus en plus étroites ; et il paraît probable que ce peuple, vraiment maître chez lui, choisira bientôt la publicité avec son petit nombre d'inconvéniens, plutôt que de souffrir plus long-temps les maux du secret. Différez le paiement des 25 millions, non pas qu'on veuille prétendre qu'ils ne sont pas dus, mais parce que le délai antérieur a envenimé les négociations, et le peuple roi réfléchira que la conviction de son bon droit aurait été établie il y a longues années, si la question avait été mieux comprise; et que tout le monde aurait compris la question et en aurait écarté des malentendus, si toutes les négociations avaient été publiques.

La portée de la question une fois appréciée aux ÉtatsUnis, les convenances, dont on s'occupe en Europe plus que des droits fondamentaux, ou des intérêts des peuples, auront peu d'influence sur la décision américaine. Cette décision sera favorable à une publicité suivie et complète.

Leibnitz fut le premier qui signala les inconvéniens du secret dans les relations diplomatiques; il les indiqua, mais sous un point de vue limité. Leibnitz observa avec raison que lorsque l'imprimerie eut mis à nu les erreurs ou la corruption des écrivains, les documens officiels devinrent des parties essentielles de l'histoire.

‹ La publicité des documens, dit-il, est nécessaire pour dévoiler la duplicité des hommes d'État, la vérité de l'histoire, et surtout les lois des nations. De même que, dans les procès, il se passe souvent entre les parties et le juge des choses dont on ne fait pas procès-verbal, et qu'alors les

(1) Commentaires sur la constitution des États-Unis, par James Story. tom. 3. p. 357. 1833.

charmes d'une femme ou de l'or l'emportent sur la vérité et sur le droit, de même, dans les affaires d'État, des circonstances secrètes, que le grand jour de la publicité annulerait, exercent la plus grande influence. Une fausse rumeur pousse souvent les hommes à des mesures inspirées par une soif de vengeance, et dont ils rougissent bientôt, et des hommes vraiment grands sont ainsi excités à commettre des actes indignes des circonstances, afin d'éviter des imputations auxquelles on peut à peine attribuer une source intelligente. Des motifs pires encore ont causé toutes les horreurs de la guerre. Une insomnie d'un roi, le caprice d'une femme faible, ou l'ambition d'un ministre; des écrivains politiques font même les hommes plus mauvais qu'ils ne sont; ils inventent des faits qu'ils annoncent comme vrais, et les antipathies nationales promulguent ces calomnies. Il y a des exemples des plus étonnantes imputations contre les souverains et les ministres de différens pays, et qui ne peuvent se maintenir que par la plus absurde crédulité. Il est certain que l'histoire doit toujours être infidèle tant qu'elle n'aura pas pour base les mémoires des grands hommes d'État ou les documens publics; et l'imprimerie a, de nos jours, facilité la publication de ces documens audelà de tout ce que les anciens ont jamais pu faire pour cela (1).

A cet égard, l'Europe n'a pas fait un seul pas au-delà du but que Leibnitz signalait au xvn siècle. Il est vrai qu'on imprime toujours assez pour faire comprendre les bienfaits d'une publicité complète; mais on s'arrête là; et c'est par hasard qu'on imprime, mais nullement par principe ou par système. La vanité des héritiers, l'avidité des éditeurs, la haine des partis, donnent de temps en temps des renseignemens tronqués, qui, présentés aux peuples au moment des éyènemens, auraient facilité leur bonne marche.

(1) Codex gentium. Ed. génér. 1768, 4°. Tom. 4. p. 3.

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