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dernier ressort; il faut même décider, que tant que les délais pour prendre ces voies extraordinaires ne seront pas expirés, la prescription ne pourra pas courir; car est-il plus certain, durant ces délais, que le jugement qu'on a obtenu ne sera pas annulle? Mais de là il résulte que jamais en cette matière la prescription ne pourra être invoquée; car un jugement peut toujours être attaqué par quelque voie extraordinaire : rien n'empêche, par exemple, qu'après trente ou quarante ans, un jugement ne soit encore réformé, sur requête civile, soit parce qu'il est fondé sur des pièces qui depuis sont reconnues fausses, soit parce qu'on découvre des pièces déci sives qui étaient retenues par son adversaire.

La dame Mareille a dit, en second lieu, que la prescription établie par l'art. 61 de la loi de frimaire, ne pouvait être acquise que lorsqu'il n'y avait eu aucune instance, aucune, procédure; que le pourvoi de la régie contre le jugement de l'an 13, était une véritable instance, et que, sous ce nouveau rapport, le pourvoi avait interrompu le cours de la prescription.

Mais la dame Mareille tombe évidemment ici dans un cercle vicieux. Si le pourvoi de la régie n'a pas suspendu les délais dans lesquels la dame Mareille devait exécuter le jugement qu'elle avait obtenu, c'est-à-dire dans lesquels elle devait donner suite à son instance, comment pourrait-elle se prévaloir de ce même pourvoi, comme étant une instance qui ait interrompu le cours de la prescription? N'est-il pas évident que si le recours en cassation ne suspend point les délais prescrits pour exécuter un jugement ou continuer des poursuites, c'est parce que les procédures et les actes qui sont faits devant la Cour de cassation, sont en quelque sorte étrangers à l'instance, sur le fond de la contestation? Dès-lors, il est visible que ces actes, que ces procédures ne remplacent point les poursuites qu'on devait continuer sur le fond du procès, et qu'ils n'interrompent point le cours de la prescription.

Et remarquez encore qu'on raisonne ici dans l'hypothèse où il y aurait eu devant la Cour de cassation une véritable instance, c'est-à-dire où le pourvoi porté devant la section civile serait devenu l'objet d'une discussion contradictoire; mais il n'en est point ainsi dans l'espèce actuelle. Le pourvoi de la régie a été rejeté par la section des requêtes, et dès-lors il n'y a pas eu véritablement d'instance devant la Cour de cassation. La dame Mareille n'a point été assiguée pour y paraître; il n'y a pas eu d'autres actes que la requête présentée par la régie et l'arrêt qui l'a rejetée, et ces actes n'ont point été signifiés; ils sont même censés être ignorés de la dame Mareille; comment donc cette dame pourrait-elle se prévaloir de semblables actes, d'une semblable instance, comme ayant interrompu le cours de la prescription?

La défenderesse a répondu à ces moyens, par les motifs du jugement dénoncé, en ajoutant que la loi n'avait permis d'exécuter les condamnations judiciaires, malgré le pourvoi en cassation, qu'afin d'empêcher qu'on eût recours à cette voie, dans l'unique dessein d'arrêter l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt; qu'en autorisant cette exécution provisoire, la loi avait voulu accorder à la partie qui avait pour elle l'autorité de la chose jugée,

une faveur à laquelle elle était libre de renoncer; qu'ainsi, la dame Mareille ne pouvait avoir encouru aucune déchéance pour n'avoir pas fait usage d'un droit purement facultatif; que, d'après une règle constante, ce qui est établi en faveur de quelqu'un, ne peut pas être invoqué contre lui. Quod in favorem ali cujus introductum est contra eum retorqueri non potest.

ARRÊT.

LA COUR,-sur les conclusions de M. Cahier, avocat général, et après un délibéré en la chambre du conseil; -Vu l'art. 61 de la loi du 22 frimaire an 7;-ATTENDU que l'article cité déclare non recevables, en matière d'enregistrement, les poursuites qui ont été discontinuées pendant une année, sans qu'il y ait d'instance devant les juges compétens, et que le pourvoi en cassation n'établit pas une instance proprement dite, tant que la section civile n'a pas été saisie; d'où il suit que le pourvoi de l'administration, dans l'espèce, ayant été rejeté par la section des requêtes, ne pouvait interrompre le cours de la prescription; que cependant c'est sur le seul motif que le pourvoi en cassation de l'administration avait interrompu la prescription, que le tribunal du Vigan a refusé de prendre égard à la fin de non recevoir, qui était opposée; quoi faisant, il a ouvertement violé l'art. 61 de la loi du 22 frimaire an 7; -CASSE, etc.

Du 13 novembre 1815. Section civile.-M. Brisson, président.M. le conseiller Carnot, rapporteur.-MM. Mathias et Huart-du-Parc,

avocats.

JURIDICTION. DEMANDE EN RENVOI.
RENVOI. FRANÇAIS.

CASSATION.

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Un Français qui a commencé contre un Français une instance devant un tribunal de son pays, conserve-t-il le droit de faire prononcer sur sa demande par d'autres juges français, lorsque le pays où était situé le tribunal saisi de la contestation, vient à être détaché de la France ? Rés. aff,

Est-il nécessaire que le tribunal où l'instance doit être continuée, soit désigné par la Cour de cassation? Rés. aff.:

Jean-Benott Salignac, et Françoise Michaud, sa femme, étaient domiciliés à Lyon, lorsqu'en 1809 Salignac se rendit à Turin, et y fonda un établissement de commerce. Françoise Michaud ne quitta pas Lyon."

En 1813, la dame Salignac intenta contre son mari, devant le tribunal de première instance de Turin, une demande en divorce, pour cause. d'adultère, d'injures graves et de mauvais traitemens.

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Par jugement du 24 novembre 1813, la demande en divorce fut admise; et par un second jugement du 1er décembre suivant, le tribunal de Turin ordonna à la dame Salignac de prouver, par témoins, les faits qu'elle articulait, et commit le tribunal de Lyon pour procéder à l'enquête.

Le 21 du même mois, la dame Salignac appela de ce dernier jugement devant la Cour d'appel de Turin, sur le fondement que les preuves écrites

qu'elle apportait à l'appui de sa demande étaient suffisantes, et que l'enquête ordonnée par le tribunal était inutile. Elle concluait, en conséquence, à ce que la Cour, réformant le jugement de première instance, l'autorisat à se présenter devant l'officier de l'état civil, pour faire prononcer son

divorce.

Avant que cet appel pût être jugé, le Piémont fut détaché de la France, et la Cour royale de Turin fut supprimée.

I

Françoise Michaud se crut autorisée, par cet événement, à porter son appellation devant la Cour royale de Lyon. Mais, le 8 août 1816, cette Cour rendit un arrêt en ces termes : « Considérant que le tribunal de première instance de Turin n'est point dans le ressort de la Cour royale de Lyon; que' les Cours royales ne peuvent connaître que des appels des jugemens des tribunaux de leur ressort; que la Cour royale de Lyon n'a d'ailleurs aucune attribution particulière qui lui permette de connaitre de l'appel dont il s'agit; la Cour délaisse les parties à se pourvoir ainsi et devant qui il appartiendra. >>

Par suite de cet arrêt, la dame Salignac s'est pourvue en réglement de juges devant la Cour de cassation, demandant 1.° que cette Cour désignât une Cour royale, devant laquelle la demanderesse pût porter son appellation, et 2.0 que la Cour suprême voulût bien faire tomber son choix sur la Cour royale de Lyon.ps

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Il est incontestable, disait la demanderesse à l'appui de son pourvoi, la demande en divorce formée contre le sieur Salignac, qui n'a pas que perdu la qualité de Français, doit rester soumise aux tribunaux de France, quoique le sieur Salignac ne réside plus aujourd'hui dans sa patrie..

L'art. 3 du Code civil décide que « les lois concernant l'état et la capacité des personnes, régissent les Français même résidant en pays étrangers.» Ainsi, d'après cet article, les questions relatives à l'état d'un Français qui se trouve hors de France, doivent être décidées suivant les lois françaises; et par une conséquence nécessairel, c'est par les tribunaux français que ces questions doivent être jugées. Comment en effet les lois françaises pourraient elles être appliquées par les tribunaux étrangers?

L'art. 14 du Code civil n'est pas moins positif. Cet article porte que « l'étranger même non résidant en France, pourra être cité devant les >> tribunaux français pour l'exécution des obligations par lui contractées en »France avec un Français. » Or, si un étranger qui s'est obligé envers un Français est justiciable des tribunaux de France, quoiqu'il n'habite point. le territoire français, à plus forte raison un Français, hors de France, est-il soumis à la même juridiction pour les engagemens qu'il a pris envers un autre Français.

1. On trouve encore une disposition plus formelle dans l'art. 15 du même Code. Cet article, sans distinguer si le Francais est, ou non, domicilié en France, décidé qu'il « pourra être traduit devant un tribunal de France pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger.»

Or quand cet article permet qu'un Français soit assigné devant les tri

bunaux de son pays, MEME par un étranger et pour des obligations contractées en pays étrangers, peut-on en conclure que ce même Français ne puisse pas y être traduit par un autre Français, et pour des obligations contractées dans son pays? La loi, en disant qu'elle accorde méme à un étranger le droit dont il est parlé dans l'art. 15, ne décide-t-elle pas par là même que ce droit appartient incontestablement à un Français ?

Il est vrai que les articles 14 et 15, qui viennent d'être cités, ne parlent que d'actions relatives à des obligations, et non de celles qui concernent l'état des personnes. Mais toutes les demandes qui peuvent être formées contre quelqu'un à raison de son état, ont pour base un engagement personnel. Ainsi, dans l'espèce actuelle, la demande en divorce formée par la dame Salignac a pour fondement les obligations personnelles que son mari a contractées à son égard lors de son mariage.

On opposerait en vain aux articles qui viennent d'être invoqués, l'article 59 du Code de procédure qui porte que, « en matière personnelle, le défendeur sera assigné devant le tribunal de son domicile.».

Cet article ne peut évidemment que régler la compétence des tribunaux français; il ne peut être invoqué que lorsqu'il s'agit de savoir à quel tribunal de France un défendeur doit être assigné, et nullement quand il s'agit de décider si un individu est, ou non, justiciable des tribunaux français. Cette dernière question ne peut être jugée que d'après les principes établis par le Code civil.

Dans l'espèce actuelle, il ne s'agit pas précisément, à la vérité, d'une action à intenter par un Français contre un Français résidant en pays étran ger; il s'agit de savoir si des poursuites commencées devant un tribunal français dont le ressort est cédé à l'étranger, doivent être continuées devant un autre tribunal français. Mais il est évident que cette question tient uniquement à celle de savoir si les parties, après la nouvelle délimitation des territoires, sont encore soumises à la juridiction des tribunaux de France; car si les parties ne cessent point alors d'être sujettes à cette juridiction, comment les tribunaux étrangers pourraient-ils s'attribuer la connaissance d'une affaire, uniquement parce que le pays où elle a été commencée. devient étranger, et qu'ils remplacent les juges qui en étaient saisis? N'estpas évident, au contraire, que le droit d'être jugé par des magistrats francais est indépendant de la suppression de la Cour ou du tribunal auquel on s'était adressé, Or si, dans l'espèce présente, il n'est pas douteux qu'en formant une action nouvelle, la demanderesse pourrait assigner le sieur Salignac devant un tribunal français, à plus forte raison le peut-elle pour continuer une instance qui a déjà été instruite suivant les lois françaises et devant un tribunal français.

il

Il ne s'agit donc aujourd'hui que de savoir quelle est la Cour royale devant laquelle la dame Salignac devra porter son appellation. C'est avec raison, que la Cour royale de Lyon a refusé de s'en attribuer la connaissance; car sans une commission particulière de l'autorité supérieure, la Cour royale de Lyon, ni aucune autre Cour royale de France, n'a le droit de prononcer sur un appel qui devait être jugé par la Cour de Turin. Or l'autorité supérieure

qui doit autoriser une Cour royale à statuer sur cet appel, ne peut être que

la Cour de cassation.

L'article 2 de la loi du 1.er décembre 1790, donne à la Cour de cassation le droit de prononcer sur les demandes en renvoi fondées sur un empêchement relatif de la Cour, naturellement compétente, tel que la suspicion légitime ou la sûreté publique. A plus forte raison cette loi autoriset-elle la Cour suprême à prononcer sur un renvoi dont la cause est une impossibilité absolue de plaider devant les juges naturels. Ici, l'objet de la demande adressée à la Cour souveraine, est le même que dans les cas qui sont exprimés dans la loi, c'est toujours d'autoriser un tribunal ou une Cour royale à prononcer sur une contestation qui est étrangère à sa juridiction; seulement le motif de la demande est bien plus puissant, puisqu'il consiste dans l'empêchement absolu, dans l'anéantissement de la Cour qui serait compétente.

Quant à la désignation de la Cour de Lyon, demandée par la dame Salignac, elle est fondée, 1.o sur ce que cette Cour est la plus voisine de celle qui se trouve supprimée; 2.o sur ce que les parties ont eu leur premier domicile à Lyon, qu'elles y ont conservé leurs relations habituelles et leurs familles, et que dans un pays où elles sont connues, leurs intérêts seront discutés avec plus de soin, et les juges seront plus à portée d'être éclairés sur les

faits.

ARRÊT.

LA COUR,-sur les conclusions de M. Joubert, avocat général; ATTENDU que l'action portée devant le tribunal de première instance de Turin, alors tribunal français, concernait l'état des personnes de la dame Michaud, et de Salignac son mari; qu'en portant ainsi son action devant un tribunal soumis aux lois françaises, la demanderesse n'a point renoncé au bénéfice conservé pour les Français, par les articles 14 et 15 du Code civil, celui d'être jugé, quant à son état, par les lois françaises, et d'être jugé par les tribunaux français sur des obligations contractées en France avec des Français; que les changemens politiques survenus depuis l'appel interjeté par la demanderesse, n'ont pu, ni détruire les effets de toute procédure et jugement régulièrement rendus sous l'empire des lois françaises, ni priver les parties du second degré de juridiction devant une Cour française; ATTENDU que le domicile originaire ou actuel des parties, est placé dans l'étendue du territoire de la Cour royale de Lyon, et qu'en cas de nécessité de recourir de nouveau à un tribunal de première instance, les parties ne pourraient être renvoyées devant un tribunal devenu étranger à la France, sur une action susceptible de l'application des lois françaises; Faisant droit sur la requête de Françoise Michaud, femme Salignac, demeurant à Lyon, ordonne que, sur l'appel interjeté par la requérante du jugement rendu par le tribunal de l'arrondissement de Turin, le 1. décembre 1813, les parties procéderont devant la Cour royale de Lyon, qui désignera, s'il y a lieu, le tribunal de première instance devant lequel les parties devront être renvoyées, sauf nouvel appel; attribuant à cet effet à ladite Cour royale de Lyon, toute juridiction.

Du 5 décembre 1815.

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Section des requêtes. M. le baron Henrionde-Pensey, président. M. le conseiller Pinson de Ménerville, rapporteur. M. Duclos, avocat.

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N.o I.-Année 1816.

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