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Sans expliquer l'origine des droits de propriété respectifs, il suffira de dire que le sieur Boutin avait dans ces moulins ving-trois trente-deuxièmes, et que les neuf autres trente-deuxièmes appartenaient à ses enfans. Il déclara par erreur dans le contrat, que ceux-ci étaient seulement propriétaires pour un quart, et il fut stipulé que le prix serait, jusqu'à concurrence de ce quart, employé en acquisition d'immeubles à leur profit.

Peu de temps après cette vente, la dame Boutin mourut, et alors ses enfans, indépendamment de leurs droits comme co-propriétaires, eurent à réclamer sur la portion du prix revenant à leur père, les créances résultant du contrat de mariage de leur mère, lesquelles s'élevaient à 4000 fr.

Les moulins vendus étaient grevés de plusieurs inscriptions contre le sieur Boutin. Celui-ci, qui voulait épargner les frais d'un ordre en justice convoqua son acquéreur et ses créanciers, chez un notaire, pour régler à l'amiable la distribution du prix. C'est ce qui fut fait par un traité du 20 ther

midor an 12.

Cet acte, rédigé sous la forme de procès-verbal, contient d'abord une déclaration du sieur Boutin, par laquelle il explique le motif de la convo

cation.

Immédiatement après comparait le sieur Connelet, acquéreur, qui, après avoir fait transcrire son contrat et levé l'état des inscriptions, se proposait de purger suivant la loi. Il requiert acte de ce qu'il consent à ce que le notaire fasse l'ordre à l'amiable entre les créanciers inscrits, et de ce qu'il offre de payer d'après l'ordre établi aux termes et échéances de son contrat, moyennant subrogation aux droits des créanciers colloqués, qui lui donneront titre suffisant pour faire rayer leurs inscriptions, se réservant expressément, dans le cas où l'ordre n'aurait pas lieu ou ne comprendrait pas tous les créanciers inscrits, la faculté que la loi lui accorde de faire notifier son contrat, la transcription et l'extrait des inscriptions.

Les créanciers se présentent ensuite, et chacun, dans les mêmes termes, demande acte de ce qu'il consent à s'en rapporter au notaire pour la confection de l'ordre, à condition qu'il sera colloqué par privilége et préférence à tous créanciers, dans l'ordre de ses titres.

Enfin, le sieur Boutin, en sa qualité de tuteur de ses enfans mineurs, consent qu'ils ne soient colloqués qu'en dernier rang pour les 4000 fr. à eux dus, suivant le contrat de mariage de leur mère. Après toutes ces comparutions, le notaire acceptant les pouvoirs qui lui étaient dounés par Boutin et par ses créanciers comparans, et après distraction préalable d'un quart du prix au profit des mineurs Boutin, fit la distribution du surplus, sans comprendre dans l'ordre la créance de ces mêmes mineurs, dont il se borna à réserver les droits vis-à-vis de leur père.

Le sieur Daniel, l'un des créanciers, était colloqué à trois rangs différens, suivant les dates de ses inscriptions; savoir: au troisième, pour 1,207 fr.; au cinquième, pour 1,913 fr., et au neuvième, pour 5,637 fr.

Personne n'ayant reclamé, l'acquéreur paya les créanciers d'après l'ordre. de leurs collocations respectives. Ceux-ci lui remirent leurs titres, et consentirent la radiation de leurs inscriptions.

Tout était terminé depuis deux ans, lorsque la famille des mineurs Boutin s'aperçut que leur père avait compromis leurs intérêts en dissimulant une partie de leur droit de propriété, et en consentant que les autres créanciers fussent payés avant eux.

Les parens s'assemblèrent; le sieur Boutin se démit de la tutelle, et on élut à sa place le sieur Cornet, qui fut chargé de suivre le réglement des droits des mineurs, et le recouvrement de leur créance.

Ce nouveau tuteur, après avoir renoncé, pour les mineurs, à la communauté qui avait existé entre leur mère et le sieur Boutin, obtint d'abord contre celui-ci, une condamnation au paiement des sommes qu'il devait à ses enfans.

Il se pourvut ensuite contre le sieur Connelet, acquéreur, et demanda qu'il eût à lui notifier son contrat d'acquisition, et l'état des charges bypothécaires dont les immeubles vendus étaient grevés.

Sur les exceptions du sieur Connelet, il fut rendu, le 13 janvier 1809, un' premier jugement, qui ordonna la mise en cause des créanciers auxquels le prix avait été payé, en vertu de l'ordre amiable du 20 thermidor an 12.

Le 6 avril 1810, intervint un second jugement qui annulla cet ordre, ordonna qu'il en serait fait un nouveau, et nomma un commissaire pour procéder à cette opération.

Les parties ayant été renvoyées à l'audience sur leurs contestations respectives, il y fut statué par un jugement définitif du 31 août 1810.

Le tribunal considéra que plusieurs créanciers, du nombre desquels était le sieur Daniel, avaient été colloqués par erreur dans l'ordre du 20 thermidor an 12, parce que les mineurs Boutin y avaient été omis; que cet ordre ayant été annulé en faveur de ces mineurs, il ne pouvait et n'avait jamais pu produire aucun effet au profit de ceux qui ne devaient pas y être colloqués; qu'à cet égard les parties devaient être remises en l'état où elles auraient été si la collocation des mineurs Boutin avait eu lieu, et qu'ainsi ceux qui avaient touché des sommes pour lesquelles ils n'auraient pas dû être colloqués en ordre utile, devaient les rapporter.

En conséquence, il colloqua les mineurs au rang qui leur appartenait, et maintint ensuite la collocation de plusieurs créances, suivant l'ordre réglé par l'acte du 20 thermidor an 12.

Parmi les créances, il s'en trouvait deux appartenant au sieur Daniel, l'une de 1,207 fr., et l'autre de 1,913 fr.

Le tribunal, arrivé à la troisième créance du sieur Daniel, reconnut qu'il ne restait plus à distribuer que 1,329 fr., et qu'ainsi ce créancier ayant reçu 5,637 fr., en vertu du procès-verbal du 20 thermidor an 12, devait rapporter l'excédant; il le condamna, en conséquence, à rapporter 4,308 fr.; il prononça ensuite des condamnations semblables contre d'autres créanciers colloqués dans le même procès-verbal, après le sieur Daniel.

Celui-ci a seul interjeté appel de ce jugement, qui a été confirmé par la Cour de Metz, le 16 juillet 1812.

Le sieur Daniel s'est pourvu en cassation. Il présentait d'abord les deux

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moyens que nous avons exposés en rapportant l'arrêt précédent; le premier, fondé sur ce que l'acquéreur n'avait point payé par erreur, mais volontai rement et à ses risques; le second, sur ce que les titres avaient été remis, et les inscriptions rayées.

Une circonstance particulière à l'espèce donnait, suivant lui, à ce dernier moyen, un nouveau degré de solidité. Deux des inscriptions par lui prises étaient irrégulières à défaut d'énonciation de l'époque d'exigibilité. Etant désintéressé, il ne les avait point fait rectifier dans les délais prescrits par la loi du 4 septembre 1807, et l'acquéreur subrogé à ses droits avait également négligé de faire faire cette rectification; en sorte que ces inscriptions se trouvant actuellement inefficaces, il était impossible de le replacer dans la position où il était lors du paiement, et par conséquent de l'obliger à rendre ce qu'il avait reçu,

Mais cette observation portait à faux, car les créances pour sûreté des quelles les deux inscriptions irrégulières avaient été prises, étant précisément celles dont la collocation se trouvait maintenue, le sieur Daniel ne souffrait aucun préjudice de ce que la rectification n'avait

pas eu lieu. Le demandeur ajoutait un autre moyen, qu'il faisait consister dans une violation des articles 2167 et 2169 du Code civil.

Aux termes de l'article 2167, disait-il, si le tiers détenteur ne remplit pas les formalités établies par la loi pour purger sa propriété, il demeure, par l'effet seul des inscriptions, oblige, comme détenteur, à toutes les dettes hypothécaires, et jouit des termes et délais accordés au débiteur originaire,

Suivant l'art. 2169, faute par le tiers détenteur de payer, dans le mème cas, toutes les dettes exigibles, ou de délaisser l'immeuble hypothéqué, chaque créancier hypothécaire a droit de faire vendre cet immeuble sur lui trente jours après commandement fait au débiteur originaire, et sommation faite au tiers détenteur de payer ou de délaisser.

La marche à suivre pour purger les hypothèques est tracée par les art. 2181, 2183, 2184 et 2185. Il faut d'abord faire transcrire le contrat, et ensuite le notifier aux créanciers inscrits, avec offre d'acquitter toutes les charges hypothécaires, jusqu'à concurrence du prix.

Or, dans l'espèce, l'acquéreur n'a point fait cette notification; il n'a donc point purgé, il était donc obligé envers moi comme détenteur, et cependant l'arrêt attaqué, tout en me forçant à rapporter ce qui m'avait été payé, a déclaré l'immeuble affranchi de mon hypothèque. C'est là évidemment une contravention formelle aux articles 2167 et 2169,

Pour donner plus de force à ce moyen, le demandeur supposait que le défaut de notification du contrat, et la confection de l'acte du 20 thermidor an 12, étaient le résultat d'un concert formé entre le vendeur et l'acquéreur, au préjudice des créanciers, pour empêcher ceux-ci de surenchérir, et que lui et les autres créanciers n'avaient renoncé à l'exercice de ce droit et consenti à la distribution amiable, que sous la condition qu'ils seraient payés de la totalité de leurs créances.

Le sieur Daniel, répondait le défendeur, n'est point recevable à exciper

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de ce que le contrat n'a pas été notifié. Il a été partie dans un acte par lequel il a été fourni aux créanciers toutes les notions que cette notification a pour objet de leur donner. Ils ont eu connaissance, et du contrat et de la transcription, et de l'état des inscriptions. L'acquéreur a offert, en leur présence, de payer son prix suivant l'ordre qui serait établi; il s'est expres sément réservé de notifier son contrat, dans le cas où l'ordre n'aurait point lieu ou ne comprendrait pas tous les créanciers. Certainement l'intention de purger ne pouvait être plus positivement manifestée..

Rien n'a empêché le sieur Daniel de surenchérir. Il ne peut s'en prendre qu'à lui si, dans l'opinion que le prix suffirait pour payer toutes les créances, n'a point usé de cette faculté.

Depuis, il a été assigné pour voir faire la distribution en justice; elle a eu lieu contradictoirement avec lui; s'il n'a pas été payé en totalité, c'est uniquement parce que le prix s'est trouvé insuffisant; les hypothèques ont donc été légalement purgées, et les dispositions des art. 2167 et 2169 n'ont pu recevoir ici leur application.

ARRET.

LA COUR, après un délibéré en la chambre du conseil, et sur les conclusions de M. Joubert, avocat général; CONSIDÉRANT que l'ordre amiable du 20 thermidor an 12 n'a nullement été provoqué par Connelet, mais par le vendeur Boutin; que les créanciers, et particulièrement Daniel, ont consenti à s'en rapporter au notaire pour la confection de l'ordre; en sorte que ce notaire a agi comme leur mandataire; que si dans sa comparution chaque créancier a demandé à être payé de tout ce qui lui était dû, par privilége et préférence aux autres créanciers, chacun a ajouté, dans l'ordre de ses titres, ce qui détermine leur consentement commun à un ordre véritable, à une simple distribution de prix, suivant le rang qui pouvait appartenir à chacun, et autant que ce prix pourrait suffire; que Connelet a été étranger à l'ordre amiable, et qu'il n'y a pris aucune part; que les tribunaux auxquels il a appartenu d'apprécier et d'interpréter l'acte du 20 thermidor an 12, en ont conclu, avec justice, qu'il est impossible d'admettre que Connelet ait payé volontairement et à ses risques; que Daniel a eu toute faculté de surenchérir, et qu'il n'en a point usé; que la distribution du prix a été faite en justice contradictoirement avec Daniel; que si celui-ci n'est pas venu en ordre utile pour la totalité de ses créances, c'est uniquement parce que le prix était insuffisaut; d'où il résulte que l'arrêt n'est point contrevenu aux articles 2167 et 2169 du Code civil; CONSIDÉRANT de plus, qne Daniel a été utilement colloqué pour ses deux créances, dont les inscriptions pouvaient être critiquées, mais ne l'ont point été; que l'inscription de la troisième créance, à raison de laquelle Daniel n'a été utilement colloqué que pour une partie, est régulière, et qu'ainsi ses titres pour cette créance n'ont rien perdu de leur valeur par suite du paiement qui lui avait été fait par erreur; d'où résulte que l'arrêt n'est point contrevenu à l'article 1377 du Code civil; —REJETTE.

Du 31 janvier 1815.-Section civile.-M. le comte Muraire, premier président M. le conseiller Gandon, rapporteur.-MM. Billout et Darrieux, avocats.

INSCRIPTION HYPOTHÉCAIRE. BIENS HYPOTHÉQUÉS. — NATURE.

-INDICATION.

Dire, dans un bordereau d'inscription, que l'immeuble hypothéqué est UN DOMAINE OU BIEN DE CAMPAGNE portant tel nom et situé dans telle commune, est-ce désigner suffisamment la nature et l'espèce de cet immeuble dans le sens des articles 4 et 17 de la loi du 11 brumaire an 7, et 2129 et 2148 du Code civil? Rés. nég.

L'inscription prise sur un domaine situé dans une contrée où il y a des biens ruraux de différente nature, doit-elle, à peine de nullité, énoncer celle des fonds hypothéqués, c'est-à-dire exprimer que ce sont des terres labourables, prés, vignes, etc.? Rés. aff.

Par contrat du 4 vendémiaire an 8, le sieur Barre se reconnut débiteur envers le sieur Tourat d'une rente viagère de 3000 fr., à la sûreté de laquelle il affecta un domaine ou bien de campagne appelé BEAU, avec ses appartenances et dépendances, situé dans la commune de Cessac, canton de Quinsac, entre deux mers, arrondissement du bureau des hypothèques de Bordeaux.

Le 16 du même mois de vendémiaire, le sieur Tourat prit une inscription hypothécaire, dans laquelle les immeubles affectés à sa créance farent désignés comme ils l'étaient dans son contrat.

Le 25 floréal suivant, une autre inscription fut prise sur les mêmes biens par le sieur Dubergier.

Le domaine de Beau ayant depuis été vendu, il fut procédé à la distribution du prix,

Par procès-verbal du 6 mai 1814, le juge-commissaire colloqua provisoirement le sieur Tourat au premier rang des créanciers hypothécaires.

Cette collocation fut contestée par le sieur Dubergier, sur le fondement que l'inscription du sieur Tourat était nulle, faute de désignation de la nature et de l'espèce des biens hypothéqués.

:

Les parties ayant été renvoyées à l'audience, le tribunal de Bordeaux rendit, le 17 juin 1814, un jugement par lequel il déclara qu'il n'y avait lieu à comprendre dans l'ordre le sieur Tourat, et colloqua au premiér rang le sieur Dubergier « Attendu que la stipulation d'hypothèque et l'inscription prise par Tourat ne contiennent pas une désignation suffisante de l'immeuble hypothéqué à sa créance par Barre, en ce qu'elles indiquent uniquement la situation des fonds hypothéqués, mais non pas leur NATURE, laquelle est variée dans les mêmes communes, suivant la production à laquelle tels ou tels fonds se trouvent propres.->>

Appel par le sieur Tourat devant la Cour de Bordeaux, et le 17 août 1814, arrêt qui confirme le jugement,

La Cour, adoptant les motifs des premiers juges, a de plus considéré, « que dans l'arrondissement de Bordeaux, et particulièrement dans le canton dont le domaine de Beau fait partie, les biens ruraux sont de diffé

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