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'ment de domaine de Saint-Verand, et qu'ils ne sont pas même menacés d'une éviction présente. Par jugement du 10 mai 1808, l'échange est déclaré nul, et le sieur Pignard est condamné à rendre les fonds qui lui ont été cédés. Sur l'appel, arrêt confirmatif de la Cour d'appel de Lyon, du 10 mai 1808. Recours en cassation de la part du sieur Pignard, et le 16 janvier 1810, au rapport de M. Oudart, arrêt de la section des requêtes, qui rejette le pourvoi. (1)

Le défendeur, répondant à ces moyens, a soutenu d'abord que l'échange était régulier, même sans le secours de l'acte du 28 juin 1812. Il faut remarquer, disait-il, que le contrat d'échange est du 28 pluviose an 12, et que le titre du Code civil qui traite du contrat de mariage et des droits respectifs des époux, n'a été publié que le 20 février 1804, c'est-à-dire à une époque postérieure à l'échange. Les dispositions du Code civil relatives à l'échange d'un fonds dotal, ne peuvent donc pas être invoquées dans l'espèce actuelle. Or, d'après les lois romaines qui étaient en vigueur au moment du contrat, un mari avait le droit d'aliéner seul, et sans le concours de sa femme, un fonds dotal, lorsque ce fonds avait été estimé dans le contrat de mariage des époux : c'est une maxime en droit romain que dos estimata dos vendita. Le sieur Fresenon pouvait donc disposer seul du Pratrion, puisque, lors de ses conventions matrimoniales, cet héritage avait été estimé 500 fr.

Au surplus, quand le Code civil serait applicable à l'espèce actuelle, le demandeur n'en serait pas mieux fondé à se prévaloir de la nullité dont l'acte d'échange serait alors frappé. Le défaut de concours de la dame Fressenon dans cet acte, a été réparé par le consentement qu'elle y a donné dans l'acte du 28 juin 1812, et le seul vice qu'on peut lui trouver encore aujourd'hui, consiste dans l'inobservation des autres formalités prescrites par l'art. 1559. Mais ces formalités ne sont prescrites que dans l'intérêt de Ja femme, et par conséquent elle seule peut se prévaloir de leur inaccomplissement. L'art. 1125 ne laisse aucun doute sur ce point. « Les personnes capables de s'engager, porte cet article, ne peuvent opposer l'incapacité du mineur, de l'interdit ou de la femme mariée avec qui elles ont contracté. » Mais, admettons même que le demandeur ait le droit d'invoquer la nullité dont il s'agit, son action ne serait-elle pas du moins prématurée puisqu'il n'est pas troublé dans la jouissance de l'objet qui lui a été cédé ?

C'est un principe constant en droit, que, lors même qu'on est certain d'avoir acheté d'une personne une chose qui ne lui appartenait pas, on n'a aucune action contre elle tant qu'on ne souffre pas d'éviction. C'est la disposition de la loi 3, C, de evictionibus. Qui rem emit, porte cette loi, et post possidet, quamdiù evicta non est, auctorem suum propterea quod aliena, vel obligatares dicatur, convenire non potest.

D'après la nature même des choses, ce principe doit s'appliquer également à l'échange comme à la vente; d'ailleurs, l'art. 1707 du Code civil décide formellement que les mêmes règles sont applicables à ces deux espèces de contrats.

(1) Voyez ce Recueil, vol. de 1810, p. 152.

L'art. 1704 autorise, il est vrai, l'échangiste qui ne s'est pas dépouillé de sa propriété, à se refuser d'en faire la délivrance, lorsqu'il peut être évincé de la chose qu'il a reçue; mais ce n'est là qu'une exception au principe qui vient d'être établi; et cela est si vrai, qu'après avoir créé cette excep tion, le législateur rappelle dans l'article suivant la règle à laquelle il vient de déroger. « Le copermutant qui est évincé de la chose qu'il a reçue, porte l'art. 1705, a le choix de conclure à des dommages-intérêts, ou de répéter sa chose.» Ainsi, sans chercher les motifs de la disposition contenue dans l'art. 1704, il suffit que cette disposition soit une exception à la règle générale, pour qu'on doive la restreindre au seul cas qu'elle a prévu; et par conséquent le demandeur ayant livré sa chose, ne peut s'en prévaloir. ARRÊT.

LA COUR, sur les conclusions de M. Cahier, avocat général, et après un délibéré en la chambre du conseil; CONSIDÉRANT, 1.° que l'art. 1704 porte: « Si un des copermutans a déjà reçu la chose à lui donnée en échange, et qu'il prouve ensuite que l'autre contractant n'est pas propriétaire de cette chose, il ne peut être forcé à livrer celle qu'il a promise en contre-échange, mais seulement à rendre celle qu'il a reçue.. . . . . . . .»; qu'il est évident que Maysonnial ne peut exciper de cet article, puisqu'il a, depuis long-temps livré le terrein qu'il a promis en contre-échange, et que l'objet du procès n'est nullement de le forcer à livrer ce terrein, 2.o que l'échange du fonds dotal est nul, s'il est fait sans l'accomplissement des formalités prescrites par la loi; mais que cette nullité n'est établie que dans l'intérêt de la femme et de ses héritiers, et qu'ainsi l'art. 1560, par une conséquence de l'art. 1125, ne permet qu'à la femme, à ses héritiers et au mari de faire révoquer ces sortes d'aliénations; qu'ainsi il résulte également du texte et de l'esprit de la loi, que cette action en nullité n'est pas ouverte à celui qui a volontairement traité, avec le mari ou la femme, de l'échange d'un fonds dotal; REJETTE.

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Du 11 décembre 1815.-Section civile.-M. Brisson, président. M. le conseiller Zangiacomi, rapporteur. MM. Lassis et Barrot,

avocats.

FAILLITE-VÉRIFICATION DES CRÉANCES. PRÉSOMPTIONS.

Dans une faillite, une créance présentée à la vérification des syndics, peut-elle étre rejetée sur de simples présomptions humaines, quoiqu'elle soit fondée sur un titre ? Rés. aff.

Guillaume Pélicier, négociant à Alais, fit faillite en 1811.

Marie Deleuze demanda d'être comprise dans le passif de cette faillite, pour une somme de 43,759 francs, qu'elle réclamait en vertu de sept billets souscrits par le sieur Pélicier.

Les syndics contestèrent la sincérité de cette créance, et soutinrent qu'il n'était pas dû à la demoiselle Deleuze plus de 12,600 francs.

Le tribunal de commerce d'Alais, par jugement du 28 octobre 1812, décida en effet que la demoiselle Deleuze n'était pas créancière d'une plus forte somme que celle qui était reconnue par les syndics. Ce jugement. ne fut motivé que sur de simples présomptions humaines, mais graves et concordantes.

Le 23 novembre 1813, la Cour royale de Nismes, adoptant les motifs des premiers juges, confirma leur décision.

La demoiselle Deleuze s'est pourvue en cassation, pour excès de pouvoirs et violation de l'article 509 du Code de commerce.

En principe général, disait la demanderesse, un titre ne peut être détruit que par un autre titre; et l'on ne peut, ni par la preuve testimoniale, ni par des présomptions humaines, combattre la preuve qui' en résulte.

Ce principe est susceptible de plusieurs exceptions. Tantôt la loi permet d'opposer tout-à-la-fois à un acte, et la preuve par témoins et de simples présomptions, et tantòt elle permet seulement d'employer ou la preuve testinioniale ou les présomptions. Mais toutes ces exceptions étant des dérogations au droit commun, doivent être rigoureusement restreintes dans les bornes qui leur sont prescrites. Ainsi, quand la loi permet seulement de faire entendre des témoins contre le contenu d'un acte, on n'en peut pas conclure que cet acte peut être détruit par de simples présomptions.

Dans l'espèce actuelle, la preuve testimoniale pouvait être admise contre les titres que la demanderesse produisait. En matière de faillite, l'art. 509 du Code de commerce déclare que si les titres des créances réclamées contrel'e failli, sont contestés par les syndics, « le tribunal de commerce pourra » ordonner qu'il soit fait, devant le commissaire, enquête sur les faits, et » que les personnes qui pourront fournir des renseignemens', soient à cet » effet citées pardevant lui. » Mais cet article ne dit pas qu'on pourra, dans le cas dont il s'agit, suppléer à la preuve testimoniale par de simples présomptions humaines; et par conséquent le tribunal, en admettant de pareilles présomptions, et en se fondant sur cette unique preuve pour anéantir une partie des actes produits par la demoiselle Deleuze, a commis un excès de pouvoir, et violé ouvertement les dispositions de l'article qui vient d'être cité.

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C'est ainsi que raisonnait la demanderesse en cassation. Mais le système qu'elle soutenait était en opposition trop manifeste avec l'article 1353 du Code civil, pour que son pourvoi pût être admis. Voici les termes de cet article «Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont » abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit » admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans » le cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que » l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de doł. »

ARRÊT.

LA COUR, sur les conclusions de M. Jourde, avocat général; - CONSIDERANT qu'en matière de vérification de créances sur un failli, les tribunaux de commerce sont autorisés, par l'art. 509 du Code de commerce, à ordonner des enquêtes, et à faire citer les personnes qui peuvent donner des renseignemens; que par conséquent, d'aprèși Part. 1353 du Code civil, les tribunaux peuvent admettre aussi des présomptions graves et concordantes qui sont abandonnées aux lumières et à la prudence des magistrats; que la Cour dout l'arrêt est attaqué, n'a'ni violé ni pu violer aucune loi en admettant les pré-' somptions graves et concordantes qui ont servi de base à sa décision; - REJETTE. Du 12 décembre 1815.-Section des requêtes. M. le baron Henrionde-Penser, président. M. le conseiller Vergès, rapporteur.-M. Leroi de Neufvillette, avocat.

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ÉMIGRÉ.—MARIAGE.-ENFANS.-LÉGITIMITÉ-SUCCESSIBILITÉ.

Un émigré a-t-il pu, durant son émigration, contracter un mariage sus→ ceptible de produire en France des effets civils?

La bonne foi de l'épouse a-t-elle rendu les enfans issus de ce mariage avant l'amnistie de leur père, tout-à-la-fois légitimes et successibles, méme dans la ligne paternelle? Rés, aff.

Le legataire qui a demandé à l'un de ces enfans, comme héritier, la délivrance de son legs, est-il recevable à lui contester ensuite sa qualité de légitime et de successible?

L'importance de ces questions nous fait une sorte de devoir d'en rapporter la discussion avec un peu d'étendue.

Le général d'Orsay, né en France d'un père français, fut emmené, à l'âge de douze ans, par son père, en Allemagne; il ne rentra pas en France dans les délais prescrits par la loi, et fut inscrit sur la liste des émigrés.

En l'an 7, il épousa, à Francfort-sur-le-Mein, la demoiselle de Franquemont, née à Louisbourg, dans le duché de Wurtemberg.

En l'an 8, il obtint du Gouvernement la permission provisoire de rentrer en France. Il s'établit à Paris, où il eut de son mariage, le 15 pluviôse an 9, Alfred-Gillon d'Orsay.

Le 8 frimaire an 10, la dame de Croy, veuve du sieur de Trazegnies; tante du général d'Orsay, mourut après avoir nommé, par son testament, le sieur Emmanuel Duval, son légataire universel.

*

Le sieur Duval, dans l'opinion que le mineur d'Orsay était, par la mort civile de son père, héritier légitime de la dame de Trazegnies, sa grand-tante, lui fit nommer sa mère pour tutrice, et fit procéder avec elle à l'inventaire des biens.

Ensuite, le 15 ventôse an 10, il obtint de la tutrice la délivrance de son legs universel.

Le 20 messidor suivant, il fit, conjointement avec la mère tutrice, agissant au nom du mineur, donner une citation en conciliation devant le juge de paix, au sieur Vanin, sur une demande qu'ils entendaient former en restitution d'une bibliothèque de la dame de Trazegnies.

Le 17 frimaire an 13, il transigea, avec le père du mineur, sur le testament de la dame de Trazegnies.

Le 23 du même mois, le sieur d'Orsay père fut amnistié.

:: Le 21 ventôse suivant, il ratifia la transaction du 17 frimaire.

Enfin, au mois d'avril 1809, le sieur d'Orsay père et la dame de Franquemont renouvelèrent leur mariage devant le maire du second arrondissement de Paris, et reconnurent, par le même acte, le mineur Alfred-Gillog d'Orsay, pour leur enfant.

N‚o II. — Année 1816,

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Par exploit du 6 août 1810, le sieur Houel de la Tour, en qualité de tuteur ad hoc du mineur d'Orsay, forma contre le sieur Duval u ne demande pour le faire condamner à délaisser à son mineur la moitié des biens de la succession de la dame de Trazegnies, que la loi du 4 germinal an 8 réservait à ses héritiers naturels; et comme le sieur Duval avait vendu une partie de ces biens, le sieur de la Tour appela les acquéreurs en déclaration de jugement commun.

Le sieur Duval et les acquéreurs, dont il prit le fait et cause en main, conclurent à ce que le tuteur fût déclaré non recevable dans sa demande attendu que c'était durant sa mort civile que le père du jeune d'Orsay s'était marié, que cet enfant était né, et que la succession de la dame de Trazegnies s'était ouverte.

Le tuteur répondit que, bien que le mineur fût né d'un mariage contracté durant la mort civile de son père, il n'en était pas moins légitime et successible; que d'ailleurs la bonne foi de sa mère avait suffi pour donner à son enfant les droits de légitimité et de successibilité, et qu'enfin le sieur Duval, qui avait reconnu cette double qualité dans le jeune d'Orsay en lui demandant la délivrance de son legs universel, n'était plus recevable à la lui contes ter.

Le 8 août 1811, jugement du tribunal de Saint-Omer, qui rejela la fin de non recevoir opposée par le tuteur, et ordonna aux parties de plaider au fond.

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Sur l'appel de ce jugement, arrêt de la Cour de Douai, du 22 février 1812, qui rejeta de même la fin de non recevoir dont le tuteur se prévalait, et qui, statuant au fond, déclara le tuteur non recevable dans sa demande, et le mineur d'Orsay sans qualité pour se porter héritier de la dame de Trazegnies. Les motifs de cet arrêt sont: «que le sieur d'Orsay père étant mort civilement, par son inscription sur la liste des émigrés, lors de la mort de la dame de Trazegnies, sa tante, arrivée le 8 fiimaire an 10, il a été incapable de lui succéder; qu'étant dans l'état de mort civile lors de son mariage avec la demoiselle de Franquemont, en Allemagne, et lors de la naissance de son fils à Paris, le 15 plavióse an 9, cet enfant était également incapable de succéder à sa grand-tante, parce que, dans cet état de mort civile, il n'a pu donner à son fils une existence civile et une capacité de succéder qu'il n'avait pas lui-même; que le mineur d'Orsay ne peut se prévaloir de la prétendue qualité d'héritier qui lui aurait été donnée par le sieur Duval, en lui demandant la délivrance de son legs universel, parce que ce n'est pas la reconnaissance des parties, mais la loi seule qui fait les héritiers, et le mineur d'Orsay ne l'étant il n'a pu le devenir par quelque reconnaissance ou quelque autre acte que ce fût; que le mineur Alfred se prévaut vainement de la bonne foi de sa mère, parce que cette bonne foi, en la supposant même existante, a bien pu conférer le droit de légitimité et celui de succéder dans la ligne de sa mère, mais qu'elle n'a pu lui conférer les droit de successibilité dans la ligne de son père avant l'obtention de J'aninistie qui seule a rendu le père et le fils à la vie civile.»

que

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pas,

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Recours en cassation, de la part du tuteur, qui proposait trois moyens.
Il fondait le premier, d'une part, sur la loi 1. ff. de confessis, sur les

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