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pourquoi un solution pacifique était vraisemblable, et a fini par intervenir, après des hésitations durant lesquelles les parties mesuraient sagement leurs forces, et moyennant des pourparlers assez laborieux où M. Bowen a joué un rôle essentiel.

Rien à dire sur le rôle de l'Italie, sinon que c'est bien celui de la puissance qui, ayant toujours peur d'être traitée de petite, va se mettre à côté des grandes pour prendre sa part de leur grandeur. L'Italie était flattée, avant tout, de figurer comme partie intervenante dans une négociation qui mettait en jeu de si grands ressorts internationaux. C'est bien la même Italie qui, lors de l'expédition de Crimée, envoyait des troupes camper à côté des armées française et anglaise, afin d'affirmer par là même son existence, et le droit qu'elle revendiquait de jeter son épée dans la balance où se pesaient, où se pèsent encore les éléments du fameux équilibre européen.

Les conventions provisoires arrêtées par les puissances européennes et M. Bowen contiennent elles-mêmes quelques particularités intéressantes, qu'il serait dommage de ne pas mettre en relief.

Dans ces conventions, il est question de la Hollande, puisque les parties intéressées, une fois certains principes établis, promettent d'aller faire régler des points de détail par le tribunal de La Haye. Ce tribunal est international, mais on remarquera le choix qui a été fait de la Hollande, pays petit, peu puissant et pacifique, pour y établir le siège de cette juridiction naissante, dont le rôle est d'ailleurs si difficile et si imparfaitement défini.

Dans ces conventions, il est également question de la Belgique. Il est dit, en effet, que, si le Vénézuéla ne s'acquitte pas promptement des dettes contractées par lui vis-à-vis des grandes puissances intéressées, les douanes vénézuéliennes seront saisies et administrées, non par l'Angleterre, non par l'Allemagne, non par l'Italie, mais par le gouvernement belge, choisi, lui aussi, à cause de la neutralité et de l'attitude essentiellement inoffensive de la Belgique.

Il est très curieux de voir ces deux petits peuples, Belgique et Hollande, jouer un rôle dans un conflit international alors que l'objet en litige se trouve dans l'Amérique du Sud. Notons que ce sont à la fois de petits États et des États prospères, n'inspirant pas de craintes, mais possédant l'estime, plus dignes que d'autres, par suite, d'être associés, comme auxiliaires pacifiques, au «< concert européen ».

Le défilé n'est pas terminé. Le nom de deux pays plus considérables se trouve encore dans le « protocole » signé par les diplomates (1).

Il est stipulé, en effet, que les réclamations de chaque puissance seront soumises à une commission distincte composée d'un représentant de cette puissance et d'un représentant du Vénézuéla. En cas de désaccord, un tiers arbitre sera désigné, soit par le président de la République française, soit par le roi d'Espagne.

Ceci doit nous arrêter un instant.

La France a des intérêts au Vénézuéla. Ses nationaux y sont au nombre de deux à trois mille. Elle aussi est créancière de la république sud-américaine. Il semble donc qu'elle aussi devrait se récuser, comme ne pouvant être juge et partie; mais il se trouve que ces créances sont antérieures aux autres et reconnues par un traité spécial en bonne et due forme. La France doit être payée avant les autres. Par suite de cette situation privilégiée, elle n'est pas suspecte de se faire droit en faisant droit aux autres. La France a intérêt à ce que le Vénézuéla soit aussi prospère que possible, puisque elle-même doit être payée à part; et cet intérêt est conforme à celui de l'Angleterre, de l'Allemagne et de l'Italie, puisque les recettes du Vénézuéla, après avoir servi à payer la France, doivent servir à payer ces autres nations. La France est donc à la fois intéressée et désintéressée, ce qui est excellent dans l'espèce.

Elle est intéressée par sa créance et désintéressée par son privilège. Ajoutons que le Vénézuéla ne peut la soupçonner

(1) Nous apprenons, au dernier moment, qu'il est également question de faire jouer un rôle arbitral à l'empereur de Russie.

d'une sympathie trop grande pour l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie; mais, d'autre part, à « lâcher » trop complètement les intérêts de ces trois puissances, la France, évidemment, finirait par compromettre les siens.

Toutefois, avons-nous vu, ce tiers arbitre, au lieu d'être français, peut être espagnol. C'est vraiment un fait remarquable que ce choix de l'Espagne comme médiatrice éventuelle dans les conflits qui pourront surgir entre le Vénézuéla, ancienne colonie espagnole, et d'autres peuples européens. La chose s'explique cependant, si l'on jette un coup d'œil sur les faits.

Tout d'abord, l'Espagne n'a aucune alliance. On l'a bien vu lors de la récente guerre avec les États-Unis. En outre, en vertu même de l'écrasement qu'elle a subi, elle a bien et définitivement renoncé à ses anciennes colonies du Nouveau-Monde, dont Cuba et Porto-Rico étaient les derniers débris. L'émancipation de ses anciennes vice-royautés datera bientôt d'un siècle; les luttes qu'elle provoqua sont désormais de l'histoire ancienne, et plusieurs générations ont passé depuis Bolivar. Dans ces conditions, que se produit-il? Un congrès, tenu naguère à Madrid par les représentants des États sud-américains, l'a bien montré. Il se produit, dans ces États, un retour d'affection vers l'Espagne, cette Espagne qui n'est plus à craindre, qui n'a pas les moyens de se poser en dominatrice, mais qui n'en reste pas moins la lointaine mère-patrie, la source des traditions communes, le point par lequel les jeunes républiques de là-bas se rattachent à l'ancien monde, à son histoire séculaire, à sa littérature, à l'héroïque épopée de Pélage et du Cid, le centre intellectuel d'où viennent les livres, les revues, certaines idées. L'Espagne, même en dehors de ces causes d'attraction, demeure de beaucoup la plus importante nation parmi celles qui parlent espagnol, et sa population produit une émigration abondante dont bénéficient chaque année plusieurs de ses anciennes colonies, notamment le Chili, l'Uruguay et la République Argentine. Toutes ces causes réunies concourent à rehausser, auprès des Sud-Américains, le prestige de la vieille Espagne, et cet exemple du Vénézuéla, acceptant l'idée de

faire trancher ses querelles internationales par l'héritier de Philippe II, concorde absolument avec cette évolution lentement opérée dans les esprits. Ceux qui conseillaient jadis à l'Espagne de se défaire de Cuba comme on se défait d'une dent gâtée, en disant que ces pertes sont de celles qui équivalent à un bénéfice, avaient donc peut-être raison. L'Espagne, dans la déchéance profonde où elle se trouve d'ailleurs aujourd'hui comme hier, semble tout au moins compensé, depuis cinq ans, ses derniers désastres militaires par un renouveau d'influence morale sur ces populations qui la détestaient autrefois.

Enfin, ce défilé même de tant de nations à propos d'une guerre civile vénézuélienne, a ceci d'instructif qu'il montre comment les races humaines se compénètrent aujourd'hui, comment les intérêts s'enchevêtrent par suite du progrès des communications et du développement des entreprises, combien par suite il est difficile à un bouleversement local de se produire sans amener par ricochet un remue-ménage universel. C'est ainsi que tout phénomène social engendre pour ainsi dire des vibrations qui se propagent avec plus ou moins d'intensité jusqu'aux extrémités du globe, et, si la chose en vaut la peine, ces vibrations deviennent des guerres, des querelles, des menaces, des négociations diplomatiques où chacun croit devoir jouer un rôle, des « points noirs » que les hommes d'État lorgnent à l'horizon avec inquiétude, même lorsque les nuages ne semblent pas venir dans leur direction. Le Vénézuéla vient d'en donner une preuve, mais certes il n'est et ne restera pas le seul, car il s'agit ici, non point spécialement de tel viaduc démoli ou de telle plantation ravagée, mais de faits typiques se rattachant à une grande loi sociale; et, pour continuer, voici la Macédoine qui menace de faire entrer en branle, dans une ronde immense d'ententes, de rivalités ou de mésintelligences, encore plus de puissances que l'affaire du Vénézuéla n'en a mis sur pied.

Gabriel D'AZAMBUJA.

LES PHÉACIENS D'HOMÈRE

A ISCHIA

IV

LES PHÉNICIENS DE SCHÉRIE FONT LA TRAITE EN PAYS NEUFS, A LA RECHERCHE DES MINES (1).

Nous venons de voir que les Phéniciens établis à Schérie sont, en conformité avec leur milieu d'origine, des navigateurs et des commerçants.

Mais on peut être commerçant de plusieurs manières. Quelle sorte de commerce nos Phéniciens sont-ils donc venus faire dans la mer Tyrrhénienne? C'est là ce que nous rechercherons aujourd'hui.

Je me propose de montrer :

Qu'ils font le commerce en pays neufs;

A la recherche des minerais;

Que, pour cela, ils sont organisés en un clan spécial et ap- ́ proprié, c'est-à-dire en compagnie de navigation et de com

merce.

Enfin, que le résultat se traduit pour eux par de gros profits et une véritable opulence.

1o Les Phéniciens de Schérie font le commerce en pays neufs. L'Odyssée connaît, dans les mers de Grèce, « d'illustres marins

(1) Voir les quatre livraisons précédentes.

T. XXIV.

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