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plutôt de hauts agents, viennent à faire défaut, comme il est arrivé au temps de l'invasion danoise et de l'invasion normande, le peuple saxon se retire tranquillement sur ses domaines et s'y défend obscurément le mieux qu'il peut, en attendant une occasion meilleure. Nous l'avons vu, par exemple, reprendre son action publique contre la royauté normande, quand, ayant retrouvé des chefs dans les seigneurs normands eux-mêmes, il les a soutenus pour obtenir la Grande Charte.

Assurément les membres de la gentry mis par les Tudors en possession des grands biens, des titres, des fonctions de la haute noblesse rencontraient là le moyen de développer leurs aptitudes et de se faire vite aux grandes affaires. Mais il faut bien comprendre que les Tudors avaient soin de les choisir de façon à ce que ces parvenus, ces favoris, ne missent pas leurs сараcités et leurs ressources au service de la gentry contre la royauté. C'est ce qui fit aux Tudors un entourage de parfaits courtisans. lls usèrent autant qu'ils purent de cette facilité de suivre leurs caprices royaux, et c'est ce qui a donné à leur règne un aspect d'omnipotence, à la noblesse de ce temps un caractère de ser

vilité.

Mais, à vrai dire, il arriva à ces créatures du roi ce qui arrive généralement aux gens de cette sorte: elles ne cherchèrent en réalité qu'à servir leurs propres intérêts. Elles exploitèrent la situation pour elles-mêmes, sans plus se dévouer au roi qu'à la gentry. Elles firent toute sorte de bénéfices scandaleux, à la suite desquels les moins avisées ou les moins fortunées tombaient en disgrace, pour être remplacées d'ailleurs par d'autres, pareilles à elles.

On conçoit qu'une noblesse de ce genre, si elle ne gênait pas la royauté, lui était en somme très peu profitable et ne pouvait que la discréditer, puisqu'elle était connue pour lui être vendue. Elle n'était pas pour la royauté une force, mais une cause prochaine de faiblesse. C'est ce qui ne tarda pas à appa

raitre.

Quant à la gentry restée gentry, elle suivait pendant ce temps son mouvement naturel et automatique d'ascension. Il se faisait

parmi elle une sélection continue. Les plus capables augmentaient peu à peu l'importance de leurs domaines.

Ils le faisaient par six moyens principaux :

1° En achetant successivement les petits biens des moins capables;

2o En prenant parmi les dépossédés ceux qui étaient plus à même de recevoir une bonne impulsion, et en les constituant fermiers d'une partie de ces acquisitions sous une direction vigoureuse;

3o En organisant sur le reste du domaine ainsi élargi les procédés de la grande culture;

4o En visant aux produits industriels de la culture, c'est-àdire à ceux qui étaient d'un plus grand rapport par le moyen du commerce;

5o En prenant à bail ou en achetant les biens communaux pour les mettre en culture;

6 En établissant des industries sur leurs domaines, comme le tissage de la laine, les fours à chaux, les distilleries, etc...

On voit bien là apparaître un type nouveau d'exploitant, qui se risque à des procédés plus difficiles et tend à des moyens plus puissants; qui sort des langes du domaine moyen et crée, non plus par l'étendue seulement, mais par des progrès techniques, le grand domaine.

Voilà la vraie aristocratie saxonne qui se prépare et se forme. L'avènement antérieur de celle que nous avons vue tout à l'heure ne lui était pas inutile : la voie avait été ouverte; il était établi qu'entre la gentry et la nobility, noblesse proprement dite, il n'y avait qu'une différence du plus au moins. Ceux qui composaient la noblesse des Tudors étaient de simples gentlemen de la veille les gentlemen d'aujourd'hui sentaient qu'il ne leur était pas bien difficile de s'élever quelque jour par leur propre force au rang et à la place de cette noblesse de création purement royale.

:

C'est quand l'élite de la gentry commença à s'élever ainsi de son propre mouvement au-dessus du domaine moyen, qu'elle élimina insensiblement de la campagne la partie inférieure de

la population dont elle acquit les petits biens et les biens com

munaux.

C'est alors seulement que l'Angleterre cessa d'être aussi absolument rurale que nous l'avons dit plus haut. Jusque-là le défrichement continu et poussé à bout avait donné assez de place dans la campagne. D'ailleurs on s'y entassait sans compression dans le régime de la petite culture, la seule qui convint à de faibles ressources; car la terre avait été singulièrement grevée par tant d'invasions, tant d'impôts de guerre, le danegeld, les redevances féodales normandes, etc.. L'argent avait passé en grande partie aux batailles des hautes classes, qui tenaient la plus vaste portion du sol en censives: il était peu revenu à la terre.

Les guerres avaient eu aussi cet effet de réduire périodiquement la population, en même temps qu'elles lui offraient un débouché au dehors.

Les guerres en Normandie, les guerres en Guyenne, la guerre de Cent ans avaient emmené une multitude innombrable d'hommes, connus dans l'histoire sous le nom d'archers anglais. Il se faisait aussi, tant à la suite de ces expéditions souvent victorieuses qu'en pleine paix, une émigration dispersée de gens qui allaient s'établir çà et là en France, en Allemagne et surtout dans les Flandres.

Le tassement dans la petite culture, puis les guerres extérieures avec l'émigration dispersée avaient donc été jusquelà les ressources de la population dans son besoin d'expan

sion.

La guerre de Cent ans avait ajouté à cela le développement, je ferais mieux de dire le commencement de la navigation. Les Saxons — j'ai souvent insisté sur ce point qui paraît invraisemblable en présence de la puissance maritime actuelle de l'Angleterre, mais que nous avons constaté tout le long de cette histoire les Saxons ne se sont pas portés vers la navigation tant que la culture leur a été ouverte. Le besoin de transporter des troupes sur le continent et de maintenir, un siècle durant, l'Angleterre en rapport avec le sol français, poussa les rois d'An

gleterre à créer une flotte marchande d'où ils pussent tirer le service des transports.

Ils usèrent à cet effet d'un moyen arbitraire et factice.

Jusque vers le xv siècle, c'étaient les Hanséates qui servaient aux transports maritimes de l'Angleterre nous avons dit qu'ils avaient à Londres un de leurs grands ports privilégiés. Là, leur principale affaire était de transporter d'Angleterre en Flandre, et réciproquement, les laines anglaises renommées pour leur finesse et façonnées par les tisserands flamands. Les rois anglais retirèrent aux Hanséates la clientèle de leur royaume et ne laissèrent plus sortir les laines ou rentrer les draps que par des navires anglais. C'est ce qui, de propos délibéré, amena l'Angleterrre à avoir une flotte. Le métier de la mer une fois ouvert, l'énergie saxonne le développa. Elle le tourna en partie vers la pêche.

Tel était le nouveau débouché offert à l'émigration anglaise, tandis que la gentry s'élevait à la grande culture.

Elle put s'y élever, par les causes et les moyens que nous avons vus, lorsque, les grandes guerres ayant pris fin avec l'avènement de la noblesse essentiellement peu militaire des Tudors, la culture retrouva à la fois la paix et de l'argent.

Mais la cessation de ces guerres et la création de la grande culture, deux faits naturellement liés, amenaient une double difficulté à l'expansion de la race. Le débouché par les expéditions au dehors se fermait, ou tout au moins se réduisait singulièrement; le débouché dans la petite culture se rétrécissait graduellement par l'extension des grands domaines.

C'est alors que s'ouvrit pour l'Angleterre le débouché vers la fabrication. On était au XVIe siècle. Nous avons vu en effet que les créateurs de grands domaines, dans la gentry, introduisaient des industries dans leur exploitation.

L'Angleterre, en commençant à n'être plus aussi exclusivement agricole, ne cessa donc pas par là même d'être rurale. L'industrie s'établit et se développa dans les campagnes.

In événement vint hater son développement : ce fut une immense immigration de Flamands, au moment où l'Espagne com

mença à opprimer les Pays-Bas, c'est-à-dire dans la seconde moitié du xvi siècle.

Par le fait que la culture et la fabrication prospéraient ainsi entre les mains de l'élite de la gentry, le commerce maritime

s'accroissait.

Nous voilà donc, sous les Tudors, au cours du xvr siècle, en présence d'une élite de la gentry, qui croit par sa propre action, par le développement technique de ses domaines ruraux. La race saxonne va avoir cette fois des chefs véritablement sortis de sa formation à elle.

Et c'est alors que l'Angleterre va entrer dans le mouvement extraordinaire d'expansion que nous lui voyons venir si tard. Il ne pouvait pas lui venir plus tôt : il fallait à des Saxons des chefs saxons; il fallait à la gentry, pour noblesse dirigeante, des propriétaires de grands domaines créés à la saxonne.

On comprend, par ce qui précède, le prestige que l'époque des Tudors a gardé dans l'esprit des Anglais. C'est l'époque où les Anglais ont complètement émergé du système normand; c'est l'époque où la gentry est entrée dans les positions de la noblesse; c'est l'époque où, en dehors de ces positions, elle s'est préparée d'elle-même à diriger les affaires publiques par-dessus la tête de la noblesse, même nouvelle, comme nous le verrons bientôt. C'est en un mot l'époque où les Anglais se retrouvent purs Saxons, et où le type saxon s'élève à une capacité des grandes affaires qu'il n'avait pas eue jusque là.

Il n'en est pas moins vrai que, pendant cette période, le peuple anglais est, en somme, destitué de chefs qui soient dignes de lui. Il se trouve à l'abandon entre la noblesse, créature des Tudors, et l'élite de la gentry, qui se forme et qui monte, mais qui n'est encore ni formée ni montée.

Comme il arrive au peuple anglais en pareil cas, il subit du moins mal qu'il peut ce qu'il n'est pas encore à même d'empêcher, et il réserve l'avenir. Les Tudors abusent de cette situation et se passent mille caprices royaux : ils sont despotes autant qu'ils le peuvent.

Mais les Anglais, qui se rendent assez peu compte des causes

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