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surtout du patronage. On donnait le bon exemple, mais, au lieu d'être récompensé de ses services, il fallait payer pour avoir le droit de les rendre, comme si le plaisir de jouer ce rôle éminent eût justifié une rançon.

Le grand bénéfice social du mouvement de cette troisième période fut de donner, aux propriétaires fonciers en général, l'idée d'un retour à la campagne et de leur inspirer, pour les choses de cette campagne, un intérêt tout nouveau. Ce fut et c'est encore un grand bien. L'exode des individualités d'élite tend à entraîner la disqualification des villes au profit du home rural. Cela seul est énorme. Les conséquences s'en développeront fatalement dans toutes les directions, et elles seront heureuses. Il y a là une vérité que l'on sent, pour ainsi dire, plutôt qu'on ne peut la formuler. Il est bon, pour employer un terme récemment naturalisé par l'Académie dans la langue correcte, que les campagnes deviennent plus «< chic »>, et que

les villes le soient moins.

Mais, en fin de compte, n'y a-t-il pas moyen de concilier le point de vue « patronage » avec le point de vue « entreprise », et conserver les bienfaits de l'évolution sociale ci-dessus décrite, tout en la rendant rémunératrice pour ceux qui mènent le mouvement?

C'est le problème que plusieurs ont enfin regardé en face, durant ces toutes dernières années.

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Nous avons vu que l'évolution vers la culture a pour résultat bienfaisant une condition plus saine de la personne humaine, tant pour ceux qui dirigent l'entreprise agricole que pour tous les individus groupés autour de ceux-ci.

Cette vérité a été comprise, mais, là-dessus, certains en sont arrivés à se dire : « Conservons cet avantage, tout en nous efforcant d'en réduire les frais. >>

Ces frais, comment les réduire? En se bornant à un seul

genre de productions, à celle qui est la plus naturelle au pays et à son propre domaine, en évitant de cumuler tous les produits. qui font d'une ferme une véritable arche de Noé, une robinsonnière pourvue de tous les animaux et végétaux nécessaires à la vie.

C'est le type de culture que M. Dauprat a appelé la spécialisation, et que notre distingué collaborateur, après l'avoir éprouvé, a décrit lui-même dans la Science sociale.

Par la spécialisation, on réduit les machines et le personnel, pendant que, d'autre part, en s'appliquant exclusivement à la production d'une seule denrée et en concentrant autour de ce but unique toutes les ressources de son esprit, on arrive à produire cette denrée mieux que personne.

Une objection se présente. Cette restriction du travail à une seule espèce ne va-t-elle pas nuire au développement de la personne de l'exploitant?

On pourrait le craindre, tout d'abord, en se rappelant les critiques dirigées par certains économistes contre les excès de la division du travail.

Mais, dans le fait que nous observons, l'inconvénient ne se produit pas. On y échappe, parce que, dans une grande exploitation agricole, même spécialisée, toutes les aptitudes de l'homme trouvent leur emploi. Bien que l'objet de la préoccupation soit unique, les diverses facultés entrent en jeu les unes après les autres et s'y développent, en somme, avec plus d'ensemble, plus de communications entre elles. Elles peuvent aller plus à fond, n'ayant pas à se disperser et à s'étaler, pour ainsi dire, sur toute une mosaïque d'occupations diverses. Ce n'est plus du tout le cas de l'ouvrier qui, du matin au soir, répète le même geste. Selon les saisons, les jours, les heures, les nécessités du moment, les variations du marché, les découvertes de la science, le propriétaire est amené à modifier la direction de son labeur personnel, et même, s'il le faut, à changer complètement «< ses batteries ».

L'exercice de ces aptitudes est aussi, par là même, rendu plus facile. Il y a moins de frottements, moins de temps perdu.

Alors apparaissent les loisirs, complètement inconnus au type de la précédente époque.

Ces loisirs, en quoi peuvent-ils être meilleurs que l'absorption du propriétaire à cultures intenses et variées?

Ces loisirs permettent au gentleman farmer de ne pas tomber dans la condition intellectuelle d'un simple professionnel. Il lui est loisible de s'adonner aux études libérales, de se tenir au courant des faits et des doctrines qui occupent et préoccupent le monde, de connaître les questions qui remuent les esprits, de jeter dans la balance de ces questions le poids de ses réflexions personnelles, d'éclairer là-dessus ceux qui recourent à ses lumières (grande œuvre, et bien rare!), de garder, en un mot, de l'action sur la formation mentale de l'homme. Il ne se déclasse plus, comme il le faisait en « se consacrant tout entier » à la culture, comme sous le régime précédent.

Il y a un lien étroit entre les avantages spéciaux de l'habitation rurale et ceux d'une exploitation rurale. Ce sont les deux parties d'un tout, qui est le type de l'installation au foyer. Ce qui caractérise normalement ce type, et ce qui le caractérise le mieux, ce n'est ni le château-palais, ni le domaine immense. Nous avons eu occasion de le montrer dans notre Histoire de la formation particulariste (1). C'est pourquoi le moyen domaine, celui de la Gentry chez les Anglo-Saxons, est celui qui couramment répond le mieux à l'application d'un homme, dit « du monde », à la culture.

Et toutefois, malgré les avantages de la spécialisation, il est difficile que le rendement d'un domaine de cette étendue suffise à la nourriture et à l'entretien d'une famille de formation et de classe «libérales ». C'est pourquoi M. Dauprat, qui a fait l'expérience de la chose, réclame pour ceux qui voudraient suivre son exemple d'autres sources de revenus. La précaution est nécessaire, tant en prévision d'un insuccès possible qu'en raison des « écoles » que l'on est généralement condamné à faire durant les premières années. Ce cumul des revenus chez le propriétaire

(1) V. Science sociale. Livraisons de janvier et février 1903.

tend, en l'état actuel des choses, à devenir une impérieuse loi. L'indépendance consista jadis à se claquemurer dans son domaine et à en tirer toute sa subsistance. Elle consiste aujourd'hui à pouvoir tirer des ressources d'ailleurs et à se trouver en état, grâce à elles, de se livrer aux expériences agricoles avec plus de liberté d'esprit. Mais tout cela nous permet de voir que la carrière d'agriculteur moderne, quelque belle et salutaire qu'elle soit, n'est pas ouverte à n'importe qui, tout au moins dans les conditions actuelles. C'est à une élite de s'y engager, et il faut que cette élite soit solide, comme celle qui entreprend la colonisation au delà des mers. Le reste viendra peut-être ensuite, lorsque cette avant-garde de plus riches et de plus capables aura, souvent au prix de lourds sacrifices, victorieusement frayé le chemin.

Henri de TOURVILLE.

LES DÉCADENTS D'AUTREFOIS

L'ÉPUISEMENT DE LA POÉSIE GRECQUE

CHEZ LES « GENS DE LETTRES » D'ALEXANDRIE

((

Comment se produisent les décadences? Pourquoi, après les époques «< brillantes » où se sont manifestés de grands génies littéraires, s'en ouvre-t-il d'autres, généralement longues, où les trouvailles heureuses se figent, pour ainsi dire, en recettes et en formules, où certaines branches de l'art d'écrire se développent sans doute, mais sans égaler l'importance de celles qui se sont développées d'abord; époques auxquelles ne manquent ni la richesse, ni les loisirs, ni l'instruction, ni les ressources intellectuelles, ni même les efforts intenses pour exprimer le beau, et qui cependant, condamnées à une stérilité relative, ne produisent, en dehors des copistes qui prolongent l'époque précédente, que des raffinés, des pédants, des amuseurs, et des virtuoses résignés à ne devoir leurs triomphes qu'à la perfection du détail?

Question très ardue, hâtons-nous de le dire, et à laquelle nous ne nous sentons pas la force de répondre d'une manière totalement satisfaisante, tant l'observation aurait encore à faire dans ce domaine, où les critiques seuls, tantôt avec leur dogmatisme a priori, tantôt avec leur fantaisie individuelle, ont seuls régné jusqu'à ce jour. Il faut avouer que le terme d' « épuisement »>, dont on se sert volontiers en présence de spectacles semblables, n'est au fond qu'une métaphore, et que les métaphores sont dangereuses à manier. Mais, d'autre part, la grande voix des faits semble autoriser l'emploi de cette fi

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