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de leur supériorité, n'ont pas pris soin de distinguer ce qu'ils ont fait à l'époque des Tudors et ce que les Tudors ont fait contre eux. Il ne leur est resté de ce temps que l'impression d'une période de grande formation nationale, et ils confondent l'œuvre privée qui se fit alors dans la nation avec l'histoire personnelle des princes régnants. Cette confusion est d'autant plus facile qu'il y a toujours un certain éclat apparent au règne de princes qui se posent un peu crânement en autocrates et qui sont entourés d'une cour adulatrice et brillante.

Telle est, très nettement éclaircie, la physionomie du règne des Tudors.

Mais ce qui va l'éclaircir mieux encore, c'est ce à quoi cette époque a abouti.

Henri de TOURVILLE.

(La suite au prochain numéro.)

NOTES SUR LA LOMBARDIE

ASPECT GÉNÉRAL.

Il faut avoir le caractère bien maussade ou tomber sur des journées bien pluvieuses pour n'éprouver pas d'agréables impressions en pénétrant dans la Lombardie. Y arrive-t-on de Gênes, de Turin, de Venise ou de Bologne, on traverse en chemin de fer des plaines d'une culture intense, des rizières, des champs de maïs, des prairies, surtout, qui, même au milieu. des sécheresses d'été ou des froids d'hiver, égalent en fraîcheur de verdure les plus fins gazons des parcs d'Angleterre; si, au contraire, l'on y descend des montagnes suisses par la ligne du Gothard, mieux encore à pied ou en poste, les regards passent avec ravissement des glaciers alpestres aux bords enchantés des lacs, et la course, commencée sous les sapins couverts de neige, rencontre à peu d'heures de distance les châtaigniers, la vigne, l'olivier. La civilisation et l'élégance les plus raffinées s'étalent dans les châteaux de la Brianza, dans les villas sans nombre qui ceignent de leurs pares le lac Majeur, ceux de Lugano, de Côme, de Varèse et de Garde. Milan présente tout le mouvement, tout le travail, toute la richesse, tout le progrès des villes les plus avancées du Nord; et une activité presque américaine y circule à l'entour du château des Sforza, du musée de Brera, de la bibliothèque ambrosienne, du Monastero Maggiore couvert de fresques par Luini, du dôme en dentelles de marbre blanc où repose saint Charles Borromée, de

T. XXXV.

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l'église aux portes de laquelle saint Ambroise arrêta Théodose, où il prêcha devant saint Augustin et où l'on vénère aujourd'hui son corps presque intact. Il n y a pas plus à nier l'importance passée que la prospérité actuelle d'une cité qui vit partir de son enceinte, au ve siècle, l'édit de Constantin inclinant l'Empire devant le fait accompli du christianisme, et qui se montre, au XXe siècle, la plus active, la plus riche, la plus progressiste de l'Italie régénérée.

L'intérêt augmente pour ce beau pays si l'on songe aux vicissitudes de sa longue histoire et aux épreuves sans nombre à travers lesquelles il a dù se développer, depuis que les Gaulois y ravagèrent la première civilisation étrusque, et que, conquis à leur tour par l'Empire romain, ils virent la civilisation plus haute à laquelle ils étaient montés eux-mêmes succomber sous les invasions de la Germanie. Visigoths, empire d'Orient, Lombards, Francs, tous viennent lutter dans cette province, et, à peine fixés, s'y remplacent à grands coups de violence. Les municipalités du moyen âge y établissent une prospérité qui attire, plus tard, les conquêtes passagères de la France, la domination plus lourde et par malheur plus durable de l'Espagne, ennemie du progrès. Après elle, l'Autriche, au xvш° siècle, paraît un foyer de lumière, et le fait est que sa domination établit dans la Lombardie un régime qui en commence le relèvement. Napoléon achève d'en moderniser les lois; il vient y ceindre la couronne de fer et il en fait la capitale de son royaume d'Italie. Rentrées un peu dans l'ombre, mais non dans l'oisiveté, après les traités de 1815 qui les rendent à l'Autriche, Milan et sa province ont pris, vers le milieu du XIXe siècle, une part glorieuse au Risorgimento de l'Italie; et maintenant elles recueillent, autant et plus qu'aucune autre partie de la péninsule, les bénéfices d'une patrie libre et plus grande. Non seulement elles jouissent de conditions économiques plus avantageuses, mais elles exercent leur bonne influence sur le gouvernement de la nation; et leur démocratie, si elle est loin encore d'avoir atteint l'organisation régulière des trade-unions anglaises ou des syndicats américains, commence

cependant à faire son apprentissage de l'association et même à administrer les affaires publiques (1).

C'est moins à la nature du sol qu'à l'énergie et à la persévérance du travail humain, que la Lombardie doit d'avoir autrefois triomphe de tant d'épreuves et de tenir aujourd'hui sa place parmi les régions les plus riches comme les plus éclairées de l'Europe. Pour elle, certes, la nature a beaucoup fait; mais l'homme a fait bien davantage, et les richesses qu'il a mises au jour ne devaient guère se laisser deviner, avant son laborieux effort, sur les montagnes pierreuses et creusées par les torrents, sur les pentes sèches et abruptes des collines, dans les plaines encombrées de sables et de marécages, tantôt brûlées par la sécheresse et tantôt ravagées par l'inondation.

Montagnes, collines et plaines, voilà en effet les trois divisions naturelles de la Lombardie, telle qu'elle s'étend entre les Alpes rhétiques au nord, le Mincio à l'est, le Pô au sud, le Tessin à l'ouest, dans les provinces actuelles de Milan, Pavie, Còme, Sondrio, Bergame, Crémone, Brescia, et Mantoue. Dire ce qu'est le sol et ce qu'est le travail dans ces trois régions nous paraitrait le meilleur moyen de donner au lecteur une exacte idée de la Lombardie. Il serait à souhaiter que de plus compétents que nous le fissent, un jour, en suivant des règles méthodiques. Nous ne pouvons, après deux ou trois petits séjours de vacances, qu'indiquer ici une première esquisse de l'enquête désirable. Autant qu'à l'observation directe, nous devons le peu que nous savons à la lecture de quelques écrivains et à l'entretien de quelques amis, les uns et les autres, il est vrai, dignes de toute confiance 2).

1) Le président actuel du conseil, le ministre des affaires étrangères et celui des finances, sont tous trois des Lombards. Les municipalités de Milan, de Brescia et de Come sont aux mains des partis avancés, qui y font, à travers quelques erreurs et d'utiles réformes, l'apprentissage du pouvoir.

(2) Indiquons notamment la Proprietà fondiaria e le popolazioni agricole in Lombardia, par Stefano Jacini, Milano e il suo territorio, par Cantù et divers collaborateurs. Ces deux ouvrages, excellents, mais un peu anciens, sont à compléter par des travaux plus modernes, tels que le récent Memoriale dell' Associazione dei proprietarii e conduttori di fondi di Milano et l'Annuario della Istituzione agraria. Nos remerciements doivent aller à ceux qui nous ont si obligeamment aidés dans

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La région montagneuse occupe à peu près la moitié de la Lombardie, soit la province entière de Sondrio, la plus grande partie des provinces de Côme et de Bergame et un peu plus des deux cinquièmes de celle de Brescia. De la chaîne maîtresse des Alpes rhétiques partent vers l'Italie des contreforts entre lesquels s'étendent de hautes et étroites vallées. La principale et la plus connue est la Valteline, qui, avec son prolongement du val Bormio et avec la vallée de Chiavenna, forme toute la province de Sondrio. Trois grandes vallées, la Brembana, la Sériana et la Camonica, divisent le pays bergamasque, ouvertes sculement au sud et dépourvues de toute communication entre elles. Les montagnes de Brescia, qui sont les moins abruptes, vont de la rive orientale du lac d'Iseo à l'ouest du lac de Garde; elles forment le val Trompia et le val Sabbia. Les monts de Côme sont surtout célèbres pour le cadre qu'ils font à des lacs admirables. Sur la gauche du lac de Côme débouchent la vallée de Varone et l'ample Valsassina; au milieu de la péninsule qui le divise s'ouvre la charmante vallée d'Asso, et sur sa rive droite quelques vallées sans importance. Les quatre grands lacs sont séparés par des montagnes quelquefois assez hautes et coupées d'un grand nombre de petites vallées.

Dans la plus grande partie de la région montagneuse la propriété communale domine; il n'y a guère en propriété privée que le fond des vallées et les pentes inférieures. Le même phénomène peut se remarquer en Suisse. C'est l'effet naturel des produits du sol et du travail qu'ils entrainent.

Sans parler des forêts, qu'on a trop de tendance à détruire, les communes possèdent d'immenses pâturages, appelés malghe ou alpi. Moyennant un léger droit par tête de bétail, elles en laissent la jouissance aux habitants qui ont, l'été, un besoin absolu

nos recherches et dans nos lectures, MM. Gallavresi et Calvi, le marquis d'Adda Salvaterra, les comtes Belgiojoso et di Parravicino.

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