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de faire påturer leurs bêtes en dehors de leur petit champ, s'ils y veulent récolter du foin pour l'hiver. Mais cela ne les empêche pas de louer ces mêmes pâturages à des bergers et à des bouviers, qui arrivent sur la montagne à la fonte des neiges et qui y restent jusqu'à l'automne. Ces nomades vivent là-haut en des cabanes rudimentaires; le froid venu, ils descendent avec leurs enfants en croupe vers les vallées et les plaines lointaines. Les moutons sont peu nombreux et peu recherchés. La montagne peut les nourrir en été, quoiqu'elle réserve ses meilleurs pâturages pour le gros bétail; mais on ne sait comment les entretenir en hiver la plaine, dont la richesse consiste surtout en une végétation qui redoute la dent vorace de la gent ovine, refuse absolument de les souffrir. L'élevage des boeufs et des vaches pourrait et devrait prospérer; il se fait dans une certaine mesure, pas assez cependant, vu l'ignorance des bouviers et le caractère primitif de leurs procédés, - pour empêcher les vacheries lombardes de se recruter principalement en Suisse.

Au-dessous des Alpes et des forêts, le climat adouci permet de cultiver, sur des pentes encore assez hautes, le châtaignier, qui est exploité comme bois et comme fruits; les montagnards lui doivent une partie importante de leur alimentation et un élément d'échanges avec la plaine.

On trouve, sur les dernières pentes, le seigle, l'orge, la pomme de terre, le sarrasin, le chanvre et le maïs. Les mûriers de montagne sont très estimés, et servent à produire des cocons qui se vendent notablement plus cher que les autres. Le vin de la Valteline est vanté déjà par Virgile dans les Géorgiques; excellent est aussi celui qu'on récolte au val Caleppio dans la province de Bergame, à l'ouest de Brescia, sur certaines côtes du lac de Côme et de Varèse. Peut-être ces crus rivaliseraient-ils avec les meilleurs de France, si l'on y apportait autant d'habileté à fabriquer le vin qu'on y met de soin à cultiver la vigne.

Le terrain, dans cette partie, est disposé en terrasses, qui représentent un énorme travail, et divisé en une multitude de petites portions qui lui donnent, à cause de la variété des produits, l'aspect d'une vraie mosaïque. C'est que, si nous avons

trouvé la propriété commnautaire sur les sommets, ici, au contraire, la petite propriété règne partout, et le morcellement est poussé à l'extrême, grâce à l'habitude du partage égal et au désir qu'a chaque famille de produire directement tout ce qu'il lui faut pour vivre. S'il a trois fils, un père de famille qui possède neuf hectares de terres également divisées en champs, prés et châtaigneraies, laissera à chacun d'entre eux un hectare de châtaigneraies, un hectare de champ, un hectare de pré. Le morcellement pourrait ainsi atteindre des proportions invraisemblables. Mais il s'arrête fatalement en deçà des limites absurdes, et, d'un autre côté, il ne laisse pas d'offrir, malgré ses inconvénients, un certain avantage, une sorte de raison d'être. Pour tirer un produit du sol, l'homme doit ici dépenser tant de labeur et de peine qu'il faut qu'il ait le sentiment de travailler pour lui-même. Jamais il ne trouverait, sans cela, le courage de transporter peu à peu de la vallée sur des rochers nus la terre où doivent pousser le mûrier ou la vigne, et dont les précieuses mottes seront, tous les trois ou quatre ans, entraînées par des eaux torrentielles.

Le fond des vallées se prête naturellement à la culture, et le paysan peut y travailler sur le fond d'autrui comme sur le sien propre. Néanmoins, c'est encore la petite propriété qui y est dominante. Il ne s'y perd pas un pouce de terrain. Tout est en céréales ou en foin. Les prés, qu'il ne faut pas confondre avec les pâturages naturels des sommets, sont soigneusement fumés et arrosés; on y dérive par de savantes rigoles les eaux de la montagne. Le prix en est très élevé; ils ont valu, par exception, il est vrai, jusqu'à 15.000 francs l'hectare.

Nous ne laisserions pas, cependant, une idée exacte de la région que nous venons d'étudier, si nous donnions à croire qu'il ne s'y trouve absolument que des propriétaires. Dans les coins boisés, au fond des vallées les plus larges et à l'entour des bourgades, les paysans qui ne possèdent rien sont assez nombreux. Les petits commerçants enrichis éliminent peu à peu les pauvres de la propriété foncière et se forment des domaines qu'ils font travailler par des fermiers. D'autres terrains sont de même loués à bail par des émigrants, par le clergé, par quelques

familles plus aisées. De là un moyen d'existence pour ceux qui ne possèdent rien. Ils en ont un autre, depuis quelques années, dans les usines qu'on établit un peu partout pour utiliser les chutes d'eaux. La province y gagne de pouvoir suffire à un plus grand nombre d'habitants; et l'Italie, qui manque de houille, commence à trouver ainsi dans la force électrique un précieux élément d'indépendance industrielle.

III.

RÉGION DES COLLINES ET DE LA HAUTE PLAINE.

Entre les paysages si graves de la grande montagne et les paysages monotones de la plaine inférieure, la région des collines forme un contraste des plus frappants. C'est ici, sous un ciel splendide, parmi des cultures aussi variées que prospères, à travers de nombreuses bourgades et des multitudes de villas, l'épanouissement de la grâce et de l'activité.

La zone des collines et celle de la haute plaine, qu'il en faut rapprocher au point de vue économique et social, sinon au point de vue pittoresque, s'étend sans interruption du lac Majeur au lac de Garde, partagée en deux par l'Adda, mais plus large à l'ouest qu'à l'est de ce fleuve. Elle comprend tout le sud de la province de Côme, le milieu des provinces de Bergame et de Brescia, le nord des provinces de Milan et de Mantoue. La partie orientale est fertile par nature; mais la partie occidentale, d'abord presque toute en bruyères, n'a été fécondée qu'à force de travail.

On y observe une grande diversité de produits agricoles des oranges et des citrons près du lac de Garde; des olives le long de tous les lacs; des châtaignes sur les collines; toutes les espèces de céréales, principalement le blé et le maïs, mais aussi le seigle et le millet: un peu de fourrage; beaucoup de pommes de terres ; des champs, non plus des jardins, de haricots, de lentilles et de carottes. Mais les deux cultures caractéristi

ques du pays sont le mûrier et la vigne, la brocca, comme on les appelle, c'est-à-dire, en patois milanais, le branchage. Il ne faudrait pas toutefois les mettre sur un pied d'égalité. Tandis

en partie sous le mùrier, au

que la vigne n'a cessé de perdre du terrain, l'effet de maladies trop coûteuses à guérir, contraire, tient une place de plus en plus grande, et l'on peut dire qu'il constitue aujourd'hui la richesse principale. Le sol et la température lui conviennent; la sécheresse de l'été ne lui fait aucun tort. Sa présence ne s'oppose pas aux autres cultures, puisqu'on en ôte les feuilles et les petites branches au mois de mai, juste à l'époque où les céréales réclament du soleil (1). Enfin il donne occupation et gain à une population des plus denses, en même temps qu'il fournit la matière première à l'industrie capitale du pays, l'industrie de la soie. Aussi ne doit-on pas s'étonner de le voir partout répandu, au point qu'il donne presque au pays l'aspect d'une forêt peu épaisse, mais interminable.

Sauf l'élevage des vers à soie, qui réclame plus de soin que de fatigue, les travaux sont extrêmement durs dans la région étudiée, à peine moins que dans la montagne. Sur les collines aussi, les terrains de culture sont disposés en terrasses et par là même presque impraticables, non seulement aux machines, mais aux charrues les plus simples. C'est à la bêche qu'il les faut travailler! Mais la peine qu'impose ce procédé encore primitif est largement payée par la fécondité qu'en recueille le sol; il en devient bien autrement friable et perméable, bien autrement accessible à l'action des engrais et des pluies trop rares. Sans doute la bêche prend beaucoup plus de temps et dépense beaucoup plus de forces, mais elle favorise tellement l'abondance des produits et la distribution de la richesse, qu'on n'ose souhaiter de la voir remplacée. Un terrain bêché est en moyenne trois fois plus fertile qu'un terrain labouré. Ni la sécheresse du climat, ni l'imperfection fatale du procédé de culture, ne peuvent l'emporter sur l'énergie des populations. Ici encore, comme dans la montagne, et nous verrons le même fait se produire dans la plaine, l'homme triomphe de la nature (2).

(1) L'ombra del gelso è l'ombra d'oro, dit un proverbe italien. · Gelso veut dire mûrier.

(2) Dans la province de Brescia, où la population est moins dense, on fait usage

La forme de propriété sert de stimulant. Sans compter que les petits propriétaires sont assez nombreux, ceux qui font valoir un bien étranger sont associés directement au bénéfice qui résulte de leurs peines. Les moyens propriétaires, qui sont les plus nombreux, et les grands propriétaires, qui partagent leur domaine entre plusieurs tenanciers, font partout des contrats de métayage. Ces contrats, néanmoins, varient beaucoup dans le détail et suivant les régions. C'est dans la province de Bergame qu'ils sont le plus simples et justifient le mieux leur nom; dans celle de Brescia, la répartition des biens entre le propriétaire et le fermier ne suit pas la même proportion pour tous les produits; dans le pays de Côme et au-dessus de Milan, la métairie complète devient l'exception et ne s'applique plus qu'à la vigne et aux cocons. Vu l'importance de ce dernier point, insistons-y quelque peu. Les frais de culture pour le ver à soie étant très considérables, c'est le propriétaire qui en fait l'avance, à condition d'en être, pour les trois quarts, remboursé à la fin de l'année; mais, en revanche, c'est lui qui vend directement les cocons aux fabricants de soie ou à de gros intermédiaires. Il donne au métayer exactement la moitié du prix.

Les moyens propriétaires sont ordinairement de petits bourgeois ou des commerçants enrichis, qui considèrent la possession terrienne à la fois comme un placement de tout repos et comme le moyen de se procurer pour l'été un agréable séjour à la campagne. Au-dessus d'eux se trouvent des familles très riches, la plupart d'ancienne ou de nouvelle noblesse, qui ont ailleurs, souvent dans la basse plaine où elles ne vont jamais, la source de leurs revenus, mais qui volontiers en dépensent ici une très grosse partie, dans des villas et des châteaux entourés de propriétés pittoresques. La Brianza, en particulier, le charme et même la splendeur de ses villégiatures. Je ne crois pas qu'on puisse trouver ailleurs un ciel plus température plus douce, de plus beaux horizons que ceux dont jouit cette contrée depuis le début de septembre jus

est célèbre

serein, une

pour

de la charrue; la production en est beaucoup diminuée, mais l'étendue plus grande des exploitations compense un peu cet inconvénient.

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