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tantes du Travail (c'est le cas dans toutes les émigrations commerciales organisées) présente les caractères suivants :

Il est, en venant de l'Orient civilisé, à l'entrée d'une région de pays neufs riches en mines (còtes et iles septentrionales de la mer Tyrrhénienne, côtes et iles situées au delà). Isolé par la nature, puisqu'il est dans une ile, il est en outre naturellement fortifié, et présente un port répondant bien aux besoins de la marine d'alors. Le territoire adjacent est riche et fertile.

Le Travail principal et caractéristique de la race a pour objet la traite des minerais en pays neufs, au moyen d'expéditions maritimes de commerce et de transports.

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C'est l'Instrument principal du travail matériel — dans le cas présent, le vaisseau, instrument des transports qui détermine le groupement du personnel. Autour du Patron, marchand de mer, très probablement secondé par ses fils (1), il groupe environ cinquante subordonnés, libres et esclaves, ou autant de fois cinquante que le patron possède de navires prenant part à l'expédition.

L'Atelier de ce travail complexe, c'est l'ensemble port de chargement en pays neufs, port de vente vers les pays civilisés, région maritime intermédiaire.

Ce travail principal, très rémunérateur, engendre la richesse qui s'accumule sous forme de Biens mobiliers conservés au foyer (Épargne).

Un Travail accessoire, qui mérite d'être signalé, est la fabrication de tissus de lin au moyen d'un atelier domestique. Par suite de l'éloignement de tout autre pays producteur de lin, il impose sur place une culture assez compliquée qui a dù contribuer à l'apparition de la Propriété privative.

Il y a, d'une façon normale, séparation forcée et prolongée entre l'atelier lointain du travail principal et le foyer auquel incombent, outre ses fonctions fondamentales, la fabrication domestique, la culture et la garde des richesses. Il s'ensuit une modification caractéristique du Type familial communautaire, qui évolue nettement vers le matriarcat.

(1) En effet, les cinq fils d'Alcinoos, dont deux sont mariés, habitent au foyer paternel.

L'épouse devient l'associée suppléante du mari, et la directrice (laissée à elle-même les deux tiers de l'année, et partant prépondérante) du foyer et des ateliers sédentaires qui s'y rattachent. Toute la condition sociale de la femme, épouse, mère, fille, s'en trouve relevée.

Groupement de l'action patronale secondaire et dérivée, le clan, par la nature des intérêts qu'il protège, est ici surtout sédentaire. En conséquence, il est surtout géré par l'associé sédentaire du chef, c'est-à-dire, par son épouse.

Le rôle de cette dernière est, dans la circonstance, d'autant plus indiqué, et d'un autre côté d'autant plus important, qu'il s'agit principalement de patronner les familles ouvrières dont les chefs sont en mer à la suite de son mari à elle.

Lorsque, par la mainmise sur le pouvoir local, un clan particulier devient le clan officiel de la Cité, et prend la charge des intérêts publics, l'administration se trouve, en partie du moins, entre les mains de l'épouse du chef, par une conséquence naturelle de ce qui précède. La direction des intérêts vitaux de la Cité parait bien cependant appartenir à un conseil de chefs.

Selon toutes les probabilités, les patrons marchands de mer, auxquels se réfère tout ce que nous venons de dire, sont à leur tour encadrés et patronnés par un conseil supérieur, composé des principaux d'entre eux, dont la direction, par le seul fait qu'elle s'étend à tous les marchands de mer, les constitue en association générale patronale de commerce et de transports Par suite du caractère très général des intérêts que gère cette association, et aussi des règles qu'elle édicte pour tous les lieux où s'exerce l'activité commerciale de ses membres, elle se superpose naturellement à tous les groupements déjà indiqués, et constitue le groupement supérieur des pouvoirs publics ou l'État. Il est d'ailleurs à croire que c'est ce conseil qui a pris, jadis, l'initiative et la direction de l'émigration (1), et c'est alors qu'il s'est constitué.

(1) Ce que je dis ici de l'État est suggéré par les circonstances du rapatriement d'Ulysse, par cette conviction du héros que, loin de Schérie, il pourrait être encore en pays phéacien, et aussi par les analogies tirées de l'histoire des compagnies et des

T. XXXIV.

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Les Relations avec l'Étranger ont nécessairement beaucoup d'importance chez des gens établis en terre étrangère pour faire du commerce international. Chez leurs clients des pays neufs, les Phéniciens s'insinuent par le savoir-faire diplomatique du commerçant, ou s'imposent par la supériorité prestigieuse du civilisé. Par contre, ils sont intraitables pour les marins des pays en voie de développement, leurs concurrents de demain, et ils les suppriment impitoyablement.

Ce résumé, trop sommaire, omet des traits particulièrement significatifs et toutes les preuves de détail; on pourra aussi lui reprocher avec raison de ne pas mettre en relief telle ou telle conclusion pourtant bien acquise. Mais, d'une part, il est bien fondé sur les constatations des articles qui précèdent; et, d'autre part, il a l'avantage de grouper les faits sociaux relatifs aux Phéaciens d'après leurs caractères essentiels et leurs rapprochements les plus intimes, et de montrer par là même les fondements et l'architecture puissante de l'édifice social dont Homère n'a parfois décrit que l'extérieur et les formes apparentes. Évidemment cette masse, robuste et bien liée, n'est pas l'œuvre capricieuse d'un fantaisiste. C'est la vie sociale, se développant sous l'action des lois sociales, qui l'a bâtie avec les vivantes pierres qu'on appelle les institutions et les mœurs.

(A suivre.)

PH. CHAMPAULT.

républiques commerciales. La capitale étant Schérie, le personnel qui gouverne la Cité se confond avec celui qui gouverne l'Etat.

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Dans nos précédents articles, nous nous sommes assez peu préoccupé de la chaîne des Pyrénées. Plus d'un lecteur en aura certainement éprouvé quelque surprise. La vue seule d'une carte du Sud-Ouest de la France donne à penser qu'un tel ensemble de hauteurs n'a pas été sans influencer profondément les populations du voisinage.

Notre silence venait de ce que les populations pastorales de la montagne et des hautes vallées nous ont paru constituer des types sociaux sensiblement différents du type gascon. Les voyageurs ne manquent pas de signaler la différence frappante qui sépare le Gascon du montagnard pyrénéen. Celui-ci est taciturne, renfermé en lui-même, sournois; celui-là au contraire. est bavard, confiant, exubérant. Ce contraste est particulièrement saisissant dans la ville de Tarbes, peuplée en grande partie de gens descendus de la montagne. Or à Tarbes on ne se croit plus en Gascogne, et le Tarbais a la physionomie sombre et peu confiante du montagnard.

I

Des gens des Pyrénées descendent bien dans les vallées de la Gascogne, mais ce n'est le plus souvent que pour aider à certains travaux agricoles pressés et qui durent peu de temps moissons, vendanges). Ces travaux finis, les montagnards ren

trent chez eux. S'il en est qui émigrent définitivement, ils demeurent dans des professions inférieures : ils vont travailler à la journée, se font domestiques, bergers, vachers, chevriers. Ils sont incapables de diriger de véritables exploitations agricoles.

Dans la partie occidentale des Pyrénées se trouvent les populations basques qui sont restées isolées dans leurs hautes vallées peu aisément accessibles, et ont conservé leur idiome primitif ainsi que la plupart de leurs coutumes antiques. Elles n'ont pu être atteintes, même par l'influence romaine.

Des familles basques émigrent dans les environs de Bayonne ou sur les bords de la mer. Là elles se trouvent en présence de familles gasconnes venues de la Chalosse. On peut constater la supériorité du Gascon sur le Basque. Dans telle propriété où le Basque ne sait pas se débrouiller, le Gascon fait parfaitement ses affaires. Dans les milieux urbains de Bayonne, de Biarritz, de Saint-Jean-de-Luz, les Gascons sont plus souples et plus avisés que les Basques (1). Ces derniers subissent en effet l'influence persistante de l'ancienne vie en communauté pastorale dans la montagne.

La montagne pyrénéenne fournit donc à la Gascogne une émigration pauvre qui ne peut s'élever, au moins tout de suite, au niveau du paysan gascon des vallées. Celui-ci, nous l'avons constaté, est influencé par les gens des milieux urbains, et les effets égalitaires de la vigne le rendent particulièrement apte à subir cette influence.

Si, dans notre étude, nous avions eu seulement en vue la classe inférieure, nous aurions eu à peine besoin de faire intervenir la montagne. Nous l'aurions seulement signalée (c'est d'ailleurs ce que nous avons fait) comme lieu de passage des migrations venant par le Sud.

Cependant, nous avons dù mettre en scène, pour expliquer le type gascon, un élément urbain et civilisateur remontant à la plus haute antiquité. Or, une étude plus approfondie nous a

(1) Nous tenons ces renseignements d'un ami de la Science sociale, M. André Geiger.

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