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crit des bornes à la mer, qu'il enchaîne les frimas, qu'il commande aux vents et à la tempête, que la maladie, la peste, la famine, e glaive et la mort sont à sa solde; rien en tout cela ne me surprend l'idée d'un être suprême m'en instruit avant que la foi ne me l'enseigne. Mais que ce même être puisse se rendre petit, faible, délicat, comme les petits enfants; que l'Eternel puisse naître dans le temps, l'immortel participer à notre mortalité, l'impassible souffrir, comme nous, le principe de tous les biens manquer des biens les plus nécessaires, le Verbe essentiel paraître sans parole; voilà le degré de puissance que, nulle part, ma raison n'apercevait auparavant; voilà ce qui, à mès yeux, fait éclater cette puissance plus que les vagues admirables de la mer, plus que les fondements inébranlables de la terre, plus que la production de ces corps énormes qui remplissent les espaces immenses des

cieux.

Aussi, mes frères, lorsque l'Ecriture nous parle de la naissance du Messie enfant, elle nous le représente tantôt comme portant empreinte sur son épaule la marque du souverain empire; tantôt comme capable d'ébranler le ciel et la terre; tantôt comme recevant des anges les hommages dus au seul puissant; et tantôt comme une petite pierre qui, se détachant d'elle-même de la montagne, a la force de renverser cette fameuse statue que Nabuchodonosor vit en songe. En effet, le divin enfant n'est pas plutôt né que, sans main d'hommes, sans secours naturel, sans force, sans armes, sans politique humaine, il frappe les rois et les empereurs, désignés par la tête d'or de la statue; les grands et les puissants, marqués par le bras et la poitrine d'argent; les orateurs et les philosophes, représentés par le -ventre et les cuisses d'airain; les ignorants et le peuple, figurés par les pieds et les doigts d'argile. Dès lors, quel changement dans les mœurs! et de qui peut-il venir, sinon de la droite du Très-Haul? dès lors, on voit des simples que Dieu éclaire des mystères les plus sublimes et les plus abstraits; des pauvres qui estiment et qui sanctifient leur pauvreté; des indigents qui sont enrichis des dons précieux de la grâce; des bergers qui deviennent des apôtres, et qui annoncent avec succès la gloire du Sauveur. On voit des sages qui renoncent à leur propre sagesse pour suivre la lumière de la foi; des riches, des grands et des rois, qui viennent déposer leurs trésors aux pieds de Jésus-Christ, et lui faire hommage de leur couronne. On voit un enfant qui paraît sous les dehors d'une enfance sans lumière et sans force, et qui éclaire les esprits, touche les cœurs, fait l'oflice de juge, appelle les uns, réprouve les autres, abandonne le Juif, fait venir le gentil, et détruit enfin la grande Ninive de ce monde, sinon dans ses murs et ses forteresses, du moins dans ses mœurs corrompues et ses passions criminelles :

(66) S. AUG., De civ. Dei.

OEUVRES COMPL. DE THIÉBAUT. I.

Stantibus manibus eversa est, in perditis moribus (66).

Quelle puissance de cet enfant qui opèro des effets si admirables et si prodigieux! A vous, lui disons-nous à la suite de ces réflexions, à vous, divin Sauveur! la puissance, la force et la vertu, au plus haut des cieux: Gloria in altissimis Deo! Nous vous reconnaissons ici, dans cet état de dépendance, comme le Créateur et le souverain Seigneur de toutes choses; nous nous humilions de corps, d'esprit, de cœur devant vous, et nous avouons que votre faiblesse apparente est plus forte que toutes les forces réunies, soit des hommes, soit des anges. Premier sentiment qu'excite en nous le mystère de la nativité, parce qu'il nous découvre en Dieu, la puissance la plus étendue.

2° Il nous découvre en Dieu la justice la plus sévère et la plus rigoureuse. Parce que Jésus naissant est couvert des seules appaqu'il devienne victime, et qu'il soit traité rences du péché, c'est une conséquence en victime de colère. A peine est-il sorti du sein virginal de Marie, que déjà il est hosqualité d'hostie. Mon Père! c'est ainsi que tie; il est frappé comme hostie; il s'offre en saint Paul le fait parler, au moment de sa Vous n'avez plus voulu d'hostie ni d'oblation, première entrée en ce monde, mon Père! mais vous m'avez formé un corps: «Hostiam, et oblationem noluisti, corpus autem aplasti agréaient point pour la rémission des pémihi. Les sacrifices des animaux ne vous chés: Holocautomata pro peccato non tibi placuerunt. »> C'est pourquoi, j'ai dit: Me voici, pour faire votre volonté, 6 mon victimes, pour satisfaire à votre justice, Dieu! pour me substituer à ces anciennes pour vous présenter dans le sacritice de ma personne un prix que ne pouvaient avoir tous les sacrifices de la loi : « Tunc dixi : (Hebr. x, 5, 7.) Je ne m'arrêterai pas ici Ecce venio, ut faciam, Deus, voluntatem tuam. avec l'Apôtre, ni à vous montrer, mes frèparoles mêmes, les anciens sacrifices, pour res, comment Jésus naissant abolit, par ces établir le sien: Aufert primum, ut sequena statuat (Ibid., 9); ni à vous représenter l'étable de Bethléem comme le temple; la crèche comme l'autel; le divin enfant comme la victime et le sacrificateur; Marie et Joseph comme les ministres du sacrifice; mais livrant mon cœur aux sentiments de

crainte, de honte, de douleur, de consolation, et de reconnaissance qui naissent de cette idée, que Jésus né, comme un agneau, dans une étable, s'y offre à son Père, à la place des agneaux, pour moi et pour mes péchés, je dis, et ce que je dis le premier, vous le direz tous après moi.

Cet aimable enfant, dis-je, d'abord prosterné à ses pieds, ce divin enfant est l'innocence même, la candeur même, la pureté même et la sainteté par essence. Cependant parce qu'il est revêtu d'une chair qui a l'ap

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parence du péché, parce qu'il s'est rendu caution pour mes péchés, parce qu'il a pris sur lui ines langueurs et mes infirmités, le voilà qui souffre, qui soupire, qui pleure, non pas comme les autres enfants, sans connaissance, sans motif, sans sentiment, par faiblesse et par passion, mais par affection, par amour et par compassion. O dureté de mon cœur, s'il n'est point attendri de ces larmes! ô endurcissement de mon âme, si je ne tremble en voyant que le plus juste, le plus aimable des enfants, l'EnfantDieu est ainsi accueilli! Si le bois vert est ainsi traité, eh! comment donc sera traité le bois aride? Comment dois-je me juger et me trailer moi-même pour éviter ces traitements sévères de la justice divine? C'est ce que je me dis d'abord, et c'est ainsi, dit saint Bernard, que nait la crainte Sic... timoris exageratio est.

J'étais, me dis-je ensuite aux pieds de Jésus enfant, j'étais, hélas ! un serviteur coupable condamné à une mort éternelle, avant même que je ne pusse le savoir; le Fils unique du Très-Haut a bien voulu par une miséricorde infinie se faire homme, pleurer, et souffrir pour me racheter de cette mort terrible. Pourrais-je donc, moi le plus grand des pécheurs! pourrais-je encore me livrer aux folles joies du siècle? pourrais-je encore goûter de ses plaisirs frivoles? Ne pleurerai-je pas plutôt avec celui qui pleure pour moi? oui sans doute, je le ferais, si je n'étais un insensé, si je n'avais perdu toute raison. C'est ainsi, dit saint Bernard, que naît la honte et la confusion: Ecce unde pudor. Et cette honte, et cette confusion seraitelle en moi sans douleur, sans la contrition la plus vive? Non-seulement, nouvelles réflexions que j'ajoute aux précédentes, nonseulement j'ai refusé de pleurer avec Jésus pleurant pour moi, mais je lui ai sans cesse donné de nouveaux sujets de larmes; mes péchés, je le savais, étaient cause de ses pleurs; et chaque jour j'en ai commis de nouveaux: ah! s'il est vrai qu'un bon cœur ne fait pas, sans peine et sans répugnance, pleurer un enfant, quel est donc mon cœur, puisque sans raison, ou plutôt contre toute raison, j'ai fait pleurer un Dieu enfant? peut il, ce cœur, à cette réflexion, ne pas se briser de douleur ? et vous, mes yeux! pouvez-vous ne pas vous changer en deux fontaines de larmes? C'est ainsi, dit encore le saint abbé, que naît la douleur: Sic... et doloris... exageratio est.

A ce sentiment de douleur quelle douce consolation succède cependant, lorsque je fais les réflexions suivantes! J'étais perdu, et me voilà retrouvé; j'étais mort, et me voilà ressuscité; j'étais en exil, et me voilà rappelé à ma patrie; j'étais condamné à souffrir des supplices affreux dans un abime ténébreux, et me voilà invité à goûter des délices continuelles dans le séjour de la gloire; j'étais l'ennemi du Père, et me voilà réconcilié par le Fils: quels motifs de joie, de la

(67) S. Bernard., serm. 5 in Natal,

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joie la plus pure et la plus solide! Jouissons done de ce sentiment, ô mon âme! et que nos lèvres, nos yeux, nos os, que tout en nous le témoigne. Réjouissez-vous avec approchez de la palme due à la victoire; nous, justes du Seigneur, parce que vous réjouissez-vous avec nous, pécheurs, parce que le pardon de vos péchés vous est proposé réjouissez-vous avec nous, nations infidèles assises dans les ténèbres de la mort, parce que la lumière et la vie vous sont offertes. Enfants des hommes, réjouissezvous tous. Tous ont la même raison de se réjouir; tous avaient péché dans Adam, et tous ceux qui avaient contracté la tache originelle, Jésus enfant vient les délivrer. C'est là le principe de toutes les consolations que nous pouvons goûter sur la terre: Erit etiam consolationis occasio (67).

de Jésus enfant doit exciter en nous, en sa Enfin, un cinquième sentiment que la vue qualité d'hostie, c'est celui de la reconnaisinfiniment juste et infiniment miséricordieux sance la plus étendue. En cette qualité, il est tout à la fois. En même temps qu'il accomplit toute justice à l'égard de son Père, il égard; ear quelle miséricorde du Verbe fait exerce la plus grande miséricorde à notre chair, qui veut bien, saus aucun mérite de toutes nos misères pour nous rendre partinotre part, nous visiter et prendre sur lui cipants de ses biens! Non, mon Sauveur, je miséricordes pour moi; elles sont infinies, ne puis assez reconnaître l'étendue de vos elles s'élèvent au-dessus des nues. Autant qu'il sera en moi, je les reconnaîtrai cependant; je les publierai, je les célébrerai par mes louanges; j'entonnerai sur la terre, en leur mémoire, ce cantique que la multitude des anges entonna dans le ciel Gloria in altissimis Deo! (Luc. 11, 14.) Ainsi naissent les sentiments de reconnaissance, de consolation, de douleur, de confusion et de crainte, à la vue de l'enfant Jésus dans une crèche, parce que ce mystère nous découvre en Dieu la justice la plus sévère à l'égard du péché.

3° Il nous découvre en Dieu la sagesse la plus profonde. Aux pieds du Verbe naissant Dieu, quelle est l'enormité du péché, quelle nous apprenons quelle est la grandeur de est l'importance de notre salut, quelle est la voie qui y conduit. Combien de leçons de gnait aux parfaits, et qu'il puisait lui-même cette sagesse sublime que saint Paul enseidans le riche fond de ce mystère! (I Cor. 11.)

Aux pieds de Jésus enfant nous apprenons quelle est la grandeur de Dieu, et nous majesté n'est suffisament connue, honorée, disons: Qu'il est grand, ce Dieu dont la exaltée que par les abaissements, les humiliations, et, pour ainsi dire, "'anéantissement d'un Dieu fait chair!

Aux pieds de Jésus enfant nous apprenons quelle est l'énormité du péché, et nous disons Qu'il est énorme le péché, dont les taches ne s'effacent que dans les larmes d'un

enfant Dieu! Qu'il offense Dieu, ce mal qui ne s'expie que par les souffrances d'un enfant Dieu! Qu'il est terrible, ce monstre qui ne s'abat que quand un Dieu est descendu du ciel en terre pour le combattre!

Aux pieds de Jésus enfant nous apprenons quelle est l'importance de notre salut, et nous disons: Nou, il n'y a qu'une seule chose nécessaire c'est mon salut. Il est d'une telle nécessité, d'un tel prix, d'une telle importance, que ce Jésus enfant a cru ne pas faire trop que de descendre du ciel et natire dans une crèche pour l'opérer.

Aux pieds de Jésus fait chair nous apprenons quelle est la voie qui conduit à ce salut, et nous disons: Cette voie du salut, c'est le christianisme, dont les anciens oracles, d'une part, et, de l'autre, les événements actuels prouvent la divinité. En effet, que je lise ces anciens oracles, je remarque que le Messie devait ressembler aux petits enfants dans sa naissance, qu'il devait être pauvre, qu'il devait naître à Bethléem de Juda, au milieu des animaux et dans l'état le plus humiliant; que j'observe les événements qui ont accom.. pagné la naissance du Sauveur, je vois qu'ils répondent à tous les points des prophéties. Donc la vue d'une étable et d'une crèche, loin de faire chanceler ma foi en Jésus-Christ, sert au contraire à l'affermir inébranlablement et à me faire dire: Non, je ne croirais pas si je voyais mon Sauveur revêtu de pourpre, loge dans un appartement riche et commode, adoré à sa naissance par les grands de son peuple, parce que ce n'est point là celui qu'ont annoncé les prophètes; mais, frappé du spectacle du fils de Marie naissant dans une retraite préparée aux animaux. ah! c'est alors que je m'écrie avec saint Thomas Mon Seigneur et mon Dieu (Joan. 11, 28), oui, je vous adore né dans ma chair; j'adore ce corps, l'âme qui le vivifie, la divinité unie à l'un et à l'autre. Ah! je vous en conjure, venez en moi; entrez et naissez en mon âme; contentez le désir qu'elle a de vous posséder. Vous êtes le désiré des nations, le Messie, l'envoyé par excellence. Venez en mon cœur et ne le quittez jamais. O sagesse qui êtes sortie de la bouche du Très-Haut sagesse qui disposez de tout avec force et douceur, et qui des plus grands maux savez en tirer les plus grands biens, venez nous enseigner la voie de la prudence et nous procurer la paix. C'est, mes frères, le second effet que le mystère de la nativité peut produire.

D'abord il est un motif pressant de rendre gloire à la puissance, à la justice, à la sagesse divines, de répéter souvent avec les anges: Gloire à Dieu, au plus haut des cieux ! Vous venez de l'entendre.

Il est un motif pressant d'établir en nous la paix la plus profonde. Vous l'entendrez dans mon second point.

SECOND POINT.

Point d'autres principes, mes frères, de la guerre et de la paix que les passions et les vertus. Caressez et nourrissez les passions,

il n'y a que désolatior dans la société, que division dans les familles, que trouble dans les cœurs aimez, au contraire, et cultivez les vertus ennemies de ces monstres, aussitôt vous voyez le calme où était la désolation, la concorde où était la division, la sérénité où était le trouble. Laissez dominer ces trois concupiscences qui animent le monde, et desquelles le monde prend son mouvement et ses impressions, il n'y a plus de paix à espérer, ni avec Dieu, ni avec le prochain, ni avec soi-même opposez à ces passions les vertus contraires; opposez à la concupiscence de la chair l'amour des souffrances, à la concupiscence des yeux l'amour de la pauvreté, à l'orgueil de la vie l'amour des humiliations, il n'y a plus de guerre à craindre. L'apôtre saint Jacques nous en assure, lorsque, dans son épître canonique, il nous fait cette question: D'où viennent, parmi vous, les guerres et les contestations? Quel autre principe m'en indiquerez-vous, sinon les convoitises qui combattent en vos membres? (Jac. Iv.)

Ayez donc un moyen puissant ae dompter ces passions et de pratiquer ces vertus, vous avez un moyen efficace d'établir une paix profonde sur la terre; c'est une conséquence qui suit nécessairement de l'observation d'où je la tire; et pour montrer que le grand mystère de la nativité est ce moyen de paix, il ne s'agit plus que de montrer qu'il nous fournit un moyen excellent de pratiquer les trois vertus opposées aux trois passions dont parle saint Jean. C'est ce que je vais faire, en vous prouvant, non-seule ment que le mystère de la nativité nous découvre un modèle parfait de ces vertus, mais encore que raisonnablement nous ne pouvons refuser de nous conformer à ce modèle. Redoublez votre attention.

Et d'abord, voyez jusqu'où Jésus naissant porte la vertu contraire à la concupiscence de la chair, je veux dire la patience dans les souffrances, la joie dans les souffrances, le désir et la recherche des souffrances. Il pouvait naître heureux sur la terre, sans doute, ce divin enfant, qui fait des heureux dans le ciel; mais il fallait réparer les fautes que la prudence de la chair avait fait commettre, et prévenir celles qu'elle pouvait faire commettre encore; et, pour accomplir ce dessein, à quelles souffrances le Verbe incarné ne s'expose-t-il pas en naissant? Pour en comprenure l'étendue, considérez le lieu, le temps et les autres circonstances dans lesquelles il prend naissance. Le lieu qu'il choisit pour naître est une étable, le berceau où il repose est une crèche, le tit sur lequel il est étendu n'est que de paille et de foin préparé aux animaux; le temps où il paraît au monde est le plus froid du jour et de la saison; c'est à minuit, au milieu des rigueurs d'un hiver qui se fait vivement sentir dans ces climats d'Orient, pendant la nuit principalement; le feu qu'il a pour se réchauffer, c'est le souffle des animaux qui l'environnent; là il s'interdit l'usage de tous ses sens, comme s'il était le plus faible des

enfants, ou s'il ouvre la bouche et les yeux, ce n'est que pour crier, pour gémir, pour pleurer comme les autres enfants, que pour vous dire dès lors, par son exemple, ce qu'il vous dira dans la suite par ses discours : Fuyez les plaisirs, et faites pénitence: Fuge voluptatem, age pænitentiam..

Voilà, dit saint Bernard, le précis des leçons que nous fait Jésus naissant sur la sévérité chrétienne; c'est ce que nous prêche éloquemment l'étable où il naît: Hoc tibi prædicat stabulum; c'est la voix puissante qui part de la crèche où il est couché: Hoc præsepe clamat; c'est le langage énergique que nous tiennent ses membres délicats, ainsi que les langes dont il est enveloppé : Hoc membra infantilia manifeste loquuntur; c'est l'Evangile austère que nous annoncent ses larmes et ses sanglots: Hoc lacrymæ et vagitus evangelizant; pouvons-nous raisonnablement refuser d'écouter cet Evangile et de nous y conformer? non, il ne faudrait, pour l'embrasser, que comprendre toute la force de ce raisonnement de saint Bernard.

Ou c'est celui qui nous annonce l'amour des souffrances qui se trompe, ou c'est nous qui nous trompous, en refusant de souffrir pour le temps de cette vie; de quel côté peut être l'erreur? En Jésus enfant sont cachés tous les trésors de la science et de la sagesse; en nous sont des ténèbres épaisses qui nous dérobent la lumière des vérités les plus claires Nous sommes donc très-assurés qu'il ne se trompe point, en nous prêchant, par son exemple, la vertu de patience et l'amour des souffrances, et nous ne pouvons douter que nous ne suivions une erreur très-pernicieuse, lorsque nous cherchons les plaisirs du siècle, les plaisirs du repos et de la table, les plaisirs du jeu et de la volupté, les plaisirs des compagnies et des spectacles, les plaisirs des conversations et des lectures inutiles, les plaisirs du corps et des sens, les plaisirs même de l'esprit et du cœur, s'ils ne sont en Dieu et pour Dieu.

Oui, Seigneur, dirions-nous à la suite de ce raisonnement solide, si nous en comprenions la force, oui, le monde se trompe, et je me trompe avec le monde, lorsque je me livre à ses folles joies: l'exemple de votre Fils souffrant, aussitôt que naissant, m'apprend à me glorifier dans les tribulations, à rechercher les afflictions, du moins à me soumettre avec patience à tous les maux du corps, à toutes les peines de l'esprit dout it vous plaira de m'éprouver; à regarder la voie des souffrances comme la meilleure, comme la plus utile, comme celle que je devrais choisir, si le choix m'en était laissé : Id melius, id utilius, id potius eligendum. J'y entrerai donc dans cette voie pénible; je tiendrai pour des séducteurs ceux qui essayeront de m'en éloigner; je me propose ferniement d'y persévérer jusqu'à la mort. C'est la résolution pratique qu'inspire le mystère de la Nativité, parce qu'il nous découvre un modèle de vertu à l'égard des souffrances;

un modèle qui a, et qui doit avoir pour nous des attraits incomparablement plus puissants que tous les attraits de la concupiscence de la chair.

2. Inous découvre un modèle parfait de la vertu contraire à la concupiscence des yeux, je veux dire d'une vertu qui souffre avec patience la pauvreté, qui se réjouit dans la pauvreté, qui recherche la pauverté, qui préfère l'état de pauvreté à celui des richesses. Qui doute, en effet, que le Verbe incarné n'eût pu naître dans ce dernier, s'il eût voulu? C'est lui qui a créé et qui conserve tous les biens de ce monde; c'est lui qui les donne et qui les distribue à chacun comme il lui plaît; c'est lui qui fait régner les rois et qui dispose des empires. Il pouvait donc, sans doute, faire sa première entrée en ce monde dans un état d'opulence lui dont les anges sont les ministres et les hérauts, pour annoncer sa naissance; mais il s'agissait de réformer les erreurs des hommes sur l'état des riches et des pauvres, sur le bonheur imaginaire des premiers, et sur le malheur prétendu des derniers un point essentiel à sa mission était de vaincre, et de persuader que la possession des richesses est dangereuse, que rarement l'usage en est innocent; cette conviction et cette persuasion devaient être l'effet de son exemple, beaucoup plus que de ses paroles, parce qu'il fallait réfuter, anéantir tous les prétextes de la cupidité, et que cette passion opiniâtre ne rend ses armes qu'à celui qui pratique au delà de ce qu'il exige de ses disciples. Pour la forcer dans le dernier et le plus fort de ses retranchements, que fait donc le Sauveur ?

Il nail, cieux! dans quelle affeuse indigence! Pauvres, riches, accourez tous, et voyez jusqu'où devient pauvre, pour vous, l'héritier de tous les biens: Venite, et videte opera Domini quæ posuit prodigia super terram. (Psal. xLv, 9.) Non-seulement il naît pauvre lui-même, comme le reste des enfants, mais il veut naître comme le plus pauvre de tous les enfants: il veut naître comme ceux-ci, dans un lieu pauvre, et même dans une étable, sur un peu de paille; veut avoir, comme ceux-ci, des parents pauvres, et même si indigents qu'ils ne puissent obtenir le dernier réduit d'une hôtellerie; il veut être, comme ceux-ci, tellement dénué de secours, qu'il ne soit réchauffé que par le souffle des animaux. Avant d'entrer en ce monde, son choix est déjà fait, el, dès qu'il y est, il commence à vivre à la manière des pauvres, dans la compagnie des pauvres, éprouvant les mêmes misères que les pauvres, d'abord pour satisfaire à la justice de son Père, pour l'abus que les uns avaient fait et que les autres feraient encore des richesses; ensuite pour remplir le dessein dont j'ai parlé, pour nous enseigner, à sa naissance, ce qu'il devait enseigner dans le cours de ses prédications, qu'heureux sont les pauvres d'esprit et que ma!heureux sont ceux qui possèdent les biens de ce monde, que le royaume des cieux ext

aux pauvres, et que les riches y entreront difficilement.

Fuyez les richesses, aimez ta pauvreté; voilà donc, Chrétiens, ce que nous prêche Jésus naissant pauvre, d'une mère pauvre, dans le lieu le plus pauvre. Du fond de cette grotte où l'histoire nous le représente, combien de voix éloquentes s'élèvent en faveur de la pauvreté contre les richesses, et nous invitent à choisir le premier état au mépris du second? Pouvons-nous, mes frères, résister à leur invitation ? notre résitance ne serait-elle pas ici une erreur de conduite aussi inexcusable que pernicieuse? jugez-en vousmêmes par ce raisonnement.

Ou c'est le Verbe fait chair qui se trompe, en voulant nous persuader, par son exemple, d'être pauvres d'esprit et de renoncer à la concupiscence des yeux; ou c'est nous qui nous trompons, en refusant d'embrasser cette pauvreté volontaire à laquelle il nous appelle. Dire que le Verbe éternel, la sagesse incréée se trompe, ou veuille nous tromper, quel blaspheme! Ah! c'est donc nous qui nous trompons, lorsque nous recherchons les biens de ce monde avec inquiétude, ou que nous les possédons avec attache, ou que nous les perdons avec peine; c'est donc nous qui nous trompons, lorsque nous regardous ces biens comme de vrais biens, et la pauvreté comme un mal réel; c'est donc nous qui nous trompons, lorsque, faisant acception de personnes, nous réservons toutes nos considérations pour les riches et tous nos mépris pour les pauvres. Glorifiez-vous donc, pauvres ! et regardez désormais votre indigence comme le plus sublime degré d'élévation auquel un homme puisse aspirer: Glorietur frater humilis in exaltatione sua. Confondez-vous donc, riches, à la vue de vos richesses, et regardezles comme le sujet de l'humiliation la plus profonde pour vous: Dives autem humilitate sua. (Jac. 1, 9.) Fuyons done, comme des séducteurs, tous ces mondains qui, exaltant les riches et l'état des richesses, dédaignent les pauvres et l'état de pauvreté; demeurons donc convaincus et persuadés que la pauvreté effective et volontaire, opposée à la concupiscence des yeux, est absolument nécessaire au salut, que la pauvreté effective et réelle, opposée à la passion des richesses, est, pour ceux qui sont appelés à ce conseil évangélique, le parti le meilleur, le plus utile, celui qui mérite leur préférence: Id ergo melius, id utilius, id potius eligendum. Ainsi raisonne, ainsi agit celui qui médite, en vrai disciple de Jésus-Christ, sur le mystère de sa nativité, parce qu'il voit en ce mystère un modèle parfait de pauvreté, un modèle auquel raisonnablement il ne peut refuser de se conformer.

3 Ce même mystère nous découvre un modèle admirable de la vertu opposée à la superbe de la vie, je veux dire de la vertu d'humilité, de l'amour des humiliations, de la recherche des occasions où on prévoit que

(68) S. BERNARD., scrm. 5 in Nat.

l'on sera humilié; car il n'est aucun de ces degrés d'humilité que Jésus-Christ ne parcoure à sa naissance. Il est au monde, et le monde ne le connaît point; il vient chez les siens, et les siens ne le reçoivent point; il est adoré des anges dans le ciel, et il est méprisé des hommes sur la terre; lui, qui est en tout égal à son Père, paraît revêtu de la forme d'un esclave, et devient semblable au dernier des hommes; elle se livre, la majesté suprême, à l'opprobre; la souveraine grandeur, à la profondeur des humiliations; la toute-puissance, à la faiblesse ; la sagesse, à la folie de la crèche; la plénitude des êtres, en sacrifice d'holocauste, d'expiation et d'impétration: quel excès d'humilité !

Il le faut, mes frères, pour remplir te grand dessein pour lequel il vient sur la terre. S'il y venait pour juger les vivants et les morts, il pourrait paraître environné de gloire et de majesté, ayant le ciel pour trône et la terre pour escabeau de ses pieds; mais il le déclare lui-même, il vient, cette première fois, non pour juger, mais pour sauver, c'est-à dire pour satisfaire à Dieu, à la place de l'homme coupable, et pour réformer l'homme pécheur.

Or, pour satisfaire à Dieu à la place de l'homme coupable, il faut réparer l'excès de son orgueil par un excès d'humilité. L'homme dit dans l'excès de son orgueil Je m'élèverai, je placerai mon trône au-dessus des astres, je serai semblable au Très-Haut il faut que le Verbe incarné dise: Je m'abaisserai, je me placerai au-dessous de tous les hommes, je serai semblable à un ver de terre et non pas à un homme: Ego autem sum vermis, et non homo. (Psal. XXI, 7.) C'est ainsi que l'humilité d'un Dieu, devenu horme, doit expier l'orgueil d'un homme qui avait prétendu à la divinité; c'est ce que fait Jésus enfant à sa sa naissance.

Pour réformer l'homme pécheur, il faut lui faire connaître et aimer la vertu opposéA au vice sur lequel il a besoin de réforme, et c'est encore ce que fait Jésus naissant. Ne vous glorifiez en rien; humiliez-vous en tout; apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. C'est la troisième leçon que Jésus enfant nous fait ; c'est ce que nous crient à l'envi son étable, sa crèche, ses larmes, ses langes: Clamat hoc stabulum, clamat præsepe, clamant lacrymæ, clamant panni (68). Serions-nous, mes frères, plas longtemps sourds à ces cris? la voix douce de ce divin enfant ne touche-t-elle pas notre cœur? ne lui inspire-t-elle pas autant d'horreur de la vanité que de goût pour l'humilité?

Ou suivre cette voix qui nous appelle, ou errer misérablement dans le chemin du saJut, point de milieu entre ces deux extrêmes: ou c'est ce Jésus qui se trompe, et qui nous trompe, en nous donnant l'exemple frappant d'une humilité si profonde: Aut iste fallitur: ou c'est nous qui nous trompons, en refusant de marcher sur ses traces: Aut

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