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pays où tous les étrangers indistinctement sont admis à succéder, que Louis XVI a cru devoir donner, le 9 novembre 1777, des lettres patentes pour exempter les Polonais du droit d'aubaine en France; car, dans le système que le sieur et la demoiselle Howard avaient inutilement soutenu devant le parlement de Paris et le conseil, ces lettres-patentes n'auraient point été nécessaires, puisque la république de Pologne avait, par un décret de la diete de 1768, aboli le droit d'aubaine à l'égard des biens appartenant aux étrangers qui décéderaient dans les États polonais.

[[ L'art. 726 du Code civil avait été rédigé dans le même esprit. Il commençait par dire qu'un étranger n'est admis à succéder aux biens que son parent, étranger ou Français, possède en France, que dans les cas et de la manière dont un parent succède à son parent possédant des biens dans le pays de cet étran ger; et il ajoutait : conformément aux dispositions de l'art. 11. Or, l'art. 11 porte que l'étranger jouit en France des mêmes droits civils que ceux accordés aux Français PAR LES TRAITÉS DE LA NATION A LAQUELLE CET ÉTBANGER APPARTIENT. Il est donc bien clair que, pour le droit de succéder, il fallait aux étran gers, tant qu'a subsisté l'art. 726 du Code civil, un traité fait entre notre gouvernement et leur nation, et que la seule raison de réciprocité ne pouvait pas leur servir de titre.

Mais la loi du 14 juillet 1819 en a disposé autrement, et a remis en vigueur l'art. 3 de la loi du 8-13 avril 1791, rappelé ci-dessus, no 2. V. les articles Etranger, S. 2, et Héritier, sect. 6, no 3. ]]

ART. V. De la qualité de parent requise pour succéder ab intestat.

Ce n'est pas assez, pour pouvoir succéder ab intestat, de n'être entaché d'aucune des qualités qui en rendent incapable; il faut encore être parent de celui dont il s'agit de recueillir la Succession.

La parenté ne produit même cet effet, qu'autant qu'elle est légitime, et qu'elle se trouve, au moins dans certains pays, à l'un des degrés dans lesquels les lois particulières ont limité le droit de succéder.

Il faut de plus qu'elle soit prouvée d'une manière authentique.

Reprenons chacun de ces trois points.

I. Le principe que la parenté légitime donne seule le droit de succéder, est déveJoppé à l'article Bátard. On a rendu compte au mot Légitime, sect. 3, §. 1, no 3, de l'exception qu'il souffre dans quelques coutumes de la Belgique, où il existe un droit de suc

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cessibilité réciproque entre les bâtards simples et leurs mères, ainsi que leurs parens maternels.

Il faut ajouter ici, que la même exception a lieu dans le Dauphiné. « C'est (dit Salvaing, » de l'Usage des fiefs, chap. 66) ce qui obli» gea M. de Boneton, procureur-syndic des » trois États de s'opposer (en février 1566) » à l'enregistrement des lettres patentes du » roi Charles IX, données à Toulouse, au » mois de mars 1565, par lesquelles il éta» blissait, en Dauphiné, le droit de bátar>> dise, comme étant contraire au droit com» mun de la province. Suivant cet usage, » la cour, procédant à la vérification de l'édit » de création du bureau des trésoriers de » France, du mois de décembre 1627, par le» quel la connaissance des matières de bâ» tardise leur était attribuée, déclara, par » son arrêt du 15 septembre 1628, qu'en ce » qui concerne la Succession des biens des » bátards, le droit commun et coutume de >> tous temps observés seraient suivis. Je l'ai » vu juger ainsi par deux arrêts, l'un du 13 >> mai 1652........, l'autre du 8 juillet 1662 ».

[[ Aujourd'hui, les enfans naturels succèdent à leur père et à leur mère, lorsque ceux-ci les ont reconnus légalement.

Mais ils ne succédent, ni aux parens de leur père, ni à ceux de leur mère.

V. ci-après, sect. 2, §. 2; et l'article Bátard, sect. 2.

Un enfant qui était conçu hors de mariage, au moment où s'est ouverte la Succession d'un de ses parens collatéraux, acquiert-il des droits à cette Succession, par l'effet de la légitimité dont l'investit le mariage contracté, avant sa naissance, entre son père et sa mère?

Cette question s'est présentée, avec une autre qui est indiquée sous le mot Réversion, sect. 3, no 2, dans une espèce fort remarquable.

Marie Hainault, veuve de Gatien Aubert, premier du nom, domiciliée à Vauvray, arrondissement de Tours, avait deux enfans : Gatien Aubert, second du nom, marié à Marie Vaugondy, et Marie Aubert, mariée à Grégoire Rossignol.

Par acte notarié du 9 pluviôse an 8, elle fait démission, à ses deux enfans, tant de ses propres que de la moitié des acquéts de la communauté avec son défunt mari.

<< Quant aux autres biens (ajoute cet acte) qui font partie de la présente démission, et même la partie des immeubles de la Succession de Gatien Aubert, qui n'auraient pas

fait partie du douaire, ils seront entretenus, cultivés, façonnés, en bon père de famille, par les démissionnaires; et la moitié de tous les fruits de toute espèce, qui croîtront sur lesdits domaines, appartiendront à ladite veuve Aubert.

» Les vendanges des vignes seront faites par les démissionnaires et à leurs frais; elles seront conduites dans le pressoir de ladite veuve Aubert; elles y seront pressurées ; et le. vin qui en proviendra, sera partagé à l'anche du pressoir, par moitié et égale portion, entre les démissionnaires et ladite veuve Aubert, laquelle se fournira de futailles.

» Quant aux autres fruits et grains, ils seront partagés par moitié sur le sol qui les aura produits.

» Lesdits démissionnaires fourniront chaque année, à ladite veuve Aubert, un cent de javelles, rendues à son domicile.....

» Les impositions seront payées par moitié, entre ladite veuve Aubert et les démissionnaires ».

Le 17 prairial an 13, décès de Gatien Aubert, laissant, de son mariage avec Marie Vaugondy, un enfant nommé Gatien-Louis. Celui-ci meurt en bas âge, le 26 juillet 1807, laissant pour héritiers légitimes, conformément à l'art. 746 du Code civil, Marie Hainault, son aïeule paternelle, et Marie Vaugondy, sa mère.

Le 11 août de la même année, Marie Vaugondy épouse en secondes noces Julien Guilbert.

Le 1er janvier 1808, elle accouche d'une fille, nommée Marie-Anne, dont Julien Guilbert, son mari, se reconnait le père.

Le 2 mars suivant, Marie Hainault, veuve de Gatien Aubert, premier du nom, fait assigner Julien Guilbert et sa femme, devant le tribunal civil de l'arrondissement de Tours, et conclud

« A ce qu'il lui soit donné acte de la déclaration par elle faite et qu'elle réitere, qu'elle entend, conformément à l'art. 747 du Code civil, reprendre la partie de biens provenant de son chef, qui se trouve dans la Succession de Gatien-Louis Aubert, son petit-fils, compris en la démission qu'elle avait faite au père dudit mineur, le 9 pluviôse an 8; en tant que de besoin est ou serait, révoquant sadite démission;

» En conséquence, que lesdits biens lui scront et demeureront en propriété, avec restitution des fruits, suivant l'estimation qui en sera faite à dire d'experts, et les intérêts montant à......;

» Au surplus, attendu qu'au jour du décès dudit mineur Gatien-Louis Aubert, petit-fils d'elle requérante, il n'avait point de frères ni sœurs légitimes, que sa Succession, pour ce qui excede les biens sujets au retour, ou à l'effet de la révocation de démission de la requérante, lui appartiennent pour moitié, comme son aïeule paternelle, et pour l'autre moitié, à ladite femme Guilbert, sa mère, il soit dit que lesdits Guilbert et sa femme seront tenus de venir au partage de la Succession dudit mineur Gatien-Louis Aubert ». Julien Guilbert et sa femme répondent,

Au premier chef de cette demande, que l'acte du 9 pluviôse an 8 n'est pas sujet à révocation, parceque c'est un contrat à titre onéreux; que d'ailleurs la révocation ne pourrait pas en être scindée; qu'elle devrait porter sur la part assignée par cet acte à la femme Rossignol, comme sur celle de Gatien Aubert, premier du nom;

Au deuxième, que leur fille Marie-Anne ayant été conçue avant l'ouverture de la Succession de Gatien-Louis Aubert, celui-ci est censé être mort laissant pour héritiers une sœur utérine et sa mère; que, par conséquent, sa Succession doit, aux termes de l'art. 751 du Code civil, appartenir, pour une part, à celle-ci, et pour les trois autres parts, à celle-là; qu'ainsi, Marie Hainault n'a rien à prétendre dans cette Succession.

Marie Hainault réplique

1o Que l'acte du 9 pluviose an 8 porte tous les caractères d'une véritable démission de biens; que la démission de biens était universellement reconnue pour révocable à l'époque où cet acte a été passé; que d'ailleurs l'art. 747 du Code civil assure aux ascendans le droit de reprendre, dans les Successions leur ont donnes; de leurs enfans et descendans, les biens qu'ils

2o Que Marie-Anne Guilbert était illégitime au moment où s'est ouverte la Succession de Gatien-Louis Aubert; et que l'état de légitimité dans lequel elle est née, par l'effet du mariage contracté depuis entre son père et sa mère, ne peut pas avoir d'effet rétroactif.

Le 29 mai 1808, jugement par lequel,

« Considérant, dans le fait, que GatienLouis Aubert, fils d'un précédent mariage de la femme Guilbert avec Gatien Aubert, second du nom, est décédé le 27 juillet 1807, sous l'empire du Code civil; que les art. 748 et suivans du Code, jusques et compris le 752o, appellent les père et mère, frères et sœurs, à la Succession du défunt, exclusivement aux autres ascendans; que la Succession

est déférée, pour moitié, aux père et mére qui la partagent entr'eux, et l'autre moitié aux frères et sœurs; que, s'il n'y a que le père ou la mère qui ait survécu, le survivant ne prend que le quart; qu'enfin, les frères et sœurs, quoique d'un côté seulement, excluent tous les parens de l'autre ligne; qu'à cette époque du 27 juillet 1807, qui est celle de l'ouverture de la Succession de Gatien Louis Aubert, la femme Guilbert, encore veuve de Galien Aubert, son premier mari, décédé en 1805, était enceinte de Marie-Anne Guilbert; qu'alors, les parties de Pasquier (Julien Guil bert et Marie Vaugondy) se disposaient à s'épouser, et que quelques-uns des actes preliminaires à leur mariage, qui a été contracté le 11 août 1807, ayaient précédé le décès de Gatien-Louis Aubert; que Marie-Anne Guilbert est née le 1er janvier 1808; que Guilbert a assisté à son acte de naissance, et l'a reconnue pour sa fille; qu'il en résulte qu'elle est née fille légitime de Julien Guilbert et de Marie Vaugondy, son épouse;

» Cónsidérant, en conséquence, en ce qui touche le chef de demande de la partie de Veron (Marie Hainault ), tendant au partage de la succession de Gatien-Louis Aubert, comme y étant appelée pour moitié, en qualité d'aïeule paternelle, que, suivant le droit ancien adopté

par

le nouveau, l'art. 725 du Code civil, l'enfant conçu est capable de succéder ; que l'enfant dans le sein de sa mère, n'a encore aucun état ; mais qu'il est réputé né pour tout ce qui lui est avantageux, et que ses droits lui sont conservés sous la condition toutefois qu'il naitra capable de les recueillir; c'est ce qu'indique l'art. 725 précité, qui exige que l'enfant conçu lors de l'ouverture d'une Succession, naisse viable, pour être capable de la recueillir, disposition qui n'est point limitative au cas de la vie, mais démonstrative des conditions de capacité, à l'instant de la naissance, et d'après laquelle on doit dire que Marie-Anne Guilbert a été saisie, dans le sein de sa mère, de sa portion dans la Succession de Gatien-Louis Aubert, son frère utérin, sous les conditions qu'elle naîtrait viable et legitime. Ce double evenement ayant eu lieu, il s'ensuit qu'elle exclud la veuve Aubert, parceque c'est au moment de la naissance que se réalisent en faveur de l'enfant, les droits ouverts depuis sa conception;

» En ce qui touche les chefs de conclusions de la partie de Veron, tendant à reprendre, soit par droits de retour, comme donataire, soit par suite de révocation, comme démettante, la part de Gatien-Louis Aubert des biens compris dans l'acte du 9 pluviose an 8,

passé entr'elle, Gatien Aubert et la femme Rossignol,

» Considerant que l'art. 747 du Code civil n'établit le droit de retour, en faveur de l'ascendant donateur, que dans la Succession du donataire décédé sans postérité; qu'il ne s'agit point ici de la Succession de Gatien Aubert, mais de celle de Gatien-Louis Aubert, son fils, auquel partie des biens compris en l'acte du 9 pluviose an 8, était advenue à titre d'hérédité; qu'ainsi ledit art. 747 n'est pas applicable au fait de la cause, en prenant cet acte sous le rapport d'une donation; que, si on le considère sous celui de demission, et si l'on considere même qu'en droit un arrangement de famille de la nature de celui dont il s'agit, est susceptible de révocation, la révocation n'en pourrait être admise qu'autant qu'elle serait intégrale; et la veuve Aubert déclarant ne révoquer que relativement à la portion échue à Gatien-Louis Aubert, dans la Succession de son père, elle y est non-recevable, parcequ'une révocation partielle dérangerait l'équilibre qu'un arrangement de famille doit conserver entre tous les héritiers, si l'on veut lui imprimer le vrai caractère d'une demission, de n'être qu'une Succession anticipée, déférée comme démissionnaire, comme ab intestat, et dans l'ordre de la nature;

» Considérant, enfin que, la femme Guilbert ne peut être fondée que pour un quart dans la Succession de Gatien-Louis Aubert, son fils, puisqu'elle la recueille en concurrence avec sa fille, sœur du défunt, et qu'il y a erreur dans la qualité d'héritière pour moitié qu'elle a prise dans l'instruction et dans ses conclusions; le réquisitoire du ministère public, tendant à la réformation de cette erreur, doit être adopté comme ayant pour objet la juste application de la loi et la conservation des droits d'une mineure, confiées, l'une et l'autre, à sa surveillance;

» Faisant droit par jugement en première instance, déclare la partie de Veron non-recevable, tant dans sa demande en partage de la Succession de Gatien-Louis Aubert, son petit-fils, que dans celle tendante à reprendre, par droit de retour, la portion de biens echue à Gatien Aubert, son fils, par suite de l'acte dug pluviose an 8, et recueillie, dans la Succession de ce dernier, par GatienLouis Aubert;

>> En ce qui touche la demande de la partie de Veron, en révocation dudit acte, pour ce qui concerne seulement ladite portion, le tribunal, sans rien préjuger sur la nature ni sur les effets de l'acte du 9 pluviose an 8, déclare, quant à présent, la partie de Veron

non-recevable dans ce chef de demande; » Faisant droit sur les conclusions du ministère public, le tribunal déclare MarieAnne Guilbert héritière, pour les trois quats, de Gatien-Louis Aubert, son frère uterin, et la femme Guilbert, sa mère, pour l'autre quart; ordonne, en conséquence, que la qualité d'héritière pour moitié, prise par la femme Guilbert, demeure réformée : le tribunal condamne la partie de Veron aux dépens; ce qui sera exécuté conformément à la loi ».

Marie Hainault appelle de ce jugement; mais par arrêt du 16 février 1809,

<< En ce qui touche le chef de la demande formée à la requête de la partie de Baudry (Marie Hainault), aux fins de réglement et partage de la Succession de Gatien-Louis Aubert, Adoptant les motifs énoncés au jugement dont est appel;

»

» En ce qui touche le chef de ladite demande, relatif au droit de succéder, en vertu de l'art. 747 du Code civil, aux choses portées dans l'acte du 9 pluviose an 8, considéré comme donation,

» Attendu que ledit acte ne porte point, de l'aveu même de la partie de Baudry (Marie Hainault), le caractère constitutif d'un acte de ce genre;

» En ce qui touche le chef de ladite demande, concernant la révocation dudit acte, considéré comme démission,

» Attendu que cette demande n'a point été formée contre partie ayant qualité suffisante pour y défendre.

» La cour (d'appel d'Orléans) met l'ap pellation au néant.......... ».

Recours en cassation, de la part de Marie Hainault, contre cet arrêt.

« Trois moyens de cassation (ai-je dit à l'audience de la section civile, le 11 mars 1811) sont employés à l'appui du recours qui vous est soumis:

» Violation des art. 739 et 724 du Code civil, en ce que la cour d'appel d'Orléans a déclaré que les héritiers de Gatien Aubert étaient sans qualité pour défendre à une demande en révocation d'une demission de biens, qui aurait pu être dirigée contre Gatien Aubert lui-même;

» Contravention au principe de la révocabilité des démissions de biens, et à l'art. 747 du Code civil, en ce que la cour d'appel d'Orleans a rejeté tout à la fois, et la demande de Marie Hainault en révocation de la démis sion de biens qu'elle avait faite le 9 pluviose an 8, au profit de ses enfans, et la demande en reprise des biens qu'elle avait, par cet.

acte, abandonnés à Gatien Aubert, son fils; » Violation des art. 718, 724, 725, 746, 747 et 576 du Code civil, en ce que la cour d'appel d'Orléans a jugé capable de succéder un enfant conçu et non encore né, qui était illegitime à l'époque de l'ouverture de la Succession qu'il s'agissait de recueillir.

» Le premier de ces moyens serait incontestablement fondé, si, d'une part, il était reconnu, par l'arrêt attaqué, que l'acte du g pluviose an 8 est une véritable démission de biens; et que, de l'autre, il fût décidé par quelque loi, que, sous l'ancienne jurisprudence, non-seulement les démissions de biens étaient révocables au gré de leurs auteurs, mais encore qu'elles ne pouvaient pas être révoquées partiellement.

Mais, d'abord, l'acte du 9 pluviôse an 8 nous paraît manquer de l'une des conditions qui, dans l'ancienne jurisprudence, étaient assez généralement regardées comme nécessaires pour former une véritable démission de biens. Par cet acte, Marie Hainault n'abandonne à ses enfans que ses propres et sa portion dans les conquêts de la communauté qui a existe entr'elle et son mari; elle se reserve tous ses autres biens. Or, écoutons Boullenois, dans ses Questions sur les Démissions de biens, page 55:

» Les démissions de biens n'ayant pour objet que de prévenir l'ouverture de la Succession, et de mettre en possession, par anticipation du droit successif, il est nécessaire que les démissions soient de tous biens, parce qu'un droit successif est toujours un droit universel, et que la loi ne défère pas une Succession pour partie seulement; aussi d'Argentrée observe que la démission s'appelle bonorum omnium spontanea abdicatio. Si la démission n'est pas de tous les biens, elle perd les prérogatives de la démission, ou plutôt elle n'est plus démission, mais donation ou autre contrat. C'est pourquoi je ne croirais pas, ainsi que le pense néanmoins Lebrun, en son Traité des Successions, liv. 1, chap. 1, sect. 5, qu'un père pút se démettre de la simple propriété ou du simple usufruit, ou d'une partie de ses biens, parceque, dès-lors, la démission n'imite plus la nature, en prévenant le cas de la mort, et n'est plus une anticipation du droit successif. J'en excepte néanmoins le cas où le démettant aurait fait réserve de l'usufruit, pour en jouir à titre de constitut et de précaire ; car, dès-lors, il y a tradition par voie feinte, et l'usufruit réservé tient lieu des alimens qui sont dus au père.

» Lors de la réformation de la coutume de

Bretagne comme on demeura persuadé, dans cette province, que les démissions empruntaient beaucoup de la nature des contrats, et qu'à cause de ce, on les tenait irrévocables, on permit, par l'art. 537, aux pères, mères et autres personnes de se démettre, en tout ou partie, de la propriété de leurs biens; mais comme, parmi nous, démissions sont de véritables dispositions à cause de mort, qui ne tendent qu'à anticiper le droit héréditaire, ces dispositions doivent être du total des biens, à l'exemple de la loi qui défère le total.

les

» Non-seulement la démission doit être universelle, mais même elle doit être faite par forme d'universalité. Car si le démettant, donnant le tout, ne le donne pas à titre d'universalité, mais à titre singulier, ce n'est plus une démission, c'est une donation particulière qui ne sera pas sujette à révocation comme la démission, en cas qu'elle soit revétue des formalités de la donation entre-vifs, suivant l'arrêt de 1657, cité par Ricard. Aussi, M. Talon, avocat-général, dans son plaidoyer, lors de l'arrêt de 1671, rapporté sur la question 17, fit difficulté de regarder une donation faite par père et mère, à tous leurs enfans, comme une démission, les père et mère s'étant réservé une portion de leurs biens; il ne fit qu'en proposer le doute, sans discuter la question, dont il trouva l'examen inutile pour la décision de la contestation qui se présentait. Mais ce fut par cette raison d'universalité de biens, que M. Brisson, avocat général, se détermina, lors de l'arrêt de 1578, rapporté en la méme question 17, pour soutenir qu'une donation faite par père et mère, entre tous leurs enfans, devait être regardée comme une démission, quoique cette donation füt qualifiée entre-vifs et fit insi nuée , parceque, contenant une disposition de tous biens, inter liberos, c'était un vrai partage, ejusmodi divisio inter liberos supremi judicii vim obtinet.

» Quand nous disons que la démission doit étre de l'universalité de tous les biens, nous ne prétendons pas empêcher les démettans de retenir quelques meubles pour leur usage, comme ceux servant à leur personne, ceux de leurs appartemens, et même de se réserver la disposition, par testament ou autrement, de quelques effets ;une donation entre-vifs et de tous les biens n'en est pas moins universelle, parceque le donateur a fait quelque réserve; il suffit que la disposition puisse, par elle-même, embrasser généralement tous les biens, et que la réserve ne soit que de quelque chose en particulier.

TOME XXXII.

» Quel peut donc être l'effet d'un acte qualifié de démission, qui n'est que de certains biens, et non universelle? Je réponds que cet acte ne peut être, ou qu'une donation entre-vifs, s'il en a les formalités, ou qu'un contrat innommé qui doit étre régi par les principes de ces sortes de contrats.

» Ensuite, quand nous considérerions l'acte du 9 pluviose an 8 comme une véritable démission de biens, à quelle loi l'arrêt attaqué aurait-il contrevenu, en jugeant que les adversaires de Marie Hainault n'avaient pas une qualité suffisante pour défendre à sa demande en révocation de cet acte?

» Il est clair que, si la cour d'appel d'Orléans a pu, sans violer aucune loi, rejeter d'une manière absolue la demande de Marie Hainault en révocation de l'acte du 9 pluviose an 8, elle a pu aussi, à plus forte raison, sans violer aucune loi, ne la rejeter que quant à présent, et surseoir à y faire droit, jusqu'à ce que Marie Hainault eût mis en cause le codémissionnaire de son fils Gatien Aubert.

» Or, quelle loi la cour d'Orléans auraitelle violée, si elle eût jugé que la prétendue démission de biens dont il s'agit, était irrévo

cable?

» Si, par là, elle eût contrarié l'opinion de Chopin, de Legrand, de Malicottes, de Taisand, de Ricard, de Lebrun, de Boullenois, de Pothier et de beaucoup d'autres, elle se serait du moins conformée, nous ne dirons pas seulement à celle des jurisconsultes bretons et normands (car tout le monde sait qu'ils regardaient uniformément les démissions de biens comme irrevocables), mais encore à celle de Loysel, de Coquille, d'Auzanet, de M. le premier président de Lamoignon, de Ferrière, de Furgole, et surtout à celle de Pallu, qui a écrit sur la coutume de Touraine, dans le ressort de laquelle a été passé l'acte du 9 pluviose an 8 et sont situés les biens qui en forment l'objet (1).

» Cette diversité d'opinions sur une matière aussi usuelle, est déjà une grande preuve que la loi l'avait laissée sans regle fixe. Mais ce qui le prouve encore mieux, c'est la réponse qui fut faite par l'art. 18 du décret de la convention nationale du 22 ventóse an 2, à des petitions qui tendaient à faire décider si les démissions devaient être considérées comme des donations entre-vifs, ou comme des dispositions à cause de mort: Si la loi du 17 nivóse (porte cette réponse) ne s'est point particulièrement expliquée sur les démissions de biens, c'est que ces dispositions, révoca

(1) V. l'article Démission de biens, §. 3.

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