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Il nous reste à examiner les effets de la déclaration de guerre sur les servitudes. Exception faite pour les conventions conclues en vue de la guerre telles que la déclaration de Paris du 16 avril 1856 relative à la course, à l'immunité de la marchandise neutre et de la marchandise ennemie sous pavillon neutre, au blocus, la convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, la déclaration de St-Pétersbourg sur les balles explosibles, etc., la rupture des relations pacifiques entre deux Etats entraîne la résolution des traités qui n'ont pas reçu leur exécution intégrale, et pour les remettre en vigueur à la fin des hostilités il faut une clause expresse. « On n'est pas d'accord, écrit M. Louis Renault (1), sur l'effet que produit la déclaration de guerre par rapport aux traités conclus antérieurement par les belligérants; la solution qui tend à prévaloir surtout dans la pratique est que ces traités, même ceux qui concernent des intérêts privés ou judiciaires, sont anéantis par l'état de guerre et ne revivent pas de plein droit par le rétablissement de la paix ».

Cette manière de penser n'est en somme qu'une application de la règle rebus sic stantibus, car évidemment la situation respective des contractants est modifiée par le seul fait de la belligérance.

Les servitudes réelles subsistent malgré la déclaration de guerre; seulement leur exercice est suspendu pendant toute la durée des hostilités.

(1) Revue critique, 1881, p. 474-475.

Cela vient de ce qu'elles sont une charge pour le territoire non pour l'Etat personne morale et on sait que la guerre est une relation d'Etat à Etat. La distinction est un peu subtile, mais elle est admise par la pratique internationale: les guerres du premier Empire avec l'Angleterre n'ont pas résolu notre droit de pêche sur la côte de Terre-Neuve. En étudiant les capitulations dans la partie historique de ce travail nous aurons à entrer dans des développements au sujet de leur extinction.

CHAPITRE IV

DISTINCTION DES SERVITUDES D'AVEC CERTAINES SITUATIONS PRÉSENTANT QUELQUE ANALOGIE AVEC ELLES.

Nous avons vu que les servitudes consistent toujours dans une obligation de laisser faire ou de ne pas faire, in patiendo vel in non faciendo (1). De là vient leur division naturelle en positives et négatives. Toutefois pour les passer en revue, il nous paraît préférable d'adopter une autre méthode ; c'est d'envisager successivement les attributs de la souveraineté et de grouper autour de chacun les diverses servitudes qui l'affectent.

Avant d'entrer en matière il convient de dire un mot

(1) Par là se trouve éliminée de notre sujet l'obligation de payer tribut; autrefois les puissances maritimes payaient une somme aux Etats barbaresques pour se mettre à l'abri de leurs pirateries (c'était ce qu'on appelait obtenir la passe algérienne).

Aujourd'hui la République d'Andorre paie une redevance annuelle de 960 francs à la France et bisannuelle de 841 francs à l'évêque d'Urgel. La principauté de Bulgarie, d'après l'article 9 du traité de Berlin, est redevable envers la Turquie d'un tribut établi sur le revenu moyen du territoire d'ailleurs elle ne l'a jamais acquitté.

Dans le cours de l'existence du Saint-Empire romain germanique et notamment lors du recès du 25 février 1803, des principautés minuscules furent réunies à des Etats plus importants; c'est ce qu'on appelait médiatiser parce que les princes inféodés ne dépendaient plus de l'Empereur immédiatement mais par l'intermédiaire d'un suzerain. Ils étaient dédommagés par la convention du

de certaines situations créées par la politique qui opèrent un déplacement de souveraineté. Les unes sont tombées en désuétude, les autres existent actuellement. Autrefois la pratique internationale avait fréquemment recours à l'hypothèque. Pour garantir ses engagements un Etat cédait une portion de son territoire; on voit que l'hypothèque n'était pas un démembrement éventuel, mais actuel, elle correspondait à l'antichrèse du droit privé (1). L'Etat créancier prenait possession du territoire engagé et en cas de non-paiement au terme convenu en devenait définitivement propriétaire. C'est même ce qui arrivait généralement. La Corse hypothéquée à la France par la République de Gênes (traité de 1756) fut annexée au royaume en 1768. Il est vrai que les Génois n'auraient jamais réussi à rétablir leur autorité dans l'île qui s'était insurgée contre eux et qu'en cédant une souveraineté purement nominale, ils s'acquittaient de leurs dettes à bon compte. Le pays de Vaud remis aux cantons de Berne et de Fribourg pour garantir les dettes contractées par le duc de Savoie fut gardé

droit aux honneurs royaux et par des rentes perpétuelles mises à la charge des Etats auxquels ils s'étaient rattachés.

(1) Toutefois on ne peut pas pousser l'assimilation bien loin parce que, dans le droit privé, le contrat d'antichrèse ne saurait contenir la clause compromissoire en vertu de laquelle le créancier non payé à l'échéance du terme acquerrait de plein droit la propriété de l'immeuble; l'intervention de la justice est obligatoire dans l'intérêt du débiteur. En droit international dans la pratique ancienne, rien ne faisait obstacle à l'introduction de la clause compromissoire, elle était même sous-entendue.

par les créanciers non désintéressés et devint plus tard un canton suisse.

En tout cas, la souveraineté de l'Etat cédant était complètement suspendue pendant toute la durée de l'occupation hypothécaire. Il n'y avait pas servitude, mais transfert de la souveraineté. Un pareil procédé est tout à fait inconciliable avec le principe de la souveraineté nationale; aussi l'hypothèque actuellement usitée dans la pratique internationale a-t-elle une portée toute différente. L'Etat débiteur se borne à donner une délégation sur certaines sources de ses revenus (douanes, monopole du tabac, etc.) ou sur le produit des biens composant son domaine privé (1).

On ne saurait voir non plus une servitude dans l'obligation imposée au vaincu par l'Etat vainqueur de laisser occuper militairement une partie de son territoire jusqu'au paiement de l'indemnité de guerre. Cette clause est pour ainsi dire de style dans les traités de paix; elle se trouvait dans le traité de Francfort du 10 mai 1871 (art. 8); le traité de Shimonoseki du 17 avril 1895, qui mit fin à la guerre entre la Chine et le Japon, stipula que « comme garantie de l'accomplissement fidèle des stipulations de l'acte, la Chine consentait à l'occupation temporaire par les forces du Japon de Weï

(1) Le fait pour un Etat de donner hypothèque à ses créanciers est un engagement dépourvu de sanction; sa rupture ne peut motiver l'intervention d'une puissance étrangère. Il n'y a de servitude que si l'Etat soumet ses finances à la surveillance des représentants d'un ou de plusieurs Etats.

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