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caractère de rémunération d'un service rendu. D'ailleurs un Etat ne pourrait pas de sa seule autorité établir de pareilles taxes; il doit obtenir l'assentiment de ses coriverains. Une autre conséquence de la libre navigation c'est l'obligation pour les riverains d'adopter une réglementation commune. Ceci pourrait faire croire que la propriété des fleuves internationaux reste forcément indivise. A notre avis, il n'en est rien (1); en matière internationale propriété équivaut à souveraineté, or il n'y a point de souveraineté indivise sur le fleuve. Chaque riverain est souverain sur la partie comprise dans son territoire; s'il doit se mettre d'accord avec les autres pour édicter une réglementation unique, par contre il a seul qualité pour en surveiller l'exécu

(1) Une partie de la doctrine admet le droit de propriété absolue de chaque riverain sur la section de fleuve qui traverse son territoire, d'où résulte le droit de l'interdire au commerce international.

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L'indépendance des Etats, dit Klüber, se fait particulièrement remarquer dans l'usage libre et exclusif du droit des eaux, dans toute son étendue, tant dans le territoire maritime que dans ses fleuves, rivières, canaux, lacs et étangs. Cet usage n'est restreint que lorsque l'Etat y a renoncé par convention en tout ou partie ou qu'il s'est engagé à y laisser concourir quelqu'autre Etat. On ne pourrait même l'accuser d'injustice s'il défendait tout passage de bateaux étrangers. » Klüber, Droit des gens moderne de l'Europe, no 76, p. 122. G. F. de Martens partant du même principe repousse la conséquence et demande le droit de passage innocent. Précis du droit des gens, t. 1, no 152, p. 335.

Heffter admet que l'Etat souverain d'une section de fleuve peut en exclure les étrangers à moins que ce fleuve ne constitue pour eux un moyen de communication indispensable. « Un fleuve qui serait une voie de communication indispensable pour la subsistance d'une autre nation ne pourrait lui être fermé. » Droit international de l'Europe, traduction Bergson, no 77, p. 156.

tion dans sa sphère. Telle est du moins la règle ; une exception constituerait une servitude. La situation normale présente le caractère du consortium et non celui du condominium.

Voilà des cas où le droit d'usage exclusif du territoire comporte des dérogations. Certains auteurs, F. de Martens (1) entre autres, voient des servitudes naturelles dans ces obligations dérivant de la situation topographique; le terme est impropre. Une servitude résulte toujours d'une convention expresse ou tacite.

Or les obligations dont nous traitons sont des modes de la propriété territoriale et si des conventions les constatent (il en est ainsi pour les fleuves) c'est pour en régler l'exécution, non pour les créer.

Vis-à-vis du territoire, la souveraineté s'analyse dans le droit d'usage exclusif tempéré de quelques dérogations (2); relativement à la population, elle consiste dans le droit d'empire et de juridiction. Nous allons passer très brièvement en revue les obligations qui limitent dans une certaine mesure l'exercice de ce droit.

Le principe que l'autorité de l'Etat régit toutes les personnes qui se trouvent sur son territoire subit une

(1) Traité de Droit international, p. 480, édition de 1883.

(2) « Un droit fondamental des nations est celui de remplir leur mission avec une entière indépendance. Chaque nation est donc libre de régler à son gré les formes de son gouvernement, les lois et les institutions pour son administration intérieure, ainsi que les mesures de politique extérieure, sauf les restrictions qu'un droit d'intervention ou le respect dû aux autres nations pourraient imposer aux velléités gouvernementales. » Heffter, op. cit., p. 61.

exception remarquable du chef de la fiction d'exterritorialité. Les souverains séjournant en pays étranger soit en qualité de chefs d'Etat, soit incognito jouissent de l'immunité de juridiction. Leur personne est inviolable et leurs actes échappent à la compétence des tribunaux. Il en est de même pour les agents diplomatiques; s'ils commettent un crime ou un délit ils ne pourront être l'objet d'aucune mesure de rigueur de la part de l'Etat auprès duquel ils sont accrédités, sauf qu'il pourra exiger leur rappel et leur châtiment du gouvernement qu'ils représentent. Les ambassadeurs ne sont pas justiciables des tribunaux civils même à propos d'obligations contractées en qualité de simples particuliers. Cette double immunité, destinée à leur permettre de remplir leur mission en toute indépendance, s'étend à leur famille et à leur suite officielle (conseillers, secrétaires). Cependant il ne faut pas prendre le terme d'exterritorialité au pied de la lettre, on s'exposerait à faire revivre les abus qui se produisaient autrefois lorsque les Etats s'accordaient la franchise du quartier où était situé l'hôtel de l'ambassadeur, ce qui entraînait, outre le droit d'asile, l'exemption de la juridiction locale pour les habitants du quartier.

La fiction d'exterritorialité ne désigne qu'un ensemble de privilèges bien définis. Dans le cas de crime commis à l'intérieur d'une ambassade par des personnes étrangères à la mission, il est certain que les coupables n'en sont pas moins justiciables de l'autorité locale et

pour s'emparer des criminels réfugiés on n'a pas à recourir à la procédure d'extradition; la police opère leur arrestation sur la requête ou l'autorisation de l'ambassadeur.

Les consuls n'ont pas le caractère représentatif; cependant la pratique internationale leur reconnaît certaines immunités nécessaires à l'accomplissement de leurs fonctions; ils ne peuvent être cités devant la juridiction civile à l'occasion des actes accomplis en leur qualité officielle dans les limites de leurs pouvoirs et surtout les archives consulaires sont inviolables, c'està-dire non susceptibles de perquisition ou de saisie. L'Angleterre seule ne reconnaît pas ce principe.

L'exterritorialité reparaît dans la situation faite aux navires de guerre étrangers. C'est une pure faculté pour un Etat de les admettre dans ses ports: mais quand il le fait, il doit considérer le vaisseau comme une portion flottante du territoire de l'Etat dont il porte le pavillon. En conséquence, les autorités locales ne peuvent faire à bord aucun acte de commandement, par exemple y poursuivre et arrêter des délinquants; les crimes et délits qui pourraient être commis sur le navire même par des personnes ne faisant pas partie de l'équipage sont de la compétence de la juridiction répressive étrangère. Dans un ordre d'idées voisin, ajoutons que la situation des navires de commerce étrangers présente quelques particularités. Outre que les autorités locales sont incompétentes pour tout ce qui concerne la disci

pline intérieure du navire, elles n'ont le droit d'intervenir pour la répression des crimes ou délits que si elles en sont requises par le capitaine ou si la tranquillité du port a été troublée (1).

Le principe du respect mutuel des droits primordiaux impose à tous les Etats le devoir de s'opposer à ce que soient fomentés sur le territoire des complots contre l'intégrité d'une nation. Les Etats-Unis y ont manqué en fermant les yeux sur les expéditions flibustières qui s'organisaient à peu près ouvertement dans les ports de la Floride pour aller donner la main aux insurgés de Cuba. Mais il ne faut pas pousser le principe trop loin et par exemple nous ne comprenons pas que la question suivante soit controversée: un Etat estil fondé à déclarer licites les conventions tendant à faire de la contrebande au préjudice d'un autre Etat? La plupart des jurisprudences (française, anglaise, américaine) se sont prononcées pour l'affirmative, estimant que les règlements restrictifs de la liberté commerciale sont arbitraires et que leur violation ne porte pas atteinte au droit naturel, n'est pas immorale.

Par contre la Cour suprême de Berlin (2) a déclaré

(1) En Angleterre, une pratique différente est en vigueur; les tribunaux du pays se déclarent compétents pour tous les crimes ou délits commis à bord des navires de commerce, même quand la tranquillité du port n'a pas été troublée et même si le navire ne fait que passer dans les eaux anglaises sans y séjourner.

(2) Arrêt cité par Heffter, Le droit international de l'Europe, trad. Bergson avec notes de Geffcken (p. 65).

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