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Napoléon chercha tout de suite quel homme il nommerait à la place de l'amiral Latouche. « Il n'y >> a pas un moment à perdre, écrivit-il au ministre >> Decrès, pour envoyer un amiral qui puisse com>> mander l'escadre de Toulon. Elle ne peut pas être >> plus mal qu'elle n'est aujourd'hui entre les mains » de Dumanoir, qui n'est pas capable de maintenir >> la discipline dans une si grande escadre, ni de la » faire agir..... Il me para't que pour l'escadre de >> Toulon, il n'y a que trois hommes, Bruix, Ville» neuve, ou Rosily. Vous pouvez sonder Bruix. Je » crois à Rosily de la bonne volonté, mais il n'a >> rien fait depuis quinze ans... Toutefois il y a une >> chose urgente, c'est de prendre un parti... >>

( 28 août 1804.)

Sept. 1804.

obligé de différer son expédition, songe à rendre permanent l'établissement naval et militaire créé

A partir de ce jour, il reconnut que l'établisse- Napoléon, ment naval et militaire qu'il avait créé à Boulogne, serait moins passager qu'il ne l'avait supposé d'abord, et il s'occupa sur les lieux mêmes d'en simplifier l'organisation, pour la rendre moins coûteuse, et pour ajouter aussi à sa perfection sous le rapport des manoeuvres. « La flottille, écrivait-il à Boulogne. » à Decrès, a été considérée jusqu'ici comme d'ex» pédition; il faut la considérer désormais comme >> établissement fixe, et dès ce moment porter la » plus grande attention à tout ce qui doit être im» muable, en la régissant par d'autres règles que >> l'escadre. »

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Il simplifia, en effet, les rouages administratifs,

Sept. 1804.

supprima beaucoup de doubles emplois, provenant du rapprochement des armées de terre et de mer, révisa tous les appointements, s'occupa, en un mot, de faire de la flottille de Boulogne une organisation à part, qui, coûtant le moins possible, pourrait durer autant que la guerre, et continuer d'exister dans le cas où l'armée serait obligée de quitter pour un moment les côtes de la Manche.

Il imagina aussi la division en escadrilles, pour mettre plus d'ordre dans les mouvements de ces 2,300 bâtiments. La distribution définitivement adoptée fut la suivante: neuf chaloupes ou bateaux canonniers formaient une section, et portaient un bataillon; deux de ces sections formaient une division, et portaient un régiment. Les péniches, ne pouvant contenir que la moitié moins de monde, devaient être doubles en nombre. La division de péniches était composée de 4 sections, ou 36 péniches, au lieu de 18, afin de suffire à un régiment de deux bataillons. Plusieurs divisions de chaloupes, bateaux et péniches, formaient une escadrille, et devaient transporter plusieurs régiments, c'est-à-dire, un corps d'armée. A chaque escadrille étaient joints un certain nombre de ces bâtiments de pêche ou de cabotage, qu'on avait disposés pour embarquer les chevaux de la cavalerie et les gros bagages. La flottille tout entière était divisée en huit escadrilles, deux à Etaples pour le corps du maréchal Ney, quatre à Boulogne pour le corps du maréchal Soult, deux à Wimereux deux à Wimereux pour l'avant

garde et la réserve. Le port d'Ambleteuse, dans le nouveau projet qu'on avait eu le temps de mûrir, était destiné à la flottille batave, et celle-ci était chargée de transporter le corps du maréchal Davout. Chaque escadrille était dirigée par un officier supérieur, et manœuvrait en mer d'une manière indépendante, quoique combinée avec l'ensemble des opérations. De la sorte, les distributions de la flottille se trouvaient complétement adaptées à celles de l'armée.

Sept. 1804.

Choix d'un nouvel amiral pour remplacer l'amiral

ville.

L'amiral

Villeneuve.

Pendant ce temps, l'amiral Decrès avait fait appeler auprès de lui les amiraux Villeneuve et Missiessy, pour leur proposer les commandements vacants. Considérant Bruix comme indispensable à Latouche-TréBoulogne, Rosily comme trop déshabitué de la mer, il avait regardé Villeneuve comme le plus propre à commander l'escadre de Toulon, et Missiessy celle de Rochefort, que Villeneuve devait laisser vacante. L'amiral Villeneuve, dont le nom est entouré d'une malheureuse célébrité, avait de l'esprit, de la bravoure, la connaissance pratique de son état, mais n'avait aucune fermeté de caractère. Impressionnable au plus haut point, il était capable de s'exagérer sans mesure les difficultés d'une situation, et de tomber dans cet état d'abattement, où l'on n'est plus maître de son cœur et de sa tête. L'amiral Missiessy, moins habile, mais plus froid, était peu susceptible de s'élever, mais peu susceptible aussi de se laisser abattre. L'amiral Decrès les manda tous deux, essaya de vaincre chez eux la démoralisation, qui s'était emparée non pas des matelots et des officiers, tous remplis d'une noble ardeur, mais des commandants de

TOM. V.

14

Sept. 1804.

L'amiral Missiessy nommé

nos flottes, lesquels avaient à perdre dans les batailles ce qu'ils estimaient plus que la vie, c'est-à-dire leur renommée. Il fit accepter à l'amiral Missiessy le commandement de l'escadre de Rochefort, et à l'amiral Villeneuve l'escadre de Toulon. Il avait pour ce derde Rochefort; nier une amitié qui remontait aux premiers temps de

au commande

ment

de l'escadre

l'amiral Villeneuve à celui de l'escadre de Toulon.

leur enfance. Il lui avoua le secret de l'Empereur, et l'immense opération à laquelle était destinée l'escadre de Toulon. Il exalta son imagination en lui montrant une grande chose à exécuter, et de grands honneurs à obtenir. Déplorable tentative d'une vieille amitié! Cette exaltation d'un instant devait faire place chez Villeneuve à un abattement funeste, et amener pour notre marine les plus sanglants revers.

Le ministre se hâta d'écrire à l'Empereur le résultat de ses entretiens avec Villeneuve, et l'effet produit sur cet officier par les perspectives de danger et de gloire qu'il lui avait ouvertes '.

1 Nous citons la lettre de l'amiral Decrès, car il est important de savoir comment fut nommé l'homme qui a perdu la bataille de Trafalgar, Sire, écrivait-il, le vice-amiral Villeneuve et le contre-amiral Missiessy sont ici.

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J'ai entretenu le premier du grand projet...

Il l'a entendu froidement, et a gardé le silence quelques moments. Puis, avec un sourire très-calme, il m'a dit : Je m'attendais à quelque chose de semblable; mais, pour être approuvés, de semblables projets ont besoin d'être achevés.

Je me permets de vous transcrire littéralement sa réponse dans une conversation particulière, parce qu'elle vous peindra mieux que je ne pourrais le faire l'effet qu'a produit sur lui cette ouverture. Il a ajouté: Je ne perdrai pas quatre heures pour rallier le premier; avec les cinq autres et les miens, je serai assez fort. Il faut être heureux, et, pour savoir jusqu'à quel point je le suis, il faut entreprendre.

Nous avons parlé de la route. Il en juge comme Votre Majesté. Il ne s'est arrêté aux chances défavorables qu'autant qu'il le fallait pour me

Napoléon, qui avait des hommes une connaissance profonde, ne comptait guère sur le remplaçant de l'amiral Latouche. Pensant toujours à son projet, il le modifia de nouveau et l'agrandit encore, d'après les circonstances qui étaient survenues. L'hiver rendait à la flotte de Brest la liberté de ses mouvements, en faisant cesser la continuité du blocus. Bien que Ganteaume eût manqué de caractère en 1801, cependant il avait montré, en plus d'une occasion, du courage et du dévouement, et Napoléon voulut lui confier la partie brillante et difficile du plan. Il remit l'expédition après le 18 brumaire (9 novembre), époque assignée pour la cérémonie du couronnement, et il résolut de faire sortir Ganteaume dans cette rude saison, avec 15 ou 18 mille hommes destinés à l'Irlande, puis, lorsque cet amiral les aurait jetés sur l'un des points accessibles de cette île, de l'amener rapidement dans la

faire voir qu'il ne s'étourdissait pas. Rien enfin de tout cela n'a fait pâlir son courage.

La place de grand officier, celle de vice-amiral en ont fait un homme tout nouveau. L'idée des dangers est effacée par l'espérance de la gloire, et il a fini par me dire: Je me livre tout entier, et cela avec le ton et le geste d'une décision froide et positive.

Il partira pour Toulon dès que Votre Majesté aura bien voulu me faire savoir si elle n'a pas d'autres ordres à lui donner.

Le contre-amiral Missiessy est plus réservé avec moi; il demande à rester ici huit jours; il a une grande froideur, mais qui se définit moins. On m'a dit qu'il était fâché que Votre Majesté ne lui eût pas donné l'escadre de la Méditerranée. Il l'est de ne pas être vice-amiral. Son grand raisonnement près de ses familiers est que, n'ayant rien fait pendant la guerre, il a au moins l'honneur de n'avoir point eu d'échecs! Je lui ai donné l'ordre d'aller prendre le commandement de l'escadre, et je compte que sous huit jours il sera en route. Il lui en faudra cinq ou six pour se rendre à sa destination. >>

Sept. 1804.

Napoléon modifie sa grande combinaison

par suite de la mort de LatoucheTréville.

L'amiral Ganteaume chargé désormais de se rendie

dans

la Manche.

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