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De l'Essai d'une Classification naturelle pour les Corps simples.

PAR M. AMPERE.

S II. Division des Corps simples en genres formés d'après l'ensemble de leurs propriétés.

La botanique a offert le premier exemple d'une classification naturelle. L'illustre auteur de cette classification ne s'occupa que des végétaux; mais les principes sur lesquels il l'établit ont été depuis appliqués avec le même succès à d'autres branches des sciences naturelles, et il est généralement reconnu aujourd'hui que ces principes sont ceux qu'on doit suivre dans tout travail du même genre, quels que soient les objets qu'on se propose de classer. Ce Mémoire ayant pour objet d'en faire une nouvelle application, j'ai dû d'abord examiner la marche suivie par les inventeurs des méthodes naturelles, afin de voir s'il était possible, en partant des mêmes principes, d'établir entre les corps simples des divisions qui fussent également fondées sur l'ensemble de leurs propriétés, et d'assigner les caractères les plus propres à déterminer d'une manière précise les limites de chaque division.

Il est évident que le nombre en doit être très-borné relativement à celui des divisions adoptées dans les deux parties de l'histoire naturelle des corps organisés ; là, les espèces qu'il s'agit de classer doivent d'abord être distribuées en genres : c'est en réunissant ceux de ces genres

qui ont entre eux des analogies plus marquées et plus importantes qu'on forme les familles naturelles ; et ces familles sont elles-mêmes encore trop nombreuses pour qu'il ne soit pas nécessaire de les partager en classes. J'ai trouvé qu'à l'égard des corps simples, il suffit, pour ne négliger aucune des analogies un peu importantes qu'ils présentent, de les diviser d'abord en genres correspondans aux familles naturelles des animaux et des végétaux, et d'en former ensuite deux classes où chaque corps occupe la place qui lui est assignée par ces analogies; en sorte qu'il faut, pour remplir le but que nous nous proposons, faire sur les corps simples un travail semblable à celui que les naturalistes ont exécuté sur les groupes qui portent le nom de genres dans la zoologie et la botanique, et, après en avoir ainsi formé différens genres d'après les principes qui ont servi à établir les familles naturelles des corps organisés, passer à la détermination des classes de la même manière qu'on a procédé, dans les sciences dont nous parlons, à la classification de ces familles.

Non-seulement les genres des plantes étaient déterminés à l'époque de la création de la première méthode naturelle, mais la plupart des familles l'étaient également. Dès-lors la découverte de cette méthode a consisté surtout à distinguer parmi les caractères des végétaux ceux qui, ne se trouvant jamais dans une espèce qu'ils n'appartiennent aussi à toutes les espèces de la même famille, doivent être considérés comme des caractères du premier ordre; ceux qui, présentant, à quelques exceptions près, la même généralité, ne peuvent, à cause de ces exceptions, être regardés que comme des caractères du second

ordre; ceux qu'on a nommés caractères du troisième ordre, parce qu'ils sont constans dans toutes les familles de certaines classes, et variables à l'égard de celles qui appartiennent à d'autres classes; comme la réunion des étamines par les anthères, qui caractérise si essentiellement, par exemple, les fleurs composées, et qui n'est plus d'aucune valeur lorsqu'il s'agit d'autres familles, telles que les solanées et les campanulacées; enfin les caractères secondaires ou du quatrième ordre qui, variant le plus souvent dans des familles d'ailleurs très-naturelles, ne doivent être employés qu'à la distinction des genres. It est évident que l'observation pouvait seule faire connaître cette subordination des caractères, et qu'elle ne le pouvait que parce que la plupart des familles étaient déjà déterminées. Comment en effet aurait-on pu décider autrement si une propriété était plus importante qu'une autre? L'exemple de Linné prouve assez combien on est exposé, lorsqu'on veut en juger à priori, à donner la préférence à des caractères souvent très-variables. On conçoit, au reste, que, si la formation d'un grand nombre de familles naturelles a dû nécessairement précéder la détermination des divers degrés d'importance qu'on doit attribuer aux caractères, ce n'est qu'après cette détermination, et en partant des analogies dont elle fait connaître la valeur relative, qu'on peut compléter le nombre des familles et en fixer les limites avec quelque exactitude; en sorte que ces deux genres de recherches doivent marcher de front et se perfectionner mutuellement. J'insiste sur cette circonstance, parce que c'est d'elle que dépend la principale difficulté de la classification des corps simples. Ici, les êtres qu'il s'agit de classer sont mieux connus et bien

moins nombreux que les genres des plantes ou des animaux relativement auxquels on a eu à faire cette double opération; mais nous manquons presque entièrement des rapprochemens préliminaires dont nous devrions tirer les mêmes secours que les inventeurs des méthodes naturelles ont trouvés dans les premiers essais des naturalistes qui les avaient précédés. Je crois cependant que les différens points de vue sous lesquels on peut considérer les corps simples sont assez familiers aux personnes qui s'occupent de chimie pour que je puisse me dispenser de faire ces rapprochemens, et commencer par examiner le degré d'importance de quelques-unes des propriétés de ces corps qui se présentent les premières lorsqu'on cherche des caractères propres à les classer.

La solidité, la liquidité ou la fluidité élastique des corps simples à l'état de pureté est un caractère auquel il est aisé de voir qu'on ne peut attacher aucune importance ; si on lui en donnait, on séparerait des substances qui présentent, comme nous le verrons bientôt, la plus grande analogie relativement à leurs autres propriétés : tels sont le chlore et l'iode, l'oxigène et le soufre, le mercure et l'argent : mais il n'en est pas de même lorsque l'on considère l'état solide, liquide ou gazeux des combinaisons que différens corps forment entre eux. Ce caractère, qui ne semble pas d'abord devoir être d'une grande importance, en acquiert beaucoup quand on remarque l'analogie générale des corps qu'il rapproche et les nombreuses différences de ceux qu'il sépare. L'ancienne division des métaux et des corps non métalliques, qui n'a été jusqu'à présent ni précisée ni suffisamment discutée à l'égard de quelques-uns d'entre eux, repose en

général sur un ensemble de propriétés qui ne permet pas de la regarder comme artificielle, et cependant, ainsi que nous l'avons remarqué dans le paragraphe précédent, il est difficile d'assigner un caractère précis qui distingue constamment les corps qui appartiennent à ces deux classes de corps simples : ce qui vient en partie de ce qu'on a rangé dans l'une quelques substances qui auraient dû l'être dans l'autre. Ces substances sont le silicium, le tellure et l'arsenic. Le premier est tellement analogue au bore, qu'il est impossible de l'en séparer. Ce qu'on nomme silice, et qui devrait porter le nom d'acide silicique, appartient si évidemment à la classe des acides que, dans plusieurs pierres, ou plutôt dans plusieurs siliciates, la proportion de l'oxigène uni au silicium est la même que celle de l'oxigène combiné avec le soufre dans les sulfates correspondans; que le feld-spath comparé à l'alun, comme l'a fait voir M. Berzélius, présente non-seulement la même proportion d'oxigène dans l'acide relativement à celui des bases, mais encore le même rapport entre ces bases, potasse et alumine; que le verre n'est qu'un siliciate insoluble à l'état neutre et à celui de sel avec excès d'acide, parce que cet acide est lui-même insoluble, tandis qu'un siliciate avec excès de base, et dont la base a une grande affinité pour l'eau, celui, par exemple, qu'on connaît sous le nom de liqueur des cailloux, est au contraire très-soluble et déliquescent; que les siliciates sont en tout semblables aux borates lorsque ceux-ci sont formés, comme eux, par la voie sèche ; qu'enfin le silicium et le bore se désoxident de la même manière par l'action simultanée du fer et du carbone en formant avec le fer des composés pareils, et se combinent de même,

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