Page images
PDF
EPUB

dégagés du serment de fidélité, dans aucun cas, ni par une puissance quelconque sur la terre. »

La noblesse répondit que cette matière touchant à la foi, il était nécessaire que la chambre ecclésiastique en délibérât. Le tiers-état refusa d'abord de communiquer la proposition à la chambre ecclésiastique, mais il fallut bien s'exécuter. Le cardinal Duperron, député du clergé, prit la parole, et, durant plus de trois heures, il retourna la proposition sous toutes ses faces et la combattit avec une telle force de raison, une telle abondance de science, que la noblesse l'abandonna. Le roi lui-même ordonna que l'article fût retiré, malgré les arrêts du parlement 1.

L'absolutisme de Louis XIV et la cabale janséniste inspirèrent au Parlement de Paris le dessein de reprendre la fameuse proposition et de la faire passer de haute lutte. La Sorbonne fut le théâtre où se joua le premier acte de cette étrange comédie, et il est impossible que nous le passions sous silence, malgré son étendue.

CHAPITRE II

Thèses soutenues en Sorbonne sur l'autorité du Pape. - Intervention de la cour et des parlements. Six articles proposés à la signature des docteurs. Mesures de rigueur employées contre les récalcitrants.

Refus.

[ocr errors]

Alexandre VIII, qui occupait alors la chaire pontificale, était particulièrement odieux aux Jansénistes, à cause du zèle tout apostolique qu'il mettait à poursuivre leurs erreurs et du formulaire de foi qu'il venait d'opposer à leurs subterfuges. Aussi n'est-il sorte d'injures et de calomnies que la secte ne se permît contre ce grand pape. Les graves démêlés du Pontife avec Louis XIV, la susceptibilité du roi, l'injuste prétention des parlements, tout fut mis à profit par la haine du parti janséniste et servit à ses vengeances.

1 Voyez cette célèbre harangue du cardinal dans les procès-verbaux de l'assemblée. ROHRBACHER, tome XXV.

A cette époque, les discussions théologiques et politico-religieuses se croisaient en tout sens; le richérisme favorisait trop les Parlements pour n'y avoir pas laissé des traces profondes; ces cours naturellement ennemies de l'Eglise, de ses constitutions, de tout ce qui forme sa puissante autonomie ', s'avançaient à pleines voiles dans les eaux bourbeuses du jansénisme. Les historiens qui supposent que la nouvelle doctrine plaisait aux magistrats, parce qu'elle s'adaptait mieux à l'austérité de leurs mœurs, se trompent. Ce qui leur convenait essentiellement, c'était son antagonisme déclaré contre le Siége apostolique; car leur morale et surtout leur intégrité étaient plus que problématiques, comme nous l'apprend Bourdaloue, en maint endroit de ses sermons.

Le roi, étant en querelles avec la cour romaine, voyait sans déplaisir les entreprises qui avaient pour but de restreindre l'autorité et les prérogatives du souverain Pontife. Parmi les magistrats, les fonctionnaires, les lettrés, les théologiens, le clergé, une foule de lâches, de timides, d'intéressés, de complaisants et d'ignorants, croyaient faire leur cour, les uns en invectivant contre le Saint-Siége, les autres en accusant le Pape, d'autres, moins irrespectueux, en chargeant plus ou moins violemment sur son entourage. Le même spectacle se renouvelle de nos jours, scène par scène; les acteurs seuls ont changé de masque. Cette guerre hypocrite dura plus de trente ans, et il ne faut point chercher ailleurs la source de tous les maux dont nous souffrons depuis deux siècles. La terrible vengeance que Dieu en a tirée n'a rien de surprenant, et le dernier coup n'est pas encore frappé.

Malgré les efforts de l'hérésie et les entreprises plus ou moins avouées des courtisans, le Saint-Siége comptait en France de trèsnombreux et zélés défenseurs. La plus notable portion était fournie par les ordres religieux, et en particulier par celui des jésuites. La Sorbonne elle-même, quoique infectée par le jansénisme et le parlementarisme, résistait avec courage aux flots tumultueux qui battaient la barque de Pierre.

La question de l'infaillibilité du Pontife romain, parlant ex ca

1 Voyez le curieux livre qui a pour titre : Les Légistes, par M. COQUILLE.

thedra, n'avait jamais rencontré d'opposants que parmi ces esprits chagrins et téméraires qui flottent toujours entre l'erreur et la vérité, et se laissent emporter, par leur vain orgueil ou leur faux jugement, à tout vent de doctrines suspectes. Les hommes les plus sages et les mieux éclairés, ceux enfin qui font autorité dans un pays, ne bronchaient pas sur ce point fondamental, témoins les Vincent-de-Paul, les Ollier, les de Condren, les Duperron, les Pierre de Marca, et cent autres qui ont édifié la société chrétienne par leurs écrits ou leur sainte vie. Le bélier des jansénistes fut tout d'abord dirigé contre ce mur qui abrite la vraie foi, et les Parlements ne manquèrent pas de prêter main-forte aux dangereux assaillants. Dès 1655, le Parlement de Paris se met à poursuivre avec acharnement les thèses de la Sorbonne, que de courageux bacheliers ou docteurs soutiennent pour affirmer les droits du Pape. Une de ces thèses, soutenue, en 1661, au collége de Clermont, devenu plus tard, collége de Louis-le-Grand, fit un bruit considérable '. Elle contenait ces trois propositions: « 1° Le Christ est la tête de l'Eglise, et en remontant au ciel, c'est à Pierre et à ses successeurs qu'il a confié le gouvernement de l'Eglise. 2o L'infaillibilité qui appartenait à Jésus-Christ est passée à Pierre et à ses successeurs, toutes les fois qu'ils parlent ex cathedrâ. 3o Donc, il existe, dans l'Eglise romaine, un juge infaillible de la foi, même en dehors du Concile général, tant dans les questions de droit que dans les questions de fait. »

« Avant que la thèse ne passât en Sorbonne, dit le P. Rapin, le nonce fut averti par des gens bien intentionnés que ces propositions étaient capables de remuer les esprits, et qu'il n'était nullement à propos de toucher à cette question, sur laquelle on cherchait à chicaner pour jeter de nouveaux embarras dans ce que le roi venait de régler. Le nonce alla trouver le P. Annat à Saint-Louis

Voyez BOUIX, Revue des sciences ecclésiastiques, année 1863, août, septembre. Id. Voyez aussi le récit du P. Rapin, en note, à la fin du livre. L'Anti-Febronius et l'Anti-Febronius vindicatus; ces deux ouvrages contiennent de précieux et solides documents sur la question dont nous parlons. - RAPIN, Mémoires, liv. xv et XVI.

Maison professe des jésuites rue Saint-Antoine, devenue aujourd'hui lycée Charlemagne, et dont l'église est le siége de la paroisse Saint-Paul.

pour lui en donner avis. Le P. Annat entra dans le sentiment du nonce et dans toutes ses vues; il jugea à propos de la faire supprimer. Le P. Jean Bagot, vieux théologien du collége de Clermont, n'en fut pas d'avis, parce que, la thèse étant imprimée et répandue dans la ville par les invitations que le soutenant, qui cherchait à avoir du monde, avait déjà faites, on lui dit que cet avantage qu'on donnerait aux jansénistes de la supprimer pourrait nuire au formulaire dressé par l'assemblée, reçu en Sorbonne et dont tout le monde convenait. Le P. Claude Fraguier', préfet alors des hautes études au collége, fut de l'avis du P. Bagot par un intérêt secret. C'était un bon esprit, grand théologien, mais délicat sur l'honneur, et paresseux. La thèse n'avait paru que sur son approbation, qu'il fallait révoquer; on prétend qu'il la laissa passer sans se donner la peine de l'examiner; il y allait de son honneur qu'elle fût soutenue: il n'en vit pas les suites ou ne les voulut pas voir, et, trouvant le P. Bagot de son sentiment, il l'emporta. Elle fut soutenue dans une assez grande assemblée, mais attaquée de personne.

Cependant les jansénistes, qui s'étaient saisis de plusieurs exemplaires de cette thèse, en font des trophées partout comme d'une nouvelle entreprise des Jésuites contre la couronne; on la porte aux ministres avec des interprétations très - odieuses du pouvoir du Pape sur les rois. Le Tellier, gagné par son fils, l'abbé 2, qui commençait alors à briller en Sorbonne, dont il prenait l'esprit contre les Jésuites, et gouverné par son répétiteur, nommé Co

Claude Fraguier, frère de François, conseiller au parlement de Paris, né en 1610, admis dans la Compagnie de Jésus en 1626, après avoir été professeur de théologie, préfet des études à Paris et recteur du collège d'Orléans, fut cédé à la province de Toulouse, sur la demande de Louis de Vautorte, évêque de Lectoure. Il mourut à Toulouse le 2 avril 1667.

Charles-Maurice Le Tellier, fils de Michel, chancelier de France, et d'Elisabeth Turpin de Vauvredon, né à Turin en 1642, sacré archevêque de Nazianze, coadjuteur de Reims le 11 novembre 1668, archevêque de Reims le 3 août 1671, mourut subitement le 22 février 1710. Orgueilleux comme Louvois, son frère aîné, il professait la morale sévère sans la pratiquer. C'est le héros de l'aventure de Nanterre si joliment racontée par Mme de Sévigné : « L'archevêque de Reims revenait hier fort vite de Saint-Germain; c'était comme un tourbillon; il croit bien être grand seigneur, ses gens le croient encore plus que lui... etc.»> Lettre du 5 février 1674.

quelin', jeune aventurier qui, ayant quitté le portefeuille pour porter les armes contre le roi en la guerre de Paris, où il ne réussit pas, chercha à faire fortune par la nouvelle doctrine, devint enfin quelque chose en se donnant à cet abbé, qui, sifflé par ce docteur et cajolé par les importants du parti, empoisonna tellement cette thèse dans l'esprit de son père que, rempli des plaintes que son fils lui en faisait, il s'alla plaindre au roi qu'on en voulait à sa personne et que l'affaire de la thèse des Jésuites allait à lui enlever sa couronne de dessus la tête. De Lyonne, qui était mécontent du Pape, parla à peu près de la sorte. Mais il n'est pas croyable à quel excès s'emporta l'abbé de Bourseys pour aigrir l'esprit de son nouveau patron, le contrôleur général des finances, Colbert, contre les Jésuites, en qui il commençait de prendre confiance pour l'éducation de ses enfants, persuadé alors qu'il n'y avait que celle-là qui fût bonne. Il lui dit que, dans le poste où il était, il devait regarder cette démarche des Jésuites comme une entreprise contre la monarchie. Les trois ministres, qui se trouvaient de même sentiment sur cette affaire, firent tant de bruit qu'ils étonnèrent le roi; il s'en plaignit au P. Annat lequel, pour apaiser la cour, fut obligé de faire un écrit afin d'ôter à la thèse le poison qu'on y avait jeté et pour l'expliquer d'une manière qui pût fermer la bouche aux ennemis des Jésuites. Il le fit en effet de ce caractère solide qui lui était ordinaire en tout ce qu'il écrivait. Il donna les sens qu'on pouvait donner à la thèse, odieux et favorables, et fit voir que ce n'était que par une pure animosité suscitée par les restes de la cabale de Port-Royal qu'on inquiétait les Jésuites et par malignité d'esprit. La thèse contenait deux propositions: la première « que Jésus-Christ montant au ciel avait donné à saint Pierre et à ses successeurs la même infaillibilité que la sienne quand ils parleraient ex cathedra, » c'est-à-dire dans toutes les circonstances que doit parler un pape pour que ses décisions soient reçues; la seconde proposition « que dans

1 Nicolas Cocquelin, docteur de Sorbonne le 5 mai 1658, curé chefcier de Saint-Merry de 1664 à 1668 par résignation d'Henri Duhamel, chanoine en 1673 aussi par résignation du même, enfin chancelier du chapitre et prieur de SaintSulpice près Toulouse, mourut le 20 janvier 1693. Il fut nommé un des promoteurs de l'assemblée de 1682.

« PreviousContinue »