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dans toutes les âmes, ce feu sacré du patriotisme et de l'honneur? Non, l'ar-. mée l'avait conservé pur et intact. Dans

les camps, les cités, les campagnes, tout ce qui n'avait point encore perdu le sentiment de sa dignité se soulevait d'indignation; une lutte affreuse allait s'engager entre l'intérêt particulier, les préjúgés d'un petit nombre, et les lumières du siècle. Des factieux cependant pouvaient, au moment d'une défection prévue d'avance, ressaisir, pour se les disputer, les rênes abandonnées de l'empire, couvrir de meurtres les marches du trône ébranlé, ou le sanctuaire profané des lois; mais le génie de la France veillait sur ses destinées ; il court porter les gémissemens de la patrie au grand homme qui l'avait placée au premier rang parmi les nations. Sur les chemins de la capitale, vers les avenues de ce trône où l'avaient placé le choix libre du peuple et la reconnaissance nationale, il montre aux regards, du guerrier-législateur un peuple outragé,

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réclamant l'appui des lois tutélaires qu'il a créées ; il lui fait voir ces braves, jugés coupables pour avoir si long-temps partagé ses périls; abreuvés d'humiliations leurs nobles cicatrices sont méprisées, leurs lauriers sont flétris. Qu'il se montre ! qu'il parle ! aux accens de sa voix puissante, tous, ranimés, debout, vont répondre par l'accent de l'héroïsme.

Cependant le vaisseau qui porte César et sa fortune vogue vers la France, et comme en d'autres temps Napoléon, bravant tous les dangers, revient des sables de l'Egypte au milieu du grand peuple.

Le 26 février, vers une heure après midi, toute la garde reçut l'ordre de se préparer au départ; jusqu'alors personne n'avait eu connaissance de ce qui se passait; depuis plusieurs jours on avait pris la précaution de mettre un embargo général sur tous les bâtimens qui étaient dans le port.

Que l'on se peigne la joie de tous ces

guerriers, en apprenant, en devinant en quelque sorte d'avance qu'on partait pour la France! On allait, on courait, on s'embrassait; des fenêtres du palais, Madame mère et la princesse Pauline contemplaient, l'oeil humide, tant d'hommes intrépides réunis, animés d'un seul esprit, qu'enflammait une seule pensée ; par les gestes les plus expressifs, par tout ce qui pouvait leur inspirer, à la distance où elles étaient, l'émotion profonde dont leur coeur était pénétré, elles semblaient recommander un fils, un frère chéri, à l'amour, au dévouement éprouvé des soldats les plus fidèles ; mais dans son noble enthousiasme, la phalange indomptée ne formait qu'un voeu, ne jetait qu'un cri: Paris ou la mort!

A quatre heures du soir, tout le monde était à bord la petite flottille consistait dans le brick l'Inconstant de vingt-six› canons, les bombardes l'Étoile, la Caroline et quatre felouques; quatre cents hommes de la vieille garde, grenadiers,

chasseurs, canonniers, furent embarqués sur le brick; deux cents hommes d'infanterie, cent chevau-légers polonais, et le bataillon des flanqueurs de deux cents, montèrent les autres bâtimens. Le peuple garnissait le port, et faisait retentir les airs des cris prolongés de vive l'Empereur!

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Une partie des habitans savait déjà qu'ils allaient perdre leur bienfaiteur, leur père. Le général Lapi, chambellan de S. M., et qu'elle laissait gouverneur de l'île d'Elbe, les en avait instruits par proclamation suivante :

HABITANS DE L'île d'Elbe,

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<< Notre auguste souverain, rappelé par la Providence dans la carrière de la gloire, a dû quitter votre île ; il m'en a confié le commandement; il a laissé l'administration à une junte de six habitans, et la défense de la forteresse à votre dévouement et à votre bravoure.

» Je pars de l'île d'Elbe (a-t-il dit), je » suis extrêmement content de la con

» duite des habitans

je leur confie la

» défense de ce pays, auquel j'attache le

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plus grand prix ; je ne puis leur donner

» une plus forte preuve de ma confiance,

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qu'en laissant ma mère et ma sœur sous

» leur garde; les membres de la junte et >> tous les habitans de l'île peuvent comp» ter sur ma bienveillance et sur ma pro>>tection particulière.

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A huit heures du soir, S. M. se rendit sur le brick; les comtes Bertrand, Drouot, et les principaux officiers qui l'avaient suivi dans l'île, montèrent sur l'Inconstant. Aussitôt que l'Empereur fut dans le navire, un coup de canon donna le signal de départ, et l'on mit à la voile. La soirée était superbe; le vent soufflait du sud, et paraissait formidable; le capitaine Chautard avait espoir qu'avant la fin du jour l'île de Capraïa serait doublée, et que la flottille pourrait être hors de vue des croisières française et anglaise qui observaient de ce côté. Cet espoir fut déçu : on avait à peine doublé le cap Saint-André

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